Cinémasteak

Diamant rose

d'Lëtzebuerger Land du 17.01.2020

En quinze ans, le Portugal est devenu l’un des foyers les plus créatifs du cinéma européen. Longtemps réduit à quelques figures tutélaires comme João César Monteiro ou Manoel de Oliveira, une nouvelle génération de cinéastes a émergé dans le paysage cinématographique lusitanien. Les films singuliers qui nous sont parvenus ces dernières années sont en effet nombreux. Dans un pays dont on connaît les mœurs très conservatrices, João Pedro Rodrigues faisait sensation en 2001 avec le bien nommé O Fantasma avant de récidiver en 2016 avec L’Ornithologue, dans lequel l’iconographie chrétienne, à la façon de Pasolini, cristallisait la fascination homosexuelle du cinéaste. Sélectionné au Festival de Locarno, le film de João Pedro Rodrigues y recevait le prix de la meilleure réalisation. Dans une veine plus politique, Pedro Costa s’est fait connaître avec des films dont le style épuré et austère rappelle l’esthétique de Jean-Marie Straub, comme dans La chambre de Vanda (2000) ou En avant jeunesse ! (2006), tous deux tournés dans le bidonville lisboète de Fonthainas. Du côté du documentaire, on doit au duo formé par Joaquin Pinto et Nuno Leonel des films aussi délicats et poétiques que E Agora ? (2013) ou Rabo de Peixe (2015), exploration anthropologique parmi les pêcheurs des Açores. La consécration de Tabou, enfin, signera la reconnaissance internationale du « nouveau » cinéma portugais. Depuis, Miguel Gomes aura recueilli les doléances de ses compatriotes dans Les Mille et Une Nuits (2015), fresque populiste débutant par un monumental plan-séquence sur le port de Viana do Castelo. Un vibrant hommage rendu aux ouvriers et pêcheurs du coin.

Parmi les dernières productions réjouissantes venues du Portugal figure Diamantino (2018), d’après le surnom de son héros. Soit le « petit diamant » de l’équipe nationale de football. Il faut évidemment voir dans cet athlète à l’antique musculature et à la tête (creuse) de beau-gosse une allusion à la star portugaise Cristiano Ronaldo. Le jeune homme vit donc dans le luxe, entouré d’un père qui l’aime et de deux sœurs-harpies qui vivent à ses crochets. Mais voilà : après un penalty manqué, qui verra l’élimination (par la Suède !) du Portugal lors de la dernière finale de la coupe du monde, Diamantino perd brusquement son père, emporté d’un infarctus devant son poste de télévision... Notre athlète entre alors en crise, annonçant, sur un plateau TV, vouloir mettre fin à sa carrière et adopter un « petit réfugié ». On s’écarte ainsi du stade et de ses dieux pour pénétrer dans la triste intimité d’un jeune homme seul, à la psychologie d’enfant. Une immaturité souvent hilarante dans le cadre de cette fable farfelue, mais qui peut être aussi dangereuse lorsqu’elle est sujette à toutes sortes de mystification et instrumentalisation politique.

Grand prix de la Semaine de la critique au Festival de Cannes, Diamantino étonne par son exubérance, sa loufoquerie, ses excentricités (on songe parfois aux photos kitsch de Pierre et Gilles), malgré les sujets graves qu’il se contente d’effleurer. Par ses coloris artificiels, ses incroyables envolées narratives, comme par ses préoccupations identitaires et existentielles (l’hermaphrodisme, la quête d’amour), le film de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt revêt une sensibilité proche de celle de João Pedro Rodrigues. Une tendance esthétique aussi bien apparue cette année-là en France avec les films de Yann Gonzales (Un couteau dans le cœur) et de Bertrand Mandico (Les garçons sauvages). Là encore, Jean Genet, Pier Paolo Pasolini et Fassbinder ne sont pas très loin.

Diamantino de Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt (France-Portugal, 2018, vostf, 96 mn.) est projeté le mercredi 22 janvier à 20h30, Cinémathèque de la Ville de Luxembourg, place du Théâtre

Loïc Millot
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