Arts plastiques

Quatre pour une cause

d'Lëtzebuerger Land du 07.02.2020

C’est une exposition joyeuse de par la facture employée par les artistes, même si le thème, lui, porte sur un sujet particulièrement grave : le racisme, ou peut-être devrait-on dire la racialisation, dont restent sujets les afro-américains ; presque soixante ans après le discours du pasteur Martin Luther King, I head a dream.

À son habitude, la galerie Zidoun-Bossuyt, au Grund, expose des peintres noirs ou natifs américains, pour la première fois au grand-duché. On commencera par Michael Ray Charles (c’est aussi le plus « vieux », il est né en 1967), tant sa toile, très grande (elle mesure 3,50 mètres sur trois), installée au fond, dans l’axe de l’entrée de la galerie, capte l’attention. C’est une affiche d’un cirque, avec exhibition d’êtres humains. Le côté rétro pourrait faire croire qu’il s’agit du passé, mais les zoos humains existent bel et bien encore, comme celui des « femmes-girafes », ouvert en Thaïlande en 2008...

Cette peinture de Michael Ray Charles, qu’il signe de son nom en ajoutant « americain painter », date de 1996 et c’est la plus ancienne de l’exposition : (Forever free) Big Mama’s Hot Ling Heaven, semble jongler avec le globe terrestre en haut de l’affiche. La toute jeune Kathia St. Hilaire (elle est née à Palm Beach en 1995), ne présente que deux œuvres : l’une est composée de huit feuilles contrecollées sur bois. Un enfant semble pleurer ou se plaindre en s’adressant à la mère, tandis qu’une petite fille danse devant un totem africain.

Les vêtements sont soigneusement dessinés, les gestes impeccablement suggérés, mais les visages, comme les bras et les jambes, sont travaillés en aplats, juste cernés d’un trait qui souligne leur expression. Le tout dans les tons rose et ocre. L’autre toile explose littéralement de couleurs : une grille vert et or pailletée, ouvre sur un navire voguant sur un océan aux motifs fouillés, d’un bleu paradisiaque vers un soleil orangé énorme. Malgré cette ambiance de rêve, d’évasion en tout cas, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit plutôt de boat people que d’une arche de Noé salvatrice…

Ici aussi, les corps ne sont suggérés que par une fine ligne de contours. C’est tout le contraire de la technique de David Legget : affiches ou affichettes collectées et collées, lettres découpées en feutrine disant I’ll fly away ou encore Burn Baby Burn et Those three words. Sur le seul tableau au fond noir, un Jésus extatique et une colombe de paix enfantine, affrontent un visage en colère. Une autre tête, récurrente, souriante, celle-là, revient sur plusieurs toiles, au fond tout blanc, présentant par-ci par-là des emprunts aux cartoons traditionnels, mais au sujet néanmoins menaçant, puisqu’il s’agit de la symbolique voire de personnages affublés des attributs du Ku Klux Klan.

Mais David Legget (installé à Chicago depuis 2003) s’empare aussi d’un des sujets polémiques du moment, celui du grimage de blancs en black faces, sauf que lui inverse les rôles : les grimeurs, petits cireurs de chaussures représentés sur le mode de la BD, griment un blondinet blanc à l’air ahuri qu’ils forcent à sourire. Le travail le plus abstrait, mais aussi sans doute le plus complexe, est celui de Rushern Baker IV. Né en 1987 à Washington, il utilise l’acrylique, le papier, des morceaux de céramique, l’adhésif sur toile, saturant l’espace entier de la toile faite néanmoins d’une multitude de fragments, qu’il rehausse en plus de coulures rouges, matte ou vernie.

Un ensemble de quatre pièces représentant des continents imaginaires, peut-être des États US, voire une typo personnelle à l’artiste, au centre évidé cette fois, s’intitule Landscape 17, 18, 19, 20. Le tout volant en éclat, comme un miroir brisé dans American March. À voir.

L’exposition de groupe de Rushern Baker IV, Michael Ray Charles, David Legget et
Kathia St. Hilaire est à voir jusqu’au 14 mars ; horaires et informations sur le site de la galerie : www.zidoun-bossuyt.com.

Marianne Brausch
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