Plan national pour un développement durable (PNDD) et Tripartite

La Tripartite passe-t-elle à côté du développement durable ?

d'Lëtzebuerger Land du 29.04.2010

En application du principe de participation inscrit dans le concept de « développement durable », le ministère du Développement durable et des Infrastructures invite la population à prendre connaissance du contenu de l’avant-projet du plan national pour un développement durable (PNDD) et de lui transmettre ses commentaires à ce sujet. (www.mddi.public.lu/)

Depuis 2006, les Luxembourgeois dépassent mêmes les Américains en termes d’émissions de CO2 par habitant. Le CO2 est dérivé principalement de la combustion d’énergies fossiles limitées et non-renouvelables. Les Luxembourgeois affichent des modes de vie particulièrement non-durables en termes de ressources, produits et services consommés et déchets rejetés. Pour être crédible, efficace, pertinent, le plan luxembourgeois pour un « développement durable » devrait donc proposer des mesures radicales pour une véritable refonte de l’économie fossile et financière du pays. Ainsi la question se pose de savoir si le PNDD du Luxembourg ne devrait pas être beaucoup plus ambitieux que les PNDD d’autres pays éco-débiteurs ? Par conséquent, le principe de développement durable du Luxembourg et de ses citoyens devrait être le but ultime et supérieur de la Tripartite en cours.

Le projet de PNDD du Luxembourg contient une foule de mesures intéressantes et prometteuses basées sur une analyse approfondie et sincère de la situation de départ. Cependant, vu la magnitude et l’urgence des défis économiques, sociétaux, environnementaux ou climatiques, est-ce que la réponse est à la hauteur de l’enjeu ?

Ainsi le PNDD :

– Décrète le « développement durable » comme une panacée, sans avancer les arguments et analyses qui démontrent que ce modèle est encore réalisable, 22 ans après la Commission Bruntland. Quelles sont les limites écologiques de la nature ? Quels sont les plafonds chiffrés de consommation pour chacune des principales ressources limitées ? Comment réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre et notre empreinte écologique estimée à 8 hectares par personne (un record mondial !) pour un disponible de terre de 0,5 ha/cap et alors que la population augmente ? Que veut-on développer, la croissance économique, la place financière, le RIB ou le bien-être et l’épanouissement personnels, la prospérité pour tous et une compétitivité soutenues et renouvelables ?

– Ignore le débat en cours entre une école pour un développement durable fort et une école pour un développement durable faible. En effet, le PNDD vise un « développement durable faible » basé sur « la croissance économique comme condition et la place financière comme moteur du développement durable ».

Selon la définition du « développement durable faible», seule la somme de tous les capitaux (naturel, financier, humain ou manufacturé) doit rester intact au fil du temps. Le capital produit ou financier pourrait donc se substituer aux ressources naturelles une fois épuisées. Est-ce réaliste si l’on sait que le capital naturel est notre support de vie et que les composantes environnementales, dont certaines uniques et irréversibles si perdues, font parties de processus et systèmes complexes et interdépendantes ?

La notion de « développement durable fort » s’appuie sur une prospérité sans croissance économique. Chaque réserve de capital (naturel ou manufacturé) pris individuellement devrait être maintenue intacte et augmentée au fil du temps, selon le principe « on ne peut pas manger l’argent ». La substitution serait contraire aux lois physique et naturel et la remise en cause complète de nos modes de vie prédateurs serait incontournable ;

– N’opte pas résolument pour l’affranchissement de notre dépendance des énergies fossiles par un phasing-out progressif et une transition vers une économie diversifiée, sobre, décarbonée (p. ex en compensant les recettes du carburant par une taxe sur les transferts financiers ?). Or le premier Plan d’action du gouvernement luxembourgeois en vue de la réduction des émissions de CO2 reconnaît, en 2006, « qu’une société dépendante de ressources non-renouvelables ne peut être considérée comme durable » ;

– Base le « développement durable » sur la croissance économique alors qu’on sait depuis plus de 30 ans qu’une croissance économique illimitée dans un monde fini n’est pas possible (cf. Limits to Growth, Club de Rome, 1972) ;

– Ne remet pas en cause le PIB comme mesure de santé économique du pays. Or, le PIB ne tient pas compte du bien-être des citoyens ou de l’état des ressources naturelles ;

– fait abstraction de l’expansion de la population (250 000 personnes en 1910, 500 000 en 2010, projection de 650 à 725 000 en 2050), donc du nombre des consommateurs, une variable qui peut remettre en cause le développement durable ;

– Prône l’équilibre budgétaire alors que le Luxembourg vient de décider de s’endetter, ce qui risquerait d’accroître sa dette à 60 pour cent du PIB en 2020. (Banque centrale du Luxembourg, 30.12.2009) ;

– Liste ce qu’il faut faire en plus, mais ne dit pas ce à quoi il faut renoncer.

Le projet du Plan national pour un développement durable pourrait gagner en pertinence et crédibilité s’il :

– était, en ces temps de Tripartite, placé hiérarchiquement au-dessus de toute autre chose. Si le gouvernement jugé que la « durabilité » est possible et faisable, elle devrait en tout cas être reconnue par tous les partenaires sociaux comme la priorité nationale. La « durabilité » devrait alors être un objectif supérieur, transcendant tout autres plans et politiques et conditionnant tout investissement (Nachhaltigkeitsprüfung).Sans cette prise de conscience et hiérarchisation, le plan risque de ne pas être transposé ;

– mettait en cause les valeurs actuelles sur lesquelles notre société de consommation sans modération est fondée pour construire progressivement et prudemment (en illustrant le gain pour chacun dans une société durable) une nouvelle conception de l’intérêt public et une nouvelle cohésion autour de valeurs sociétales non-matérielles, fédératrices ;

– était enrichi par toutes les forces vives du pays, suite à une large publicité concernant la consultation publique « DD », car le plan est actuellement largement ignoré par les citoyens. Sans leur adhésion, le plan est voué à l’échec ;

– était relu, commenté, opérationalisé en collaboration avec les CRP et l’Université qui aborderaient la matière, à l’instar de la pluridisciplinarité du sujet, à travers le spectre de toutes les sciences et facultés (sociologie, psychologie, communication, agronomie, environnement, écologie, technologies, matériaux, ressources renouvelables, économie, finance, fiscalité, …). Des safe minimum standards de consommation des ressources ou des modèles économiques intégrant les écosystèmes et leur limites en seraient quelques fruits ;

– envisageait des récompenses/incitations pour les protecteurs de l’environnement, des rétributions pour services environnementaux rendus à la collectivité et des sanctions pour les fraudeurs ;

– adopterait une approche régionale car la « durabilité nationale » ne peut exister en vase clos, mais devrait être consistante avec la « durabilité » régionale, voire même globale ;

– s’inspirait des pays précurseurs en matière de « développement durable » (Scandinavie ?) ou des pays présentant un Indice de Développement Humain élevé pour une empreinte écologique en voie de réduction (Suisse, Irlande, Suède, Slovénie, Singapour, Japan, Costa Rica etc.).

Pascale Junker
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