Bitcoins

Inquiétants errements de Mt. Gox

d'Lëtzebuerger Land du 07.08.2015

Pendant quelques années, Mt. Gox a été le premier comptoir mondial pour les bitcoins. Créé en 2010 au Japon par le Français Karpeles, Mt. Gox représentait 70 pour cent des transactions mondiales avec la cryptomonnaie en 2013. En février 2014, Mt. Gox fermait ses guichets virtuels avec pertes et fracas et se mettait en faillite, avant d’être placé en liquidation en avril de la même année. L’arrestation il y a quelqus jours à Tokyo de Mark Karpeles a coïncidé avec la révélation de détails sur les effrayantes dérives qui ont eu lieu sur cette place de marché sous sa gestion fantaisiste. Au passage, quelque 850 000 bitcoins appartenant à des clients de Mt. Gox ou à la place de marché, soit à l’époque l’équivalent de quelque 450 millions de dollars, se sont évanouis dans la nature (on en a localisé quelque 200 000 depuis).

Vol, fraude, mauvaise gestion : les révélations sur ce qui se passait dans les coulisses de Mt. Gox font froid dans le dos. Les employés de Mark Karpeles parlent désormais ouvertement. Un ancien employé de la place de marché, Ashley Barr, a expliqué lors d’une séance de questions-réponses sur Reddit qu’il n’y avait pas de séparation nette entre les comptes de Mt. Gox et le compte personnel de son fondateur. Le programme gérant les transactions de Mt. Gox était farci de négligences, mais ces négligences avaient une logique criminelle puisque les montants en bitcoins se retrouvaient in fine dans le porte-bitcoins personnel de Karpeles, parfaitement indifférent à la catastrophe qu’il causait, a asséné Barr. Les déposants, sans doute aveuglés par les gains constants que leur procurait le renchérissement, quasiment ininterrompu à cette époque, du bitcoin par rapport aux monnaies officielles, fermaient les yeux sur les bugs du système et ne cherchaient pas à savoir ce qui se passait dans l’arrière-boutique de cette banque émergente. Mal leur en a pris. Ce n’est d’ailleurs sans doute pas seulement la soif de profit qui a nourri cet aveuglement : l’attrait du bitcoin reposait aussi sur le vertige procuré par la naissance de circuits financiers subversifs puisque non contrôlés par les banque centrales et les autorités de surveillance.

Le réveil est brutal pour l’écosystème en devenir des cryptomonnaies, qui découvrent que ce qui passait à Mt. Gox pour de l’imprécision due aux tâtonnements d’entrepreneurs et programmeurs intrépides relevait en réalité de menées criminelles. L’absence d’autorités de contrôle susceptibles d’inspecter ce qui se passait sous le capot de la place de marché était certes liée au caractère éminemment non-conventionnel du bitcoin. Mais tous les participants de cette mésaventure, depuis Mark Karpeles, qui va sans doute passer plusieurs années en prison, à ses employés, qui n’ont que timidement, à l’époque, mentionné de possibles problèmes de code ou de gestion aux déposants, trop contents de profiter de la manne d’une cryptodevise en plein essor, ont contribué d’une façon ou d’une autre à cette vaste supercherie.

Le bitcoin a depuis perdu environ 80 pour cent de sa valeur par rapport à ses valeurs les plus élevées. Même s’il est sans doute impossible d’attribuer exclusivement cette dégringolade à la seule déconfiture de Mt. Gox, le bitcoin, sévèrement cabossé, a survécu et survivra, de l’avis général, à cette mésaventure. La solidité du blockchain, l’élément de base de l’architecture du bitcoin, n’est pas en cause. Mais ce désastre doit faire réfléchir tous ceux tentés de participer aux passionnantes perspectives que continuent d’ouvrir les cryptomonnaies. Le bitcoin ou d’autres monnaies non-conventionnelles échappent, par nature, aux systèmes de contrôle mis en place au fil des ans pour les circuits monétaires et bancaires traditionnels, mais n’affranchissent pas ceux qui s’en servent de la prudence et de la rigueur de mise lors de toute opération financière.

Jean Lasar
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