Votre cerveau a eu besoin de moins de soixante secondes pour capter, visualiser et enregistrer la photo qui illustre cette chronique, dont la lecture, quant à elle, ne vous demandera que trois ou quatre petites minutes tout au plus. Quand on y réfléchit, c’est peu et beaucoup à la fois. Parce qu’une minute ce n’est rien, mais ça fait parfois tout.
Une minute et l’amour surgit. Quelques secondes et boum ! Coup de foudre. En un tour de cadran, c’est le tsunami émotionnel. Le cœur bat la chamade. L’instant vous assomme, balaie tout sur son passage, époustoufle un peu et vous laisse pantois. Fou qu’un rien du tout sur l’horloge puisse modifier du tout au tout une vie. « J’ai su au premier instant », direz-vous plus tard, des étoiles – ou des regrets – plein les yeux. Car tout se passe en cette infime fraction de seconde. Ce fugace moment passible de chambouler toute une existence. Et sans crier gare, une minute plus tard, l’avenir prend un tournant inattendu, inimaginable encore soixante secondes auparavant.
Une minute et l’amour s’en va. Car cela marche forcément dans les deux sens. Quelques secondes et bam ! Électrocardiogramme plat. La flamme est éteinte, le ventre sonne creux. Mais en fait, qui est cette personne avec qui l’on partage tout ? En moins d’un tour de trotteuse, les sentiments peuvent s’envoler, s’étioler, l’histoire s’écroule et l’amour s’écoule alors plus vite qu’un sablier. Était-ce ce mot, ce geste, cette attitude, cet acte, ce regard en particulier ? Le fait est que tout d’un coup, plus rien n’a de sens. Comme si quelqu’un venait d’appuyer sur un interrupteur, allumant la lumière sur une scène qui ne ressemble à plus rien, ou l’éteignant, comme pour en signifier la fin. L’instant d’après n’a plus plus jamais la même saveur et cessent alors des années de battements de cœur.
Une minute et tout s’oublie. La colère contre un câlin, la solitude contre un sourire, la peine contre un pardon. On bascule souvent d’un sentiment à l’autre en un clin d’œil. Regardez ce nouveau-né, qui une fois dans les bras de son parent, effacera en un regard et un millième de seconde, des heures de douleurs, des mois d’attente ou des années d’espérances... Plus rien n’existe alors, moment suspendu, seconde inoubliable où tout chavire. Une minute peut tout faire oublier : la raison, le bien-fondé, la peur et tout ce qui est bien installé. Car une seconde suffit à y aller, à oser, à se lancer. Du plongeoir à l’eau, de l’avion dans le vide, d’une vie à une autre. Un oui, un non, se formule en une seconde de rien du tout, passible pourtant de tout renverser et d’inverser le cours des choses.
Une minute et tout peut revenir. Un visage, une peau et un parfum. Une plaie qu’on pensait pansée, un mal qu’on croyait guéri, un traumatisme enfoui, un souvenir égaré, une personne oubliée. Car il y a ces réminiscences furtives mais qui nous gagnent brutalement. Le temps d’une bouchée, d’une inspiration, d’une vision, au contact d’une odeur, d’une couleur, d’une saveur. Temps souvent éphémères, mais bouleversants. Un ciel clair peut alors s’assombrir en un dixième de seconde, une humeur enjouée se teintée de mélancolie en moins de rien. Tout se joue sur le fil, continuellement, à chaque avancée d’aiguille sur le cadran. Chaque seconde importe.
Une minute, ce n’est rien, mais ça fait parfois tout.
Une minute suffit à louper un train, à manquer un rendez-vous, à laisser partir quelqu’un, à arriver trop tard pour un départ, ou un au-revoir. Une minute suffit à suivre son coup de tête, son coup de cœur, son instinct. C’est en une minute que des heures de réflexion prennent fin. Qu’une décision est prise, parfois à temps, parfois trop tard. Minute décisive.
Une minute suffit à faire basculer une vie. À révéler une tache un peu trop sombre, une boule un peu trop grosse, un truc un peu bizarre. Le temps s’arrête. Suspend son vol. On réalise qu’en quelques secondes, ce mois d’octobre rose pourrait devenir noir. Qu’avoir investi dix minutes dans une mammographie, ça pourra peut-être faire gagner beaucoup de minutes de vie. Dans l’attente, chaque seconde dure une heure, interminable, avant le pronostic, le résultat, le diagnostic. Ces minutes fatidiques où le cœur bat la chamade, mais cette fois pas pour une chouette raison, nous rappellent qu’un coup de fil pour un dépistage se révèle souvent bien plus salvateur qu’un coup de foudre pour un inconnu. Et que ces trois quatre petites minutes de lecture auront peut-être, pour vous ou votre entourage, vocation à un peu de sensibilisation.