Kronz, Isabelle: Hélène et les Max

Premier roman

d'Lëtzebuerger Land du 19.12.2002

Un premier roman ne laisse pas insensible. Il se lit comme une promesse. S'y retrouvent la tentation de tout dire et celle, plus lancinante, de se dire. Ce n'est pas tout à fait le cas de ce premier roman d'Isabelle Kronz. C'est certes un premier roman mais qui ne se donne pas à lire comme tel. La maîtrise de l'écriture y est pour quelque chose. Les qualités de l'écriture de Kronz expliquent sans doute que la Fondation Servais lui ait attribué le prix d'encouragement 2001. Que dit le roman? Ne dévoilons pas l'intrigue mais disons tout simplement qu'on y voit Hélène, personnage central, prise entre les contraintes que lui imposent le travail, les convenances sociales et son propre désir, sa fantaisie. 

C'est un "je" qui désire et qui désire avant tout affirmer sa singularité et nous, lecteurs, nous retrouvons dans cette envie d'être soi-même, de ne pas se perdre dans les comportements collectifs, forcément conformistes. Relisons la première page, germe du germe qu'est un premier roman. On appréciera cette sentence qui ouvre le roman: "La solitude, ça n'existe pas... Ils sont tous partis. Je sais où, mais je n'ai pas envie de m'y rendre. À les voir se hâter, se bousculer, il y a quelques minutes, j'ai ressenti un grand dégoût tout à coup, et mes jambes ont refusé de faire un pas de plus, comme paralysées. Réussissant à m'extirper du troupeau empressé et bêlant, je me suis réfugiée dans la cour d'un immeuble. Maintenant, ils y sont tous, et je devrais y être aussi..."

Belle page dont je glose la problématique en: comment vivre ensemble - pour reprendre l'intitulé du cours de Barthes au collège de France. Comment être sans être aliéné aux autres? Ce sont ces plages de solitude que l'héroïne sait s'aménager qui la sauvent lui permettant de substituer à la vie sociale la vie intime où l'être ne se contente pas de se regarder car la coquetterie est avant tout un fait social mais plutôt regarde en lui-même pour retrouver un monde peuplé différemment: "Et alors que je suis dans mon obscurité, tout au fond, j'entends une voix difficile à discerner. Même si elle est presque inaudible, elle me donne un sentiment de réconfort, de chaleur...". 

Ce sont ces voix qui viennent confirmer que le monde n'est pas aussi immonde qu'il n'en a l'air. Les Max, certes aussi conformistes que puissants, n'en sont pas moins cultivés, érudits même. Et les êtres ne sont pas haïssables quand ils sont aux prises avec les événements. C'est dire que le personnage de Kronz ne verse à aucun moment dans la misanthropie. Le besoin d'aimer, d'être en étant aimée sauve ce personnage confronté au pouvoir, au pouvoir de l'argent. comment être sans être la proie de ceux qui ont argent, pouvoir et pouvoir de l'argent? Le rapt d'Hélène est une allégorie de ce rapt que nous vivons tous pris que nous sommes dans le circuit - pour ne pas dire l'engrenage - social avec toutes ses dérives y compris les dérives de type mafieux.

Hélène et les Max est le roman de la tentation, celle qui éloigne des autres et celle qui en rapproche est à lire. Isabelle Kronz est une plume qui promet. L'on est peut-être en droit d'attendre un roman où les personnages seront moins englués dans l'événementiel, dans le récit. L'avenir du roman est peut-être dans ce détachement du récit.

 

Isabelle Kronz: Hélène et les Max, roman; Éditions des Cahiers luxembourgeois; 166 pages; 18 euros; ISBN : 2-919976-86-9

 

 

Jalel El Gharbi
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