L’additif s’il vous plaît

d'Lëtzebuerger Land du 01.06.2018

Quand vient juin, arrive la pleine saison du sport national luxembourgeois, amplifiée les années paires comme 2018 par la caisse de résonnance que lui procurent les compétitions internationales de football. Ici, ce n’est pas tant le temps des cerises que le temps des saucisses qui fait vibrer les cordes sensibles. Il a déjà été question dans ces colonnes, à plusieurs reprises, de la figure de l’homme face à son barbecue, véritable icône du lifestyle luxembourgeois. Cette fois-ci, il sera question des autres protagonistes de la scène, celles qui se trouvent du mauvais côté de la fourchette : les saucisses.

Une viande à moins de dix euros le kilo, ça laisse toujours un peu perplexe. Penchons-nous donc sur ce qui se cache derrière le boyau de porc, explorons la face cachée de la charcuterie, et voyons comment sont fabriquées les Grillwurscht, le côté Yin de nos barbecues (le yang ne revenant pas aux Treipen, qui ont tendance à éclater et se consomment plutôt l’hiver sous nos latitudes, mais aux Mettwurscht, dont la farce plus grossière laisse moins de doute quant à la composition). À l’heure du recyclage généralisé, comment ne pas voir un acte citoyen dans le fait d’emballer les déchets d’abattoirs dans de petits sachets en boyau pour en faire des produits comestibles ? Cependant, si le scandale dit « de la viande de cheval » semble avoir été supplanté par celui des émissions des moteurs diesels, l’heure reste à la méfiance vis-à-vis de ce que les industriels veulent nous faire avaler. Face à l’étiquette listant la composition de la Grillwurscht, le commun des mortels se sent un peu comme Louis de Funès dans le film L’aile ou la cuisse, où il incarne Charles Duchemin, en guerre contre Tricatel et son empire industriel de la malbouffe.

En principe, la « vraie » Thüringer doit contenir de la marjolaine, de l’ail et du carvi. En réalité, la Thüringer de nos rayons, qui n’a de toute façon plus le droit de s’appeler ainsi, contient du dextrose, de l’exhausteur de goût (E621), des stabilisants (E450, E471), de l’antioxygène (E300) et un soupçon d’acidifiant (E262).

Face à ces ingrédients venus d’un autre monde, carbonates, phosphates, diphosphates, glutamates, pyrophosphates d’un côté, acides citrique, benzoïque, ascorbique, malique de l’autre, on se sent un peu tel un enfant à la recherche de LA vignette Panini manquante dans son album aux pages de l’équipe de l’Arabie Saoudite ou de l’Islande, qui ne sait plus s’il a déjà Osama Hawsawi, Omar Hawsawi ou Motaz Hawsawi, ni s’il lui faut Ragnar Sigurdsson, Gylfi Sigurdsson ou Björn Sigurdarson. Selon le même principe que pour les vignettes autocollantes, on a donc ajouté des numéros, précédés par la lettre E, pour permettre au commun des mortels de s’y retrouver dans le dédale des additifs alimentaires. Ainsi, les E1.. sont les colorant, les E2.. les conservateurs, les E3.. les antioxydants, les E4.. les agents de texture (émulsifiants, gélifiants…), les E5.. les acidifiants, les E6.. les exhausteurs de goûts et les E9.. les édulcorants.

Si l’on peut certainement être confiant dans le fait que les industries alimentaires n’ont aucun intérêt à nous tuer, puisque nous sommes leurs clients, il n’en reste pas moins qu’on peut se demander à quoi ressemblerait une Grillwurscht sans diphosphate, glutamate ni antioxygène. Une saucisse sans ces ingrédients honteux serait-elle comme un top-modèle sans photoshop ? Face à cette interrogation légitime, deux solutions : me lancer moi-même dans la fabrication d’une telle saucisse, vierge de tout additif, ou rechercher l’information auprès des spécialistes. Et là je ne remercierais jamais assez la FAO (organisme de l’Onu pour l’alimentation et l’agriculture) d’avoir publié un Codex Alimentarius, contenant notamment une norme (énorme) pour les additifs. La consultation de ce document de quelques centaines de pages offre au commun des mortels un excellent somnifère naturel, mais m’a surtout évité d’investir dans une machine à embosser les saucisses. Si l’on résume, et sur foi de cette publication qui a l’air tout à fait digne de confiance : sans diphosphate, la chair ne serait pas assez ferme. Sans glutamate, la saucisse paraitrait trop fade. Sans acétate de sodium, elle risquerait d’être trop acide. Sans émulsifiant, il serait difficile d’avoir un mélange aussi homogène entre les protéines de viande, l’eau et la graisse. Sans anti-oxygène, la conservation de la saucisse serait beaucoup moins longue, et elle aurait vite un goût de rance. Bref, à moins d’investir vous-même dans la fameuse machine à embosser les saucisses citée plus haut, ou de vivre à proximité d’un boucher bio, il va falloir vous y résoudre : on ne fait pas de saucisse sans cacher des E. 

Sinon, une côte de bœuf, ou des sardines fraîches, c’est pas mal non plus.

Cyril B.
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