La conversation s’échauffe, le débat suscité par la loi sur les chiens génère une fois de plus des jalousies contre les chasseurs, même si cette fois-ci, ils ont le mérite de bien avoir défendu leurs intérêts. Car le projet de loi prévoit l’obligation de tenir tous les chiens en laisse, sauf ceux qui accompagnent leurs maîtres à la chasse. Ce qui paraît logique, même s’il est difficile de concevoir le bien-fondé de l’obligation extrêmement restrictive de devoir tenir tous les chiens en laisse.
Pour les adversaires de la chasse, cette exception est une nouvelle preuve de la puissance du lobby des chasseurs. La loi sur la chasse date du 19e siècle et n’a subi que des adaptations ponctuelles. Aucun ministre n’a osé la réformer, même si l’acceptation par une grande partie de la population – de ce qu’elle estime être davantage un hobby pour nouveaux riches qu’une façon respectable de s’occuper de l’équilibre écologique de la faune – diminue à vue d’oeil.
Le ministre de l’Environnement Lucien Lux (LSAP) avait annoncé dès son entrée en matière la tenue d’un débat d’orientation au parlement – une façon élégante de refiler la patate chaude aux députés et de gagner du temps. Un questionnaire fut élaboré et envoyé aux différents organismes concernés par la chasse : associations de défense de la nature et des animaux, gardes forestiers, chasseurs etc. Les réponses ont été regroupées et résumées. Un deuxième volet considéré par les députés est la législation et l’organisation de la chasse dans les pays voisins et la Suisse.
Il est temps de tirer les conclusions. Le rapporteur Romain Schneider (LSAP) compte faire culminer la discussion par la tenue d’un colloque plutôt que par le débat d’orientation annoncé. Un événement auquel participeront les différentes associations et qui donnera la parole aux experts. Un acte symbolique, une dernière tentative désespérée de concilier les parties pour les députés casques bleus avant d’abattre les cartes et rendre un avis au ministre de l’Environnement. Romain Schneider avance la date du 31 mars pour remettre ses conclusions à Lucien Lux : « Nous nous concentrons sur trois volets. D’abord la sécurité de tous les usagers de la forêt. Cela signifie que les chasses doivent se dérouler sous des conditions de sécurité déterminées. Ensuite, il y a le volet du nourrissage du gibier et enfin celui de l’organisation des syndicats de chasse. »
Trois volets qui fâchent. La sécurité des usagers de la forêt lors d’une chasse ne semble cependant pas être la première préoccupation des associations. Celles-ci n’arrivent déjà pas à s’entendre sur la manière dont le public doit se comporter en temps normal en forêt. La Fédération Saint Hubert des chasseurs du Grand-Duché de Luxembourg voudrait réduire à un strict minimum « l’intrusion» de promeneurs, de cueilleurs de champignons, de sportifs en tout genre etc. parce qu’ils dérangent la faune.
Les associations de défense des animaux et de protection de la nature sont plutôt d’avis qu’il faut couper court aux agissements des chasseurs ; certains de leurs membres n’hésitent pas à se présenter sur les lieux lors d’une battue pour manifester leur désaccord. Quelques associations sont même totalement opposées à la chasse et soutiennent que la nature est bien capable de se réguler elle-même à condition que l’homme s’y tienne à l’écart. D’autres, considérées plus réalistes, pensent que faute de prédateurs comme les loups ou autres rapaces disparus, c’est à l’homme de veiller à ce qu’un type d’animal ne devienne pas envahissant et ne cause trop de dégâts aux arbres et aux plantations agricoles à la lisière du bois.
Une majorité s’est prononcée pour une réforme de la chasse, pour plus de contrôle du gibier et du bon déroulement des chasses. Un grand nombre d’associations de défense des animaux et de la nature sont aussi pour l’introduction de gardes-chasse professionnels qui seraient en charge de réguler le nombre de bêtes, d’éliminer les animaux faibles ou malades pour éviter les épidémies et d’établir régulièrement des inventaires, statistiques et évaluations scientifiques de la faune. Ce qui signifie que les chasseurs traditionnels, considérés comme des « chasseurs-loisir », n’auraient plus leur place dans la forêt. C’est notamment une des principales revendications de l’association Bof – Beweegung fir d’Ofschafe vun der Fräizäitjuegd1, créée l’année dernière.
