Restructuration

Coup de balai au MNHA

d'Lëtzebuerger Land du 17.05.2013

Onze ans déjà que le « nouveau » Musée national d’histoire et d’art a ouvert ses portes de verre, écrasées sous cette lourde façade en pierre blanche qui le caractérise désormais. Aujourd’hui, c’est à l’arrière que tout se passe. La dernière révolution intra muros en cours a pour décor les trois maisons patriciennes de la petite rue Witheim qui étaient jusqu’ici consacrées dans leur grande majorité à la section Arts décoratifs/Arts et traditions populaires du musée. Elle devrait aboutir début 2014.

Terminée l’appellation à rallonge qui correspondait si bien au parcours quelque peu labyrinthique de cette partie du musée. Les AD/ATP du MNHA deviennent ADP : Arts décoratifs et populaires. Ce sera certainement plus facile à retenir… et plus facile de s’y retrouver pour le visiteur. Et pour cause ! Des six niveaux autrefois dévolus aux collections « folkloriques » luxembourgeoises, seuls deux, le rez-de-chaussée et le premier étage, leur sont désormais attribués. Les caves accueilleront une présentation archéologique du Marché-aux-poissons, tandis que le deuxième étage sera consacré aux expositions temporaires des « petites œuvres », toutes sections confondues. Celles-ci seront vraisemblablement plus mises en valeur dans la succession de petites salles historiques que dans les grands espaces prévus pour les expositions temporaires dans la partie moderne. Quant au troisième étage, il constituera le prolongement de la section Beaux-Arts, garantissant à celle-ci le statut de section phare du musée, ne serait-ce qu’en termes de surface d’exposition.

« On passe de 1 300 mètres carrés sur les trois maisons auparavant, à 625 mètres carrés à peu près, sans compter les surfaces de circulation, estime Jean-Luc Mousset, le conservateur de la section ADP. Cela a supposé bien sûr une synthèse du parcours muséographique. Au vu de la place et surtout de l’élément in situ présent dans les maisons, nous avons décidé de nous limiter aux manières d’habiter ainsi qu’aux arts appliqués ». Bien plus qu’un dépoussiérage, c’est donc d’un véritable chamboulement qu’il s’agit, une renaissance en somme.

L’origine de ce chambardement ? Selon Jean-Luc Mousset, la nécessité qu’ont les musées de se moderniser pour survivre. « Il faut s’adapter au goût de chaque époque. La manière de présenter les objets change, mais pas les objets. Le directeur Michel Polfer a profité de la chance qui lui était offerte de refaire cette partie du Musée national. En ce qui nous concerne, il n’avait qu’une seule exigence, celle de prolonger l’exposition jusqu’à aujourd’hui. Auparavant, on terminait avec le mobilier jusque vers 1850 à peu près… »

C’est donc une partie des acquisitions effectuées au cours des dernières décennies qui va être montrée pour la première fois. Tout un pan du travail de conservateur de Jean-Luc Mousset, jusque-là discrètement stocké dans les dépôts du musée. « Sur les 200-300 objets présentés, un quart le seront pour la première fois, annonce-t-il. C’est pourquoi nous comptons sur nos expositions temporaires pour présenter par roulement toute notre collection, sans nécessité aucune de contracter des prêts ailleurs, ce qui est un gros argument pratique pour un musée… L’avantage, c’est que lors des expositions temporaires, nous pourrons développer beaucoup plus des thèmes que nous avons dû laisser de côté faute de place, comme les croyances ou le travail ».

Il est certain que cette redéfinition de la section n’est pas une première dans son histoire. La section « folklorique » des années 1930 devint la section des « arts industriels et populaires » dès 1969, avec déjà un pied dans les vieilles maisons de la rue Wiltheim. Elle fut ensuite Vie luxembourgeoise dès 1978, avant de renaître en Arts décoratifs / Arts et traditions populaires lors de la réouverture du musée national en 2002. Un peu comme si elle se cherchait depuis autant d’années.

