Les vins luxembourgeois ne sont pas reconnus à leur juste valeur à l’étranger. Alors que ceux qui passent le plus les frontières ne sont pas forcément les meilleurs… La vision constructive de quelques domaines donne de l’espoir

À l’épreuve de l’export

d'Lëtzebuerger Land du 23.07.2021

Il n’y a aucune raison objective qui serait liée à la qualité de nos vins. Allez goûter les rieslings des domaines Alice Hartmann (Wormeldange), Schmit-Fohl, Berna, Clos Mon Vieux Moulin (Ahn), L&R Kox (Remich) Schumacher-Knepper (Wintrange), Henri Ruppert (Schengen), du Clos des Rochers (Grevenmacher) et on en passe, ils valent certainement les vins des pays précités. Le constat est plutôt d’ordre quantitatif : les locaux boivent pratiquement toute la production ! Avec huit à onze litres de vins luxembourgeois (crémants mousseux et vins tranquilles) consommés par an et par adulte selon les années, soit un petit quart des quarante à 45 litres de vins bus en tout), la consommation luxembourgeoise est l’une des plus élevée au monde. Comme toujours, il faut pondérer ces chiffres puisque les voisins ramènent aussi des bouteilles de l’autre côté de la frontière. En tout cas, avec tous ces achats locaux et un périmètre viticole restreint (1 300 hectares environ, cinq fois plus petit que l’Alsace), il ne reste plus beaucoup de vins à exporter une fois que la soif locale est étanchée.

La plupart des petits domaines n’ont donc pas vraiment besoin d’exporter pour vendre leur récolte. S’ils le font, c’est souvent pour le prestige : être servi sur de belles tables, c’est une belle publicité pour les clients habituels, pas mécontents de savoir que leur frigo contient des flacons appréciés par de prestigieux prescripteurs étrangers.

Le champion en la matière est sans doute le domaine Alice-Hartmann. Ce n’est pas un hasard : il est le seul domaine privé aux mains d’investisseurs (Pierre Wesner et son fils, Jos) qui n’étaient pas des vignerons à leurs débuts. De cette culture différente naît des réflexes et des ambitions différents. Lorsque le domaine a investi beaucoup d’argent dans la construction de sa nouvelle cave et la rénovation de la maison de maître attenante (avec des matériaux nobles et des artisans d’art), c’est aussi pour développer sa notoriété dans un concept global. Ce concept met en avant la tradition comme allant de pair avec la recherche de la plus haute qualité pour un style de vins bien défini et clairement identifiable. Tous les éléments de l’image de marque doivent donc être placés au plus haut niveau. Un plan d’affaires rondement mené et une tactique qui devrait être davantage louée que critiquée.

La politique commerciale du domaine est pilotée par le seul directeur commercial parmi les producteurs indépendants, André Klein. Ancien meilleur sommelier du Luxembourg (2004), embauché par Alice-Hartmann l’année suivant ce sacre, il a construit un réseau au cordeau. « Mon but n’est pas nécessairement que l’on trouve nos bouteilles sur les meilleures tables, il faut d’abord que les lieux l’où on nous trouve aiment le vin et le mette en valeur comme il faut », explique-t-il. Alors que le Luxembourg est déjà bien quadrillé, le domaine Alice-Hartmann vise désormais la France et particulièrement sa capitale. Sûr de la qualité de ses vins et de ses crémants, la stratégie d’André Klein est d’entrer par la grande porte. Ainsi, le 21 septembre dernier, il a réussi à placer son riesling Les Terrasses 2018 au dîner de gala des Sommeliers de Paris, donné au Pavillon Cambon-Capucines. Pour se faire connaître par les meilleurs professionnels, c’est une stratégie gagnante puisque parmi les 300 convives on retrouvait des stars de la profession comme Philippe Faure-Brac ou Serge Dubs, par exemple. « C’est Olivier Poussier (meilleur sommelier du monde en 2000, ndlr) qui nous a choisi », indique-t-il pas mécontent. Au cours du repas, la bouteille a été commentée sur le podium par Paz Levinson, sommelière-exécutive argentine du groupe Anne-Sophie Pic (plusieurs restaurants étoilés en France, Grande-Bretagne et en Suisse) et vieille connaissance de la maison de Wormeldange puisque l’experte était venue faire une étape par le domaine lors de sa préparation pour le Concours de Meilleur sommelier du Monde en 2015 (où elle s’était classée quatrième). Ces efforts commencent à payer, les vins d’Alice-Hartmann étant de plus en plus présents sur des tables de grande renommée, à l’image de celles du chef Thierry Marx. Le réseau parisien devrait d’ailleurs prochainement s’élargir, des discussions encourageantes sont en cours.

Les acteurs majeurs de l’expédition sont les deux plus grands acteurs du pays : Bernard-Massard et Vinsmoselle. Le premier est celui qui s’en sort le mieux… mais avec un vin hors appellation. La Cuvée de l’Écusson est un vin mousseux produit selon la méthode traditionnelle (la même que pour le crémant ou le champagne), mais elle ne peut prétendre à aucune indication de territoire, donc pas au terme « crémant du Luxembourg », puisque bien qu’élaborée dans les caves de Grevenmacher, les raisins qui la composent ne viennent pas du Luxembourg. Créée à l’occasion du cinquantième anniversaire des caves qui double leur âge cette année, la Cuvée de l’Écusson n’en reste pas moins une sacrée réussite à l’international. Antoine Clasen, le directeur général, est passé par HEC et ça se voit. Plutôt que de s’éparpiller, il a ciblé quelques pays qui répondent parfaitement à ses attentes. Outre la Belgique, qui est le marché historique, les bulles sont notamment expédiées en Finlande (la cuvée de l’Écusson est dans le top 10 des vins effervescents les plus vendus) et au Québec (la Cuvée de l’Écusson est sur le podium des effervescents rosés).

Toutefois, le principal exportateur de vins luxembourgeois est Vinsmoselle. Cela n’a rien de surprenant puisque les adhérents de la coopérative travaillent plus de la moitié (52 pour cent) des vignes du pays. Les chiffres sont cependant tout de même spectaculaires : les domaines Vinsmoselle exportent… 92 pour cent des vins sous appellation d’origine protégée Moselle luxembourgeoise. La composition des palettes qui passent les frontières est radicalement différente de celles des vignerons indépendants puisque ce sont en écrasante majorité des vins d’entrée de gamme (en bouteilles ou en bag-in-box) qui sont envoyés dans les rayons des supermarchés. Cette situation doit se comprendre comme l’héritage d’un passé où les vignerons luxembourgeois produisaient essentiellement un vin de soif dont le marché belge était friand.

De grosses quantités (avec même une augmentation de quatre pour cent l’année dernière), mais peu de marge et une image de marque maintenue au minimum syndical. Ce n’est pas nécessairement une bonne idée et le directeur de Vinsmoselle, Patrick Berg, le sait. Il reconnaissait dans une interview à Vinorama, « nous essayons de placer des produits plus haut de gamme, mais ce n’est pas évident, la demande porte surtout sur les vins bon marchés. Mais nous espérons que les clients ont apprécié et qu’ils se laisseront bientôt tenter par nos grands premiers crus ». Incontestablement, il s’agit d’un gros défi, indéniablement une des priorités pour Vinsmoselle.

Erwan Nonet
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