Les vingt ans de l'Asti

Contre la non-politique

d'Lëtzebuerger Land du 23.12.1999

C'est un tenace. Les photos-souvenirs des premières manifestations de l'Asti, l'association de soutien aux travailleurs immigrés, il y a donc vingt ans, le montrent déjà avec sa grande barbe, sauf qu'elle fut noire à l'époque. Une photo ? Non, pas seul, il préférera être photographié avec ses collègues de l'équipe. N'empêche qu'on a tendance à identifier l'Asti à son président, Serge Kollwelter, de confondre les deux. Probablement aussi parce qu'il est tellement tenace, toujours le plus exposé, porte-parole, initiateur, organisateur, militant vieille souche, pour les droits des autres.

Pendant des semaines, voire des mois au début de l'année, il attendait patiemment tous les vendredis devant la porte du ministère d'État, avant l'arrivée des journalistes pour le briefing du Premier ministre, avec un petit groupe de réfugiés bosniaques, kosovars, monténégrins, albanais demandant simplement le droit de travailler, le slogan « dignité par le travail » inscrit sur deux simples pancartes. Un permis de travail leur fut finalement accordé pour six mois cet été, prolongé pour six mois supplémentaires à la mi-décembre. 

Lors de l'expulsion des 36 réfugiés le 24 novembre dernier, l'Asti était là elle aussi, à manifester d'abord sa solidarité avec les uns, puis son désaccord avec les méthodes des autres. Devant la maison Thoss à Eich, deux pancartes affirment la solidarité avec les sans-papiers - avec cinq autres organisations actives dans ce domaine, l'Asti demande une régularisation des sans-papiers qui vivent et travaillent au noir au Luxembourg, dans des conditions de travail souvent catastrophiques (voir aussi l'article de Renato Cescutti du Sesopi-Centre intercommunautaire dans d'Land n°29/99).

Les vagues d'immigration se suivent et ne se ressemblent pas : après les travailleurs italiens ou portugais, ce sont maintenant les immigrants des pays tiers, non-UE, qui posent de nouvelles questions, ont de nouveaux besoins. « La seule constante dans la politique d'immigration luxembourgeoise est son absence : c'est une non-politique, on ne fait que réagir au lieu d'agir, » regrette Serge Kollwelter. Peu à peu, l'Asti s'est développée en lobby efficace vers l'extérieur, en machine à communiquer sur tous les thèmes touchant de près ou de loin les droits des non-Luxembourgeois - scolarisation des enfants romanophones, problèmes des réfugiés, directives, sommets et débats européens (comme les suites de Tampere)... « Pour être pris au sérieux, il ne suffit pas de critiquer, encore faut-il faire des propositions, » affirme Serge Kollwelter. Pour cela, un groupe de juristes bénévoles e.a. conseillent les travailleurs sociaux de l'Asti.

Les plus belles victoires, les plus beaux acquis, en vingt ans d'existence, ce sont pour l'Asti l'accès des résidents européens aux chambres professionnelles, au droit de vote, à la fonction publique. Des évolutions que le gouvernement pourtant n'a acceptées que suite à la pression européenne - et a en plus attendu d'être condamné par la Cour de justice européenne avant de s'exécuter. « Ce qui prouve que l'intégration n'est pas aussi loin qu'on aime à le prétendre, » estime Serge Kollwelter, et que le gouvernement attend toujours que les directives et traités européens lui soient imposés par les tribunaux avant de les adopter, alors que pourtant, le Luxembourg participe à leur élaboration.

Pour le président de l'Asti, le fait que le marché du travail en expansion s'alimente désormais en main d'oeuvre sur le marché de la grande région - quelque trente pour cent des actifs sont actuellement des frontaliers - a délocalisé les problèmes liés à l'immigration, tels que le logement, la scolarisation des enfants etc. Mais les grandes vagues de migration ne feront certainement pas halte devant le Luxembourg. Forteresse Europe ? « Quand les conditions de vie sont vraiment exécrables quelque part, les gens trouveront toujours une fente pour s'y glisser. On ne peut arrêter les migrations par des mesures répressives, » affirme Serge Kollwelter.

Or, Serge Kollwelter n'est pas mère Teresa, en vingt ans de travail, il y eut maintes dissensions - notamment de la part de ceux qui refusaient de se retrouver dans une structure paternaliste, qui, au lieu qu'on parle pour eux, demandaient à pouvoir parler eux-mêmes. L'Asti a, elle aussi, évolué, mais continue à défendre farouchement son indépendance politique.

Outre le travail politique et juridique, le travail d'information et d'aide à l'intégration, la sensibilisation interculturelle, contre le racisme et la xénophobie se font aussi en public, souvent de manière festive : participation au Festival de l'immigration ou co-organisation du Carnaval des cultures. « Pour l'essentiel la cohabitation entre Luxembourgeois et étrangers a été paisible, enviable même par rapport aux pays voisins, Est-ce dire pour autant qu'on en est venu à vivre ensemble dans les structures sociales, politiques, associatives voire religieuses ? Très souvent, il s'agit d'un côte à côte avec section pour étrangers, clubs sportifs à part ou messes pour étrangers dans le politique. La bonne situation économique recouvre d'éventuels antagonismes , évite des jalousies, ne permet pas à une extrême droite d'éclore » note-t-on dans la petite brochure éditée par leur feuille de liaison ensemble à l'occasion de l'anniversaire. 

Et Serge Kollwelter de dire son inquiétude face à l'émergence, au triomphalisme des xénophobes qui félicitaient le gouvernement de l'expulsion des réfugiés - une partie de la population peut-être discrète aujourd'hui au Luxembourg, mais qui attend de tels événements pour se manifester. L'Asti va faire un travail de recherche sur le potentiel xénophobe, même s'il n'y a plus de mouvement ouvertement organisé ou de formation politique d'extrême-droite.

À l'intérieur, l'Asti constitue aussi une maison d'accueil et d'information pour les étrangers et surtout les enfants : le Kannernascht n'assure pas seulement une possibilité de séjour après l'école, mais aussi un accompagnement des devoirs à domicile. L'Asti était aussi une des premières expériences d'éducation précoce. Le savoir et l'expérience acquis, par exemple pour l'apprentissage des langues étrangères, l'association va les éditer sous forme de cassette vidéo afin d'en faire profiter d'autres éducateurs. 

L'année prochaine sera donc pour l'Asti avant tout une année de célébration de cet anniversaire : en collaboration avec la Mission 2000-2001, elle accueillera l'exposition Un voyage pas comme les autres retraçant l'itinéraire d'un réfugié à la recherche d'un pays d'accueil dans une des rotondes des CFL (dès le 21 mars) et Frank Feitler est en train de monter un spectacle théâtral thématique - titre provisoire : Étranges étrangers - qui sera montré au théâtre et dans le cadre de la Caravane 2000 à partir de la mi-mars. 

josée hansen
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