Les vieux os du système luxembourgeois de garantie des dépôts bancaires, géré actuellement par l’Association pour la garantie des dépôts Luxembourg (AGDL), devront encore tenir bon avant que la réforme du mécanisme, dictée par la Commission européenne au printemps dernier, ne se mette en route. Mardi, les députés ont adopté à une très large majorité, dans un projet de loi « omnibus »1, des dispositions modifiant la loi du 5 avril 1993 du secteur financier et raccourcissant de trente à vingt jours ouvrables le délai de paiement des créances des déposants des banques en cas de défaillance de l’une d’elles. Il s’agit d’une exigence ancrée dans une réglementation de 2009 que le Luxembourg aurait déjà dû transposer dans sa législation pour le 1er janvier 2011.
Une vraie refonte de cette directive, avec une indemnisation ex-ante qui s’élargira aux produits d’assurance et d’investissement (un autre projet de directive porte sur la mise en œuvre d’un fonds de soutien aux établissements financiers), est dans les cartons depuis plus d’un an. Si les autorités luxembourgeoises ont un peu tardé à se mettre en conformité avec la réglementation européenne, c’est parce qu’elles s’attendaient précisément à ce que la proposition de directive, présentée l’année dernière par la Commission européenne, ait un cheminement plus rapide qu’il ne l’est actuellement, le texte étant encore bloqué au niveau du Parlement européen, qui a apporté un traitement plus « soft » à la version initiale, notamment sur le traitement des titres, le texte de Bruxelles ne couvrant pas que les dépôts. Fin mars, la commission des finances du Parlement européen a encore examiné les derniers amendements du rapporteur allemand Peter Simon, mais nul ne sait quand le texte, objet de critiques virulentes de certains États membres, parmi lesquels l’Italie, sera mis au vote. Plusieurs mois pourraient s’écouler jusque-là, ce qui soulève des interrogations sur la capacité du système de l’AGDL, fait de bricolages successifs en attendant mieux, à assumer ses obligations de remboursement des déposants à hauteur de 100 000 euros.
En attendant les avancées communautaires, l’avant-projet de loi, pour ainsi dire prêt à l’emploi, qui va transformer l’actuelle AGDL en un établissement public devant être surveillé par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) et intervenant ex-ante et non plus ex-post comme sous l’ancien régime, reste au chaud dans les tiroirs. Même si les dirigeants luxembourgeois ont présenté cette semaine le texte remisé depuis une année comme un vrai projet de loi aux experts du Fonds monétaire international (FMI) venus faire leur revue du secteur financier et de l’économie au grand-duché (lire par ailleurs). Les représentants de l’organisation basée à Washington se sont dits dans l’ensemble « impressionnés » par le projet, mais ont pointé du doigt un certain manque de coordination dans la gestion du dispositif de crise. Ils ont toutefois montré de la compréhension envers la position du gouvernement luxembourgeois, qui veut attendre de voir la proposition de directive européenne bouger avant d’avancer ses propres cartes.
Cela dit, le « brouillon », qui est le fruit d’une réflexion entre l’ABBL/AGDL, le ministère des Finances et la CSSF, serait conforme dans ses grandes lignes avec le texte de la Commission européenne, du moins sur le volet de la garantie des dépôts. La garantie des autres investissements (notamment des fonds d’investissement, à hauteur de 50 000 euros, en cas de défaillance de tiers dépositaires), second volet de la proposition de Bruxelles, pose de sérieux problèmes de transposition à bon nombre d’États membres, assez peu enthousiastes à la proposition de Bruxelles, censée être une réponse au scandale « Madoff ». Présenté devant la Commission des finances et du budget de la Chambre des députés mi-octobre, le texte a donné lieu à de sévères critiques de la part des milieux financiers. Les députés y ont été sensibles puisqu’ils ont élaboré un « avis politique » destiné au Parlement européen et au Conseil de l’UE dans lequel ils jugent la proposition de directive fondée « sur des concepts vaseux et imprécis » et réclament une reconsidération de la couverture des fonds OPCVM et des banques dépositaires dans les garanties. La réforme annoncée dans le projet « Ucits V » du régime de responsabilité des dépositaires d’OPCVM devrait, aux yeux des opérateurs du secteur financier, constituer la base de garantie pour les investisseurs en cas de défaillance et pourrait faire double emploi avec la directive programmée. Et pour les cas de fraude, type Madoff, les dirigeants jugent qu’un système d’assurance mutualiste, donc ex-post, serait probablement plus approprié que le mécanisme prôné par la directive.
