Éditorial

Le sinistre

d'Lëtzebuerger Land du 30.07.2021

Le 9 mars 1990, le Land revenait sur le violent ouragan qui venait de ravager le Grand-Duché, découvrant des centaines de toits et arrachant 1,4 million de mètres cubes de bois. (La partie du Bambesch entre le Rollingergrund et le Bridel en porte encore les cicatrices.) Au journaliste de soulever la question : « Die Frage, ob wir in den vergangenen Wochen erste Vorboten eines weltweiten Klimaumschwungs erlebten, hat unter Wissenschaftlern eine Kontroverse ausgelöst, die Charakterzüge eines theologischen Disputs trägt ». Face à la violence du dérèglement climatique, le Land évoque un malaise diffus, « eine Art Demut, gepaart mit dumpfen Angstgefühlen ». En parcourant les éditions de 1989 à 1991, on se rend compte que le sujet était abondamment traité. En amont de la conférence internationale de Rio, l’accumulation des gaz à effet de serre et leur nécessaire réduction étaient abordées dans plus de douze articles. Plutôt que de « Klimawandel », l’hebdomadaire parlait de « Klimakatastrophe ».

Le 4 mars 1990, le journal télévisé de RTL Hei Elei était quasi exclusivement consacré à l’ouragan. Le vice-président de l’Association des compagnies d’assurances (Aca) expliquait que les contrats contre les tempêtes seraient « très bon marché » : « Pour la simple raison que les tempêtes sont très exceptionnelles au Luxembourg ». Le JT sur l’ouragan était précédé de deux spots publicitaires : Le premier vantait les mérites du mazout (« Sécher, propper, bëlleg »), le second ceux de l’assureur La Luxembourgeoise (« An all Gefor »). Une année après l’ouragan, le conseil de Lalux constatait que « le portefeuille Tempête a plus que doublé, le public s’étant rendu compte de la possibilité de sinistres catastrophiques ». Aujourd’hui, les garanties tempête et grêle sont devenues un produit lambda. (Dans le secteur, on estime que 80 pour cent des ménages en auraient souscrit.) La tornade de 2019 a agi comme un cruel rappel.

Après la dévastation de la vallée de l’Ernz en juillet 2016, le ministère des Finances ordonna aux compagnies d’assurances de compléter leur gamme par une garantie (optionnelle) contre les inondations. Jusque-là, les assureurs avaient estimé que seuls les riverains de la Moselle ou de la Sûre étaient potentiellement intéressés, et qu’une mutualisation des risques au niveau national serait donc impossible. Mais les pluies diluviennes qui ont marqué ces derniers étés ont changé la donne. Sous la houlette gouvernementale, les assureurs se mirent donc d’accord sur de nouveaux standards minimaux. Alors que pour 99 pour cent des ménages, les dommages remboursés ont été fixés à 200 000 euros, le pour cent résidant dans des « zones inondables » (lors de crues « décennales ») doit se contenter de 20 000 euros. « Plus de cinquante pour cent » des ménages auraient souscrit une assurance inondations, estime l’administrateur délégué de l’Aca, Marc Hengen.

Les pluies diluviennes du 14 au 15 juillet auraient coûté aux assurances 120 millions d’euros : « La catastrophe la plus coûteuse de l’histoire de l’assurance luxembourgeoise », écrit l’Aca dans un communiqué. Elle révise donc significativement ses premières estimations qui tablaient sur des dommages à hauteur de cinquante millions d’euros. Et encore : l’Aca ne prend en compte que les dommages assurés. Si on y ajoute les infrastructures publiques et les dommages privés non assurés, le coût total sera beaucoup plus élevé. Les assureurs font le constat d’une série de « catastrophes naturelles » : les inondations dans la vallée de l’Ernz (2016), la tornade au-dessus de Pétange et de Käerjeng (2018) et les pluies torrentielles de ce juin. Pris ensemble, ces trois événements leur auraient coûté 230 millions d’euros en indemnisations. (Une série de calamités météorologiques à laquelle on pourrait ajouter la canicule de juillet 2019, lorsque le thermomètre dépassait les quarante degrés Celsius, et la sécheresse du printemps 2020.) Une grande partie des indemnisations aura été couverte par les sociétés de réassurance. Celles-ci ont toujours été à la pointe de la recherche sur le réchauffement climatique et furent parmi les premières à tenter d’en quantifier le prix. Mais si les assureurs vantent leur « solidité financière », Marc Hengen ne cache pas que les primes vont augmenter. Comme pour la pandémie, l’État se profile comme l’assureur en dernier ressort. Mais le monde de demain paraît de moins en moins assurable.

Bernard Thomas
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