Les gouvernements peuvent-ils favoriser l’attraction d’étudiants étrangers dans leurs universités nationales ?

Politique d’immigration qualifiée

d'Lëtzebuerger Land du 14.02.2020

Le phénomène de globalisation auquel nous assistons depuis plusieurs décennies a également touché le domaine de l’éducation supérieure. Depuis 1975, le flux global d’étudiants finalisant leur éducation supérieure dans une institution étrangère a été multiplié par cinq et s’élève aujourd’hui à plus de cinq millions. 80 pour cent d’entre eux étudient dans un pays de l’OCDE. Au Luxembourg, on dénombrait plus de 3 000 étudiants étrangers en 2015.

Cette augmentation spectaculaire est clairement liée à des facteurs de demande et d’offre. Du côté demande, un élément majeur est la montée économique de pays en voie de développement comme la Chine et l’Inde, ce qui a accru les besoins en main d’œuvre qualifiée. Dans cette lignée, il n’est pas surprenant qu’avec vingt pour cent dans le total des étudiants étrangers, la Chine soit devenue le premier pays pourvoyeur d’étudiants internationaux.

Du côté offre, les deux acteurs principaux – les universités et le gouvernement – ont des intérêts convergents en faveur d’une augmentation du nombre d’étudiants étrangers. Du côté des universités, les avantages liés à l’accueil des étudiants étrangers sont nombreux, notamment la possibilité de développer de nouveaux programmes d’enseignement qui ne pourraient voir le jour et perdurer uniquement avec des étudiants nationaux. Par exemple, la part des étudiants étrangers dans les programmes doctoraux toutes disciplines confondues à l’Université du Luxembourg était de 88 pour cent en 2015.

L’éducation étrangère comme un canal d’attraction des travailleurs qualifiés

Qu’en est-il de l’intérêt des gouvernements ? Pourquoi sont-ils intéressés à subsidier l’éducation de jeunes gens dont les parents n’ont pas financé ces dépenses via l’impôt ? Pour fixer les idées, le taux de subside par l’État d’un étudiant étranger en Belgique varie de 60 à 90 pour cent selon les cas. Au Luxembourg, avec un montant de droit d’inscription de 400 euros par an, ce taux peut s’avérer même plus élevé. Dans ces pays, l’intérêt majeur est lié à la volonté de réduire les déséquilibres sur le marché du travail.

Dans la plupart des pays développés, le marché du travail est caractérisé à la fois par un certain niveau de chômage mais aussi par un déficit de profils dans certains secteurs ou professions. Les deux situations reflètent conjointement l’impact croissant du progrès technique en faveur des travailleurs qualifiés qui induit une complexification des tâches et des emplois dans la plupart des industries. Pour résoudre le problème de déficit de profils, les gouvernements peuvent suivre plusieurs politiques. Une politique classique est de favoriser l’immigration de travailleurs qualifiés. Ces politiques ont été mises en œuvre dans un certain nombre de pays développés à travers différentes approches. Néanmoins, ces politiques ne sont pas toujours accessibles dans les autres pays notamment car elles requirent un chamboulement complet du système de régulation de l’immigration.

Dans ce contexte, attirer des étudiants, les éduquer et les retenir sur le marché du travail domestique est clairement une stratégie alternative à une politique pure et simple d’immigration qualifiée. L’éducation d’étudiants étrangers peut être vue comme une forme subtile de politique d’immigration qualifiée. Un des avantages est qu’elle est moins sujette aux critiques éthiques sur la politique traditionnelle dans la mesure où le pays d’accueil prend en charge une grande partie des coûts de leur éducation supérieure. En outre, les compétences acquises sont souvent simplement impossibles à acquérir dans le pays d’origine. La question majeure est dès lors la suivante : que peuvent faire les gouvernements en pratique pour favoriser l’inscription d’étudiants étrangers dans leurs universités ?

Politiques d’engagement et de rétention

Fondamentalement, deux types de politiques visant à augmenter la main d’œuvre qualifiée via l’éducation étrangère peuvent être menées, selon qu’elles agissent avant ou après la diplomation. Une politique est de favoriser un bon taux de rétention des étudiants diplômés. Il s’agit d’un aspect important car ces taux sont typiquement bas dans les pays de l’OCDE, entre quinze et quarante pour cent selon les pays. Ainsi, l’octroi de visas de transition permettant de demeurer dans le pays et de chercher un emploi dans leur domaine s’avère être une politique efficace permettant d’éviter une perte importante de travailleurs qualifiés fraichement diplômés. En 2018, le Luxembourg a introduit ce type de visa pour les étudiants diplômés non-européens, leur permettant d’étendre leur séjour jusqu’à neuf mois après la date d’obtention du diplôme.

Les politiques intervenant avant la diplomation visent essentiellement à favoriser l’inscription d’étudiants dans le pays. Un premier type de politiques vise à faciliter l’arrivée des étudiants en leur octroyant des visas spécifiques et en en facilitant l’obtention. Cette politique est importante : depuis 2015, le nombre d’étudiants étrangers aux États Unis a chuté significativement suite à un resserrement du quota F-1 spécifique aux étudiants étrangers. Un autre type de politique vise à favoriser la candidature des étudiants étrangers dans les universités nationales en facilitant le processus de candidature. L’efficacité et les effets de ce type de programme sont beaucoup moins connus.

