Sept mois après le pic d’infections de Covid-19 et alors que la deuxième vague frappe l’Union européenne, les États membres adoptent enfin des recommandations pour coordonner l’approche « de la libre circulation en réaction à la pandémie ». Mardi, à Luxembourg, les ministres des Affaires étrangères étaient censés signer le texte proposé par la Commission en septembre. Juste signer. La recommandation est passée au Coreper (Comité des représentants permanents) la semaine dernière et figurait en point A de l’ordre du jour. Les émissaires gouvernementaux n’étaient pas supposés en discuter. Or, c’est quand même Schengen qu’on sape.
Au pays de Robert Schuman, zone transfrontalière dangereusement exposée aux décisions des voisins, on s’en émeut. D’autant que le gouvernement a prêté le flanc en lançant, seul avant l’été, une campagne de tests généralisés. Sur le papier, l’idée paraissait pertinente dans la mesure où elle répondait aux préconisations de l’Organisation mondiale de la santé, « test test test », pour briser les chaînes de transmission. Mais l’initiative a fragilisé la coalition à l’heure des départs en vacances. Lapalissade ou trumperie, plus on teste, plus on a de cas positifs. Et les pays ont limité l’accès aux vacanciers en provenance du Grand-Duché. Sur la côte belge, des voitures immatriculées au Luxembourg ont été vandalisées. Politiquement, c’était une maladresse que de ne pas s’assurer que la méthodologie retenue allait être comprise par les voisins. N’importe quel vieux con pouvait se moquer : à trop jouer les premiers de la classe on passe pour des cancres. L’exécutif a donc battu la campagne pour faire valoir l’intérêt du large-scale testing. (Alors que localement, on dit qu’il ne représente qu’un peu plus de dix pour cent des personnes positives identifiées.) Le critère de la quantité de tests pour 100 000 habitants a été retenu dans la recommandation. Rappelons qu’elle vise à définir quelles zones sont vertes, oranges ou rouges et sur quoi une région ou un pays peut se baser pour refuser des ressortissants étrangers.
Le Grand-Duché s’est abstenu, nous informe le ministère Jean Asselborn (LSAP). Comme nous l’avait indiqué Paulette Lenert, sa camarade de parti et de gouvernement, quelques heures plus tôt mercredi au cours d’un point presse. Le Grand-Duché souhaitait que d’autres critères, comme le nombre de lits d’hôpitaux disponibles ou les statistiques des décès liés au Covid-19, soient pris en compte dans la formule. « On n’a pas réussi, mais nous sommes toutefois contents d’avancer vers l’harmonisation », constate la ministre de la Santé. « Ces critères sont (pourtant) le signe de la maîtrise des politiques de santé », peste Jean Asselborn au téléphone. Le ministre fustige le radicalisme allemand. « Dans les Länder, on pense que si le taux cumulé de notification dépasse cinquante, alors on n’est plus capable de faire le tracing. C’est pas soixante. C’est pas 51. C’est cinquante », ronchonne-t-il.
Jean Asselborn a bien tenté, dit-il, de peser sur les discussions, notamment en « débloquant le point A » et en faisant rajouter une phrase au texte final (qu’on n’a pas trouvée). Mais la voix luxembourgeoise porte finalement peu dans le concert des nations européen. Les barouds de valeureux combattant de la liberté (parfois jusqu’à la lisière du populisme) opérés par Jean Asselborn relèvent aujourd’hui exclusivement du romantisme européen. La crise du Covid-19 rappelle la dépendance du Grand-Duché à l’égard de ses voisins. Que le court-termisme national et la Realpolitik priment sur les postures, qu’elles soient idéologiques ou qu’elles portent un intérêt. On pense par exemple au blocage aveugle pour protéger le secret bancaire pendant une décennie. Le Luxembourg ne peut plus s’en payer le luxe, ni ici, ni ailleurs. Le Luxembourg dépend trop de l’UE et doit s’en accomoder. Telle est la posture de raison.