Outrés par un tel affront, les chasseurs soutiennent qu’au contraire, il faut leur donner plus de moyens d’agir. La Fédération des chasseurs invite le gouvernement à lui conférer le statut légal et à inscrire dans la loi que la chasse sur l’intégralité du territoire non urbanisé est d’intérêt général. Une formulation astucieuse qui permettrait d’éviter des jugements embarrassants comme celui d’Yvette Wirth, propriétaire de forêt et opposante à la chasse, qui avait obtenugain de cause. Car l’organisation des syndicats de chasse ne laisse pas le choix aux propriétaires d’en faire partie ou non. Les juges ont estimé que l’obligation d’adhésion au syndicat de chasse constitue une ingérence de la liberté d’association qui n’est pas justifiée. D’après ce jugement, les chasseurs sont en principe obligés de contourner les parcelles des propriétaires qui font objection et qui ne veulent pas faire partie d’un syndicat. Si la loi conférait à la chasse le statut d’intérêt général, celui-ci primerait sur la liberté d’association et les chasseurs auraient de nouveau libre accès à toutes les parcelles de la forêt.
La Fédération souhaite en outre que les politiques évitent de trop légiférer, l’État doit se contenter de jouer avant tout un rôle de surveillance et de contrôle. Or, les signaux vont dans le sens opposé.Car les chasseurs ont un grave problème de crédibilité. Notamment à cause du nourrissage du gibier, qu’ils continuent à défendre bec et ongles. L’administration des Eaux et Forêts avait fait réaliser trois études par des scientifiques étrangers indépendants sur les effets du nourrissage (voir d’Land du 16 janvier 2004). Ceux-ci avaient tiré la conclusion que les chasseurs luxembourgeois en abusaient, avec pour effet une explosion du cheptel. Ce qui explique en grande partie les dégâts causés aux jeunes pousses et aux plantations agricoles. Une étude réalisée par l’administration montre d’ailleurs que la moitié de l’alimentation des sangliers est issue du nourrissage artificiel.
Toutefois, la Fédération campe sur ses positions et continue à défendre le nourrissage. Un autre phénomène qui jette le doute sur la bienveillance des chasseurs est la pratique illégale de lâcher du gibier élevé par l’homme. En novembre dernier, l’administration signalait quatre cerfs suspects répertoriés en 2004 qui s’étaient comportés de façon trop docile. Après deux ans d’analyses et de comparaison génétique avec le cheptel existant de la Grande-Région, il s’avérait qu’il ne s’agissait pas de cerfs locaux, qu’ils avaient donc été lâchés. Probablement pour la chasse aux trophées.
Les chasseurs se retrouvent dos au mur et se battent par tous les moyens. Certains membres de l’asbl Bof se plaignent d’être régulièrement victimes de campagnes de diffamation. Même la presse est mise sous pression. Contacté par le Land, un journalistedu Wort admet avoir eu des ennuis à la suite d’un article publié sur la nouvelle association. Le président de la Fédération Saint-Hubert des chasseurs, Jos Bourg, serait intervenu auprès de son supérieur pour obtenir son licenciement – ce qui n’a pas été le cas. Reste que le chasseur a ensuite pu expliquer sa vision des choses sur une page entière du quotidien.
En 2005, poussé par la peste porcine, le ministre de l’Environnement avait tenté de régler une partie des problèmes urgents en déposant un projet de loi qui prévoyait la tenue de chasses administratives et la limitation ou l’interdiction du nourrissage (voir d’Land du 1er avril 2005). Or, le ministre doit revoir sa copie après une oppositionformelle du Conseil d’État qui préfèrerait que la marge d’appréciation du ministre soit fixée par un cadre légal précis. En général, les Sages font surtout remarquer qu’il serait temps de réformer le droit de la chasse de fond en comble et de l’adapter aux exigences internationales plutôt que de se contenter de retouchesponctuelles par un « texte lapidaire dont le contenu est une fois de plus dicté par les impératifs du moment. » La parole est aux députés.
1 www.bof.lu