C’est une majeure offensive contre ce qu’il considère comme £une entente illicite sur le marché des livres électroniques que le ministère de la Justice américain a sonné cette semaine. Apple et cinq grands éditeurs américains sont accusés de s’être accordés sur le prix des livres électroniques au moment du lancement de l’I-pad. L’objet de l’accord était, selon la plainte, de « relever le prix des livres numériques et limiter la concurrence ». En pratique, l’objectif tant du groupe informatique que des éditeurs était de mettre en échec la politique de rabais pratiquée par Amazon, qui a adopté ces dernières années des prix tout juste inférieurs à dix dollars pour de nombreux e-books destinés au Kindle. Les e-books représentaient l’an dernier un marché de 1,7 milliard de dollars aux États-Unis.
Sur les cinq éditeurs qui se trouvent dans le collimateur du ministère de la Justice, trois, Hachette, Harper-Collins et Simon [&] Schuster, ont accepté le dispositif proposé par l’administration, tandis qu’Apple, Penguin et Macmillan ont indiqué qu’ils allaient s’y opposer en justice. Les autorités de la concurrence européennes avaient elles aussi annoncé en décembre dernier avoir ouvert une enquête visant Apple et ces cinq éditeurs internationaux ou leur maison-mère.
Le dispositif du ministère américain prévoit l’interdiction pour deux ans de conclure des accords dits d’agence. Deux éditeurs, Hachette et Harper-Collins, ont négocié séparément avec un groupe d’États américains la restitution des sommes dépensées en trop par les consommateurs, sous forme d’une restitution de 51 millions de dollars versés à ces États.
En creux, les termes de l’accord imposé par le ministère dessinent une entente qui fonctionnait essentiellement par la définition d’un prix de vente plancher « dur » afin d’empêcher une guerre des prix. Les éditeurs qui acceptent ces termes doivent rompre dans les sept jours leur accord avec Apple et le plus rapidement possible tous autres contrats avec d’autres revendeurs d’e-books limitant la possi-bilité pour ces derniers de déterminer le prix de vente au consommateur. Ils doivent renégocier ces contrats en s’interdisant ce type de clause pendant au moins deux ans et rendre compte au ministère de tous accords qu’ils pourraient passer dans le domaine de la distribution d’e-books.
Même si Apple et deux des cinq éditeurs incriminés entendent lutter pied à pied contre cette décision du ministère, il s’agit d’un coup dur tant pour le constructeur de l’I-pad que pour le monde de l’édition, et d’une victoire pour Amazon. Le ministère dit avoir constaté une hausse de deux à trois dollars en moyenne des prix des e-books peu après le lancement de l’I-pad, en avril 2010. Amazon avait par la suite été contraint de renégocier ses accords avec les éditeurs et de relever ses prix. L’administration prend soin de ne pas s’immiscer trop avant dans les accords commerciaux entre les différents intervenants du secteur, leur laissant la possibilité de passer à l’avenir des accords limitant la guerre des prix mais interdisant expressément la fixation de prix planchers clairement définis. En pratique, les distributeurs doivent pouvoir prendre sur leur commission pour offrir des rabais, ce qui était interdit dans le modèle imposé par Apple. Le ministère entend en particulier interdire la clause dite de la « nation la plus favorisée » qui garantissait à la marque à la pomme et à ses partenaires des prix planchers. Une autre préoccupation du ministère est de laisser aux revendeurs davantage de temps au moment de négocier : il semble en effet que l’entente entre Apple et les éditeurs ait joué sur un cadre de négociation très serré qui imposait aux revendeurs de conclure leurs accords avec différents éditeurs en l’espace de quelques jours seulement.
L’impact de la décision du Département de la Justice ne s’est pas fait attendre : Amazon a indiqué vouloir baisser les prix des livres destinés à sa liseuse Kindle.