Enseignements du programme Campus France

Pour répondre à cette question, nous faisons référence à une analyse récente menée conjointement avec mon collègue Lionel Ragot de l’Université Paris-Nanterres. Dans cette étude, nous avons évalué les effets du programme Campus France (CF). Ce programme a été mis en œuvre en 2007 sous la présidence de Nicolas Sarkozy dans le but d’accroître la main d’œuvre qualifiée en France via l’éducation étrangère. Ce programme constituait un élément important de la réforme de la politique d’immigration appelée immigration choisie. Il visait à faciliter le processus de candidature pour les étudiants étrangers venant d’un certain nombre de pays sélectionnés. En bref, les étudiants issus de ces pays bénéficiaient d’une simplification, notamment en soumettant une candidature harmonisée unique en format digital aux universités qu’ils avaient choisies. Ces étudiants bénéficiaient en outre d’une réduction de cinquante pour cent sur le coût du visa. Cette procédure remplace le canal classique par lequel chaque candidature devait se faire vers chaque université (voire chaque programme), dans un format spécifique, par courrier classique. En outre, le système permet une meilleure réallocation automatique des candidatures en cas de non-sélection.

Dans ce schéma, les universités jouent un rôle-clef, principalement à deux niveaux. Premièrement, chaque université peut choisir de rejoindre le programme ou non. Si l’université décide de demeurer en dehors du système CF, les candidatures se font exclusivement via le canal traditionnel. Deuxièmement, la sélection des candidats demeure entièrement sous le contrôle des universités. L’inscription effective d’un étudiant étranger résulte donc d’un appariement entre candidature et sélection. Si l’on peut raisonnablement attendre que le système CF va mener à un accroissement du nombre des candidatures vers chaque université participante, il n’y a pas de garantie que ceci ne sera pas contrecarré partiellement ou totalement par une sélection plus stricte de la part de ces universités. Le processus de sélection peut dépendre non seulement des contraintes de capacité (bâtiments, personnel enseignant, nombre de programmes), mais peut répondre aussi à des préoccupations stratégiques. En général, on peut s’attendre à ce que des universités d’excellence favorisent plutôt un petit nombre d’étudiants pour allouer plus de ressources aux activités de recherche.

La politique de CF a été lancée en 2007 et a été mise en application graduellement à deux niveaux : d’une part, le nombre de pays qui ont rejoint le programme a augmenté progressivement pour atteindre trente à la fin de la phase de mise en œuvre (2016) ; d’autre part, la plupart des universités (66 sur 73) ont rejoint graduellement le programme. Néanmoins, on peut noter que cette adhésion fut très graduelle, ce qui reflète la réticence initiale de beaucoup d’institutions. Le graphique accompagnant cet article illustre ce processus progressif, en termes de nombre de pays sélectionnés et en termes d’universités (axe de gauche), ainsi que la proportion des corridors de migration (axe de droite) sujets au canal CF. Si la proportion de ces corridors demeure en-dessous de vingt pour cent, plus de cinquante pour cent des flux d’inscription d’étudiants étrangers dans les universités françaises transite aujourd’hui par le canal CF.

Trois résultats principaux émergent de l’analyse de CF. Premièrement, le programme a réussi à augmenter le nombre total d’étudiants étrangers inscrits dans les universités françaises. Le nombre d’étudiants étrangers a augmenté d’environ huit pour cent grâce à ce programme. Cette hausse représente un effet à moyen terme dans le sens où une arrivée d’un étudiant par CF va se refléter pendant plusieurs années dans les chiffres d’inscription. Deuxièmement, si l’effet global est positif, cet effet est inexistant pour les meilleures universités. Cela suggère que si les universités ont reçu plus de candidatures grâce à CF, les meilleures d’entre elles ont aussi accru leur sélection. Ceci confirme le rôle crucial des universités dans le fonctionnement d’un tel programme. Enfin, si les étudiants étrangers ont augmenté, il n’y a pas d’évidence que ceci s’est passé au détriment des étudiants français. En clair, CF n’a pas entraîné d’éviction des étudiants domestiques par les étudiants étrangers.

L’analyse du programme CF s’avère utile pour les gouvernements intéressés à accroître le nombre d’étudiants étrangers dans leur pays. Il y a peu de doutes sur le fait que le Luxembourg en fait partie. La première leçon que l’on peut tirer est qu’un programme facilitant les candidatures de la part des étudiants étrangers est un élément important du processus. Il ne faut pas sous-estimer dans le chef d’un étudiant éloigné le coût de monter un dossier de candidature. L’harmonisation des dossiers, la centralisation et la digitalisation permettent ainsi de faciliter les candidatures et de les réallouer d’une manière plus efficace entre universités, ce qui in fine résulte en une augmentation des inscriptions étrangères. La seconde leçon à en tirer est de tenir compte du rôle des universités dans ce programme, car le processus de sélection qu’elles mettent en place peut considérablement atténuer son efficacité.

Michel Beine est professeur en économie au sein du Département d’economie et de management de l‘Université du Luxembourg. Son article est basé sur une « policy brief » éditée par le Luxembourg Institute of Socio-Economic Research intitulée « Can Governments Facilitate the Enrolment of Foreign Students in their Universities ? ».

Michel Beine
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