Cet avis de la Chambre des députés aurait dû se transformer sur le plan national en une motion. L’idée ne s’est jamais concrétisée, probablement parce que le gouvernement a gelé le projet de loi sur l’indemnisation des dépôts et des investissements. La même Commission des finances n’avait pas trouvé grand chose à redire en revanche à la proposition de directive sur les garanties des dépôts bancaires. Yves Mersch, le président de la Banque centrale du Luxembourg, avait fait lui aussi des propositions pour mettre en place un fonds d’indemnisation des clients, ainsi qu’un fonds de stabilité à la sauce nationale destiné à sauver les banques, conformément à ce que la réglementation européenne prévoit. Ces propositions avaient été présentées après la rédaction de l’avant-projet de loi et son gel provisoire n’a sans doute pas contribué à promouvoir les idées du patron de la BCL. Les discussions devant la Commission des finances et du budget ont toutefois montré que la proposition de la BCL soulevait des réticences, tant des opérateurs du secteur financier que du ministère des Finances, sur la manière dont Yves Mersch voyait le fonds de sauvetage bancaire, son financement et le rôle de la BCL.
Dans une très brève intervention à la Chambre des députés mardi, le député CSV Lucien Thiel, rapporteur du projet de loi 6165, dont le sujet principal était le renforcement de certains pouvoirs de la CSSF, s’est interrogé sur le degré de préparation technique de l’AGDL pour être désormais en mesure, sous le contrôle de la CSSF, d’indemniser les déposants endéans vingt jours ouvrables. La nouvelle loi accorde de toute façon, mais à titre exceptionnel, une rallonge de dix jours ouvrables maximum pour effectuer les paiements nécessaires.
Les délais de remboursement passeront à sept jours ouvrables lorsque la proposition de directive entrera en vigueur. Déjà vingt jours « est un challenge » reconnaît Rüdiger Jung, secrétaire général de l’AGDL. Les chantiers de la réforme du mécanisme d’indemnisation sont suffisamment bien avancés pour rendre le responsable confiant sur ses capacités à intervenir dans les temps prescrits, la tâche la plus ardue étant sans doute la réconciliation des chiffres fournis par les clients d’un établissement financier en difficulté et l’établissement lui-même pour que les données soient cohérentes. Dans le cas de la banque Kaupthing Luxembourg, il avait déjà fallu une semaine pour l’installation de lignes téléphoniques et des vingt ordinateurs servant à faire le suivi de la procédure de remboursement. L’AGDL a signé un contrat de sous-traitance avec le cabinet Deloitte Luxembourg pour mettre en place une infrastructure informatique, qui a d’ailleurs fait ses preuves lors de la déconfiture de la banque Kaupthing où l’indemnisation s’est faite en trois mois, surtout en raison des négociations autour du sort de la banque d’origine islandaise. Les tests récents de « résistance », sur la base d’une indemnisation rapide plafonnée à 100 000 euros, auraient été tout aussi concluants. « Nous disposons d’un programme informatique très performant », explique Rüdiger Jung. Reste encore des « petits » réglages à effectuer, notamment sur le site Internet qui permettra aux victimes de défaillances d’entrer directement leurs demandes d’indemnisation. Des discussions restent également en cours avec les dirigeants de la CSSF sur les autorisations nécessaires à l’établissement d’un fichier des clients afin de faciliter les procédures d’identification des déposants pouvant avoir plusieurs comptes dans un même établissement. La loi, calquée sur la directive, prévoit un plafond de 100 000 euros par déposant. Rüdiger Jung pense que ces questions de détail devraient être résolues d’ici la fin de l’année.
L’avant-projet de loi gelé depuis un an prévoyait, conformément aux propositions de directives, de fondre en un seul établissement de droit public les deux aspects : indemnisation des déposants et investisseurs et mécanisme d’intervention pour sauver un établissement en difficulté.
Sur le plan financier, le nouveau système luxembourgeois où les contributions des banques sont calculées sur les risques, aurait d’ores et déjà « fait le plein » pour atteindre le seuil plancher correspondant à 1,5 pour cent du total des dépôts. De la sorte et en cas de résurgence de la crise, ce mécanisme serait techniquement en mesure de rembourser les clients dans les délais prescrits par Bruxelles. Peu de pays auraient atteint un tel degré de préparation, à part la Grande-Bretagne.