Molitor, Félix: Bris de Partance

Lumières de départs

d'Lëtzebuerger Land du 30.03.2000

Peut-on vraiment marier photographie et poème à tel point, que naisse un art nouveau? La photopoésie? Avec Bris de partance le poète Felix Molitor et le photographe Joseph Tomassini ont essayé le "presque impossible". Pari ambitieux, auquel se sont déjà aventurés nombre de photographes et d'écrivains.

La photographie de Tomassini joue et fait jouer la lumière, montre l'être humain projeté dans des environnements les plus divers, plages, villes, maisons. Ce sont des portraits d'hommes et de femmes, seuls, seules, presque toujours, dont émane une inquiétude, un mouvement, un regard. Felix Molitor lui, pratique l'art de la sobriété, de la métaphore en quête d'universalité, avec la patience "zen" de celui qui regarde tout en pensant le regard.

Ce n'est pas de la poésie chantante, mais bien de la réflexion philosophique, opposant au noir et blanc des photos de Tomassini, les dégradés subtils du verbe le plus pur, de celui qui danse tout près de l'abîme du silence.

"L'image est appelée à dire ce qui la dépasse, ce qui la fait sortir du cadre vicieux, ce qui la fait briser le cercle stérile de l'oeil des convenances, des habitudes et de tous les intérêts à braver la mort et l'invisible."

Nous avons surtout apprécié l'idée, par le jeu d'un graphisme très délicat, d'intégrer visuellement prose ou poème dans l'image même. Technique de publicité bien sûr, mais utilisée ici à bon escient, avec style, délicatesse et adresse. Nous aurions aimé en voir/lire plus de cette façon. Mais souvent l'auteur et le photographe ont opté pour les constellations classiques de l'album-photo avec photo et texte juxtaposés.

Ainsi, "Pour une tombée d'oiseau" opte pour le poème seul, dont seulement le graphique suggère l'opposition beaucoup trop classique de l'idée et du néant. Ce qui n'enlève rien de la beauté limpide des poèmes.

range ton souffle

pour voiles en partance

où les nuits visionnent

descends

parmi les coquillages

et les silex

où dorment

les sables ardents

du chant

Les "10 poèmes d'avant-naissance", illustrées par des images calmes, même drôles, m'ont en fait donné l'impression de la symbiose la plus réussie (sauf, bien sûr, le fait qu'elle n'est pas directe et visuelle).

Photos et texte s'expliquent mutuellement, agrandissent soit le champ mental et visuel, reflètent le mystère inouï de "l'être-dehors, dans la stupeur, du cristal éclaté". Le duo Molitor/Tomassini me semble avoir gagné son pari. Pensée et lumière s'unissent parfois en harmonie, leur enfant s'appelle "livre".

Bris de partance est un rendez-vous à ne pas manquer.

Bris de Partance, poèmes de Félix Molitor et photographies de Joseph Tomassini, Éditions Schortgen, Esch-sur-Alzette

Jean-Michel Treinen
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