édito

Kal Häerzer

d'Lëtzebuerger Land du 13.12.2024

Personne ne sait exactement ce qu’il faut penser des nouveaux détenteurs du pouvoir en Syrie. Mais des gouvernements européens pensent que le moment est déjà venu de bloquer les demandeurs d’asile syriens, si pas de se préparer à les expulser.

À peine un jour après la prise de Damas par les factions rebelles syriennes dirigées par le mouvement islamiste de Hayat Tahrir al-Sham, plusieurs pays européens, l’Autriche d’abord, suivie de près par la Belgique, l’Italie, l’Allemagne, la Grèce, puis les Pays-Bas, ont révisé leurs politiques migratoires, fermant leurs portes aux demandeurs d’asile syriens. Dans ce sillage, le ministère des Affaires intérieures luxembourgeois a annoncé mardi qu’il suspendait « momentanément » l’examen des demandes de protection internationale des ressortissants syriens. 825 personnes sont concernées.

On s’étonne de la rapidité de ces décisions. Comme si, en un claquement de doigt, les Syriens n’étaient plus en danger s’ils retournaient dans leur pays d’origine. Or, selon l’évaluation actuelle du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, les conditions d’un retour sûr et digne en Syrie ne sont pas réunies pour le moment : Des combats se poursuivent dans certaines parties du pays, la stabilité politique n’est pas encore assurée et le pays a été dévasté par des années de guerre. La fin du règne du clan Assad ne signifie pas que les ressortissants Syriens n’ont soudainement plus besoin d’une protection.

Ces décisions interviennent alors que les partis d’extrême droite et anti-immigration ont gagné en popularité dans toute l’Union européenne au cours des derniers mois. En Allemagne, des élections anticipées auront lieu en février et la CDU de Friedrich Merz, talonnée par l’AfD, n’est pas celle d’Angela Merkel qui avait ouvert grand les portes du pays à un million de réfugiés syriens en 2015. En quête d’un exécutif, Emmanuel Macron ne veut pas voir les électeurs tomber dans les bras de Marine Le Pen. En Belgique le nationaliste flamand Bart De Wever a été nommé formateur du futur gouvernement.

Les associations d’aide et de défense des réfugiés craignent que, poussés par le populisme ambiant, les gouvernements transforment la suspension des demandes d’asile en expulsions. Le ministre de l’intérieur autrichien Gerhard Karner parle déjà d’affréter des avions pour un « programme de rapatriement ». Face à la Chambre des députés, son homologue luxembourgeois, Léon Gloden (CSV) affirmait mardi qu’il n’était pas question de renvoyer des gens « s’ils sont intégrés ici, s’ils travaillent et si leurs enfants sont scolarisés ici ».

Les Syriens vivant au Luxembourg connaissent des situations variées qui n’entrent pas forcément dans les cases simplistes de savoir s’ils travaillent ou pas. Les principales craintes des associations concernent le regroupement familial : des jeunes d’une quinzaine d’années attendent d’être rejoints par leurs parents, une femme dont la fille est en Syrie n’arrive pas à la faire venir, des hommes ont entrepris des démarches pour amener leur épouse… Toutes ces procédures sont bloquées. Déjà que le Luxembourg a du mal à respecter les délais pour les procédures d’asile, mettre les demandes sur pause risque de les retarder encore plus et de laisser les demandeurs dans l’angoisse et la souffrance. Les bénéficiaires dont le titre de séjour, valable cinq ans, arrive bientôt à échéance s’inquiètent aussi de savoir s’il sera renouvelé. Risquent-ils d’être expulsés malgré le ton rassurant du ministre des Affaires intérieures ?

À la fin de la guerre au Kosovo, on a estimé que la région retrouverait rapidement la voie de la démocratie et de la stabilité. À l’été 2001, des « rapatriements » de bosniaques du Monténégro et de familles albanaises ont eu lieu de manière musclée et expéditive. En novembre 2002, des demandeurs d’asile ont été expulsés à tour de bras vers le Monténégro. La plupart d’entre eux étaient arrivés au Luxembourg pendant la guerre du Kosovo et se sont vu refuser le statut qaund la guerre était finie. À l’époque, le ministre en charge était celui de la Justice, un certain Luc Frieden. Il martelait (déjà) les arguments légalistes que Léon Gloden utilise aujourd’hui quand on vire des déboutés et leurs familles des centres d’hébergements : la loi, rien que la loi. Mais qui fait la loi ?

France Clarinval
© 2024 d’Lëtzebuerger Land