« Il y a deux tragédies dans la vie : l’une est de ne pas satisfaire son désir et l’autre de le satisfaire ». La citation est d’Oscar Wilde mais cette conclusion pourrait venir à l’esprit de n’importe qui ayant un jour été confronté à la tentation.
Et cette notion de tentation m’a tout particulièrement interpellée ces derniers jours, notamment lorsqu’une de mes amies a poliment décliné mon invitation à goûter. « Tu comprends, jusqu’à Pâques, je ne mange plus rien de sucré. Et si je vois ton gâteau, je ne pourrais pas y résister ». Stupéfaction dans ma tête : comment ça tu ne manges plus rien de sucré ? Et pourquoi devrais-tu résister à mes pâtisseries ? Ils ne sont pas bons mes gâteaux ?!
Et c’est là que bim !, le mot est tombé : « Carême ». Ou plutôt jeûne, a-t-elle rapidement rectifié. Car athée revendiquée, mon amie a simplement choisi cette période bien pensée, entre beignets de Carnaval et lapins en chocolat, pour « détoxifier » son organisme. Tiens donc. Je pensais ce mot dépassé de mode, les excès des fêtes ayant depuis longtemps été digérés, puis je me suis rappelé l’avoir récemment revu en couverture d’un magazine féminin, associé au fameux concept du « body bikini à préparer avant l’été ». Hum…
Reste que l’idée de jeûne m’a interpellée. Et me détachant de cette image d’Épinal d’assiette désespérément vide, j’ai eu envie de me replonger dans ces pratiques antiques de Carême, Ramadan et autres Yom Kippour, bien au-delà des religions. Quels seraient les bienfaits de ces jeûnes, autres que du point de vue de la balance, et surtout – concept quasi incompréhensible pour l’épicurienne que je suis – pourquoi s’imposer de résister à la tentation quand il est si bon d’y succomber ?
Quelques lectures plus tard, j’apprends ainsi que si de prime abord, le jeûne fait pour beaucoup référence à une privation de nourriture, ce dernier peut être pratiqué tout différemment. Car s’il y a bien ceux qui optent pour une solution drastique, se limitant à un modeste repas par jour, d’autres, un peu à l’image de mon amie, choisissent uniquement de vider leur quotidien de tout ce qui leur fait très plaisir – chocolat, confiture, saucisson, vin – ou plus généralement loisirs, plaisirs, sorties et habitudes bien ancrées, comme l’utilisation des réseaux sociaux et de leur téléphone portable. Bref, des jeûnes sur mesure, adaptés à chacun, qui prennent alors une dimension plus spirituelle qu’alimentaire et de fait, bien plus percutante selon moi.
Imaginez-vous vous alléger de vos addictions quotidiennes… Poser un temps son téléphone, le soir en rentrant du travail, délaisser Facebook et s’intéresser à ce(ux) qui vous entoure(nt). Manquer l’afterwork arrosé du vendredi, ne pas en subir les conséquences le lendemain et profiter la tête claire du week-end. Troquer une onéreuse virée shopping pour une simple promenade en forêt. Oublier le pot de glace qui vous sert de dessert chaque soir pour simplement retrouver le plaisir de vous en délecter dans quelques semaines…
Trop souvent perçu comme une purification corporelle, le jeûne entre alors dans une dimension spirituelle qui inviterait au repli sur soi et à l’analyse de nos besoins et envies… et des émotions et sentiments qui les motivent. Le pratiquer inciterait donc tout un chacun à prendre du recul sur son existence et ses habitudes, à s’offrir un temps de pause dans le quotidien qui défile à toute allure et plus globalement : à revoir sa vie. Au-delà toute conviction religieuse, renoncer un temps aux tentations, apprendre à taire ses désirs impulsifs, faire abstraction des plaisirs que parfois vous ne percevez même plus comme tels, nous permettraient de modérer votre faim, dans le sens large du terme, de discipliner votre mode de vie et de gagner en maîtrise de soi. In fine, jeûner nous offrirait en fait l’opportunité d’assainir notre appétit en creusant notre soif. Et force est de constater que vu sous cet angle, le jeûne a de quoi me tenter