Art et artisanat

L’art de l’appropriation, tout en finesse

d'Lëtzebuerger Land du 24.07.2015

Il faut pénétrer dans le superbe bar-restaurant du Mudam, ce bel espace tout de lumière baigné, conçu par les designers français Ronan et Erwan Bouroullec, marcher jusqu’au fond, et atteindre deux longues tables-vitrines en bois clair pour découvrir les œuvres de Jean-Marie Biwer. Leur disposition invite à la rêverie, prenant le contrepied de la grande exposition du moment, Eppur si muove (Et pourtant elle tourne), nous offrant quelques touches de délicatesse et d’intimité.

Jusqu’au 7 septembre, l’artiste luxembourgeois expose 22 pièces tout en finesse, inspirées des faïences de Moustiers-Sainte-Marie, petit village des Alpes-de-Haute-Provence, terres entre mer et montagne, plus la Côte, pas encore la Haute Montagne, mais les terres de lumière de la Provence intérieure, entre Verdon et Luberon. Moustiers, comme creusé dans la roche, est célèbre internationalement depuis le XVIIe siècle pour ces céramiques blanches et bleues, de blancs profonds et de camaïeu de bleu cobalt, ornant assiettes, vases et pots d’illustrations de la vie quotidienne, de paysages, d’oiseaux magnifiques... Parfois, le vert ou le jaune s’aventurent sur la faïence, aussi.

Jean-Marie Biwer – qui a représenté le Luxembourg à la Biennale de Venise en 1993 et a à son actif une cinquantaine d’expositions personnelles et une centaine de collectives – a posé ses crayons et pinceaux dans le village à l’hiver 2014 et a livré sa propre interprétation des faïences, s’inspirant tout à la fois de la tradition des pièces originales tout en y apportant sa propre touche, toujours avec l’oxyde de cobalt sur fond blanc. Son travail met en avant la technique du dessin, avant tout : finesse du tracé, beauté des traits, des détails, épure d’un art peu souvent mis à l’honneur. Un travail qui s’inscrit aussi dans la continuité de la recherche expérimentale de l’artiste sur les différents supports, matières et techniques.

Et c’est tout un monde qui s’offre à l’œil du spectateur, une promenade l’invitant dans des ruelles secrètes, dans les paysages tortueux des Basses Alpes, falaises, chênes immenses pointant leurs branches vers le ciel... Des silhouettes de dos, une femme marchant sur un sentier, une autre, semblant mélancolique, de dos aussi, assise sur un modeste banc de pierres… Autant de petites saynètes par moments très cinématographiques, par moments rappelant l’univers de la bande-dessinée.

En un peu plus d’une vingtaine de pièces, cachées là où on ne les attend pas, on a déambulé dans des paysages riches, on a rencontré et laissé vogué l’imaginaire sur des petites silhouettes bleues, tandis que d’autres visiteurs du musée sont simplement assis là, à siroter un café ou à engloutir un muffin. Nourriture des corps et des âmes mêlées... Un joli moment de musée, inattendu et original.

L’exposition Les faïences de Moustiers de Jean-Marie Biwer dure encore jusqu’au 7 septembre au Mudam ; www.mudam.lu.
Sarah Elkaïm
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