Jean-Claude Lasar

Contemporain par tradition

d'Lëtzebuerger Land du 18.03.2010

Il est né avec un destin tout tracé qui aurait pu être une lourde charge s’il n’avait hérité, en plus du magasin, du gène de l’esthétique transmis génération après génération dans sa famille. Fils de et fier de l’être, Jean-Claude Lasar co-dirige avec son père le magasin Mobilier Bonn qui a pignon sur rue Philippe II. Une place de choix, occupée depuis plus de 150 ans par la famille puisque le premier magasin de meubles fut fondé par son arrière-arrière grand-père. Portant haut le fanion de la cinquième génération, Jean-Claude Lasar se sent très tôt tout naturellement attiré par le dessin et c’est sans trop d’hésitation qu’il se lance dans des études de décoration d’intérieur à Penninghen, l’École supérieure de design, d’art graphique et d’architecture intérieure de Paris. Reçu sur concours, il ressort deuxième de sa promotion, preuve s’il en est que sa vocation est avérée. Histoire de se forger une expérience et peut-être aussi de se faire les dents, il enchaîne sur deux années parisiennes dans un cabinet d’architecture d’intérieur, avant de réintégrer ses pénates luxembourgeoises, ainsi que c’était écrit.

Son retour coïncide avec le réaménagement du grand magasin Bonn, inchangé depuis les années 1960. Des 3 000 mètres carrés existants, seuls 800, stratégiques, sont retenus. Jean-Claude Lasar les repense en trois étages essentiels pendant que tout le reste est transformé en patrimoine immobilier, entre bureaux, appartements et galerie commerciale. La nouvelle formule du magasin se veut haut de gamme, en parfaite adéquation avec l’orientation de la rue passante, favorisant les marques les plus élégantes du design italien notamment. L’activité commerciale prend le dessus, mais Jean-Claude Lasar ne renonce pas pour autant à sa passion. La réorganisation du nouveau magasin tout d’abord, des projets ponctuels à droite et à gauche et des grands chantiers tels que la Chambre de commerce, la Cour des comptes, la cafétéria de la Philharmonie ou l’espace restauration du nouvel aéroport le confirment dans sa vocation. Aujourd’hui, il entend bien intensifier cette activité, se sentant en fin de compte plus une âme d’architecte d’intérieur que de décorateur.

Sa clientèle, Jean-Claude Lasar la voit évoluer derrière sa vitrine. Il y a la section bureau qui constitue une part importante de l’activité de l’établissement. Beaucoup d’institutions bancaires ont recours à ses services, même si la crise récente a rendu tout renouvellement intempestif de mobilier politiquement incorrect. Mais Jean-Claude Lasar semble confiant, Mobilier Bonn occupe un créneau en fin de compte peu fréquenté par la concurrence et plébiscité par une clientèle luxembourgeoise fidèle. Ces particuliers sont aisés et en demande, le plus souvent déjà initiés au design et au mobilier contemporains par leurs nombreux voyages ou leur curiosité personnelle. Même s’ils n’osent pas toujours oser. Les tons restent neutres, les classiques du design sont sûrs de trouver acquéreur au détriment de dessins plus inédits. Peu d’extravagance donc, mais un véritable penchant pour le contemporain que Jean-Claude Lasar explique par une tradition du patrimoine beaucoup plus récente qu’ailleurs et par une histoire du mobilier local assez mince. Rustique par excellence, le mobilier traditionnel luxembourgeois manque selon lui de cette sophistication raffinée que recherchent aujourd’hui ses clients – sans pour autant remiser l’armoire de grand-mère qui trône toujours dans le salon.

La ville aujourd’hui, il la trouve de plus en plus belle et se réjouit de ne plus reconnaître le « bourg provincial » de son enfance, tout en regrettant quelque peu que les enseignes typiquement locales deviennent peau de chagrin. Une perte d’authenticité en quelque sorte. Là où son sang d’esthète ne fait qu’un tour, c’est lorsqu’il s’agit du mobilier urbain qu’il n’hésite pas à qualifier de « ringard », en complète inadéquation avec l’évolution actuelle de la capitale. Dans son magasin, Jean-Claude Lasar fait la part belle à l’objet d’art, n’hésitant pas à exposer des œuvres d’artistes ou de jeunes designers encore peu connus. Une prise de risque dans l’espoir que les gens traitent l’objet design avec respect, comme un véritable objet d’art. Et d’après lui, la révolution est déjà en marche.

Mobilier Bonn, 9 Rue Philippe II ; téléphone : 22 32 01, e-mail : info@bonn.lu
Romina Calò
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