Certes, l’essence même des arts populaires est difficile à cerner. Le défi de ces conservateurs reste toujours le même : attirer les visiteurs avec des objets du quotidien. « Nous cherchons le beau dans l’utile, selon la définition en vigueur depuis le XIXe siècle dans les musées d’arts décoratifs parisiens », rappelle Jean-Luc Mousset. Il n’en reste pas moins que le visiteur est difficile d’accès. « En règle générale, le visiteur est moins informé sur l’évolution dans le domaine des Arts décoratifs et populaires que dans celui des Beaux-Arts. Nous sommes à la fois une section d’histoire et une section d’art. Il faut toujours faire le pont entre l’un et l’autre ».

Pour attirer le curieux d’aujourd’hui, Jean-Luc Mousset mise sur l’internationalité du grand-duché. « Nous présentons des sujets qui peuvent intéresser la société multiculturelle d’ici. Nous plaçons l’évolution du pays dans un contexte plus général en posant une question : les manières d’habiter et les arts décoratifs au Luxembourg, une voie originale ? Puis nous guidons le visiteur vers la réponse en lui montrant les différences, les développements propres au Luxembourg ».

Et de poursuivre : « On se rend compte que concevoir un musée est un acte de création, il faut donc opter pour une histoire à raconter à partir des objets. Nous avons choisi un discours, avec comme fil rouge cette question de l’originalité luxembourgeoise. La vision est chronologique, avec des développements thématiques dans le parcours, à l’instar du V&A de Londres ou du nouveau Rijksmuseum d’Amsterdam. La tendance actuelle est de mélanger les œuvres, dans différentes visions horizontales ou verticales »…

Au nouveau département ADP, tout commencera avec Mansfeld, Pierre-Ernest de son prénom, LE prince national. « C’est important d’intégrer la culture princière dans l’histoire de Luxembourg, car la vision que nous avons est celle d’une société de paysans et de petits-bourgeois, rappelle le conservateur. Or Mansfeld incarne une des manières d’habiter, et nous en présentons d’autres aussi. Cette juxtaposition de cultures différentes – celle d’un prince du XVIe, de la noblesse locale, des artisans, des paysans du XVIIIe, de la classe bourgeoise du XIXe, et des classes moyennes pour le XXe –, c’est, il me semble, un point fort de notre exposition ».

Que les aficionados se rassurent, les fleurons seront toujours montrés. La fameuse pharmacie ouvragée disposera de sa propre salle, en hors parcours. On retrouvera les armoires, les faïenceries et l’orfèvrerie qui ont fait les beaux jours de l’ancienne section. Une chambre bleue à alcôve, jamais présentée au public, sera également mise en scène (« le temps s’est arrêté là » dit Jean-Luc Mousset dans un sourire). Pas de reconstitutions, mais on profite du cadre d’architecture en place, avec parfois des mises en situation schématiques comme un pot dans un feu ouvert, ou une crémaillère. « Notre point de départ c’est toujours l’objet, ce qu’il nous raconte. Un objet est quelque chose de visuel, à nous de veiller à ne pas créer de mauvaises associations. Pour la présentation, on travaille avec une muséographe de Mannheim », précise Ulrike Degen, l’assistante du conservateur.

Reste le décor déjà en place. L’architecture jusque-là relativement préservée des trois maisons en prend un coup. Une double passerelle les reliera désormais au bâtiment principal du musée. Le parcours prévoit en outre un ascenseur, des monte-charges et des rampes, mais surtout de grandes percées transversales dans un souci de simplification et de lisibilité. Les puristes – il y en a toujours – y trouveront certainement à redire. Mais les travaux se font sous la houlette du Fonds de rénovation de la Vieille ville, qui se doit de veiller au grain. Selon Jean-Luc Mousset : « On a fait une percée rectiligne de la première maison jusqu’à la dernière maison, tout en laissant les ouvertures historiques. On peut encore reconnaître et lire l’ancienne architecture ». Rien n’est donc perdu dans le temple de la conservation. Ce serait un comble sous ces combles anciens.

Romina Calò
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