Le secteur mondial de l’auto­mobile

Diversification de l’économie du Luxembourg

d'Lëtzebuerger Land du 11.03.2010

Qui n’a pas entendu parler des difficultés des constructeurs automobiles et de la menace de faillite sur des marques traditionnelles de voitures telles qu’Opel, GM ou Saab ? Si le danger de faillite a souvent pu être évité, la réduction de la capacité voire la fermeture d’usines de production a généré des milliers de chômeurs en Europe.

Les auteurs d’une étude récente1 de PricewaterhouseCoopers sur le marché mondial de l’automobile se sont demandés si la situation actuelle de l’automobile est uniquement due à la crise économique. En période de récession ou de faible croissance économique, le marché de l’automobile en souffre directement car les consommateurs hésitent à effectuer une dépense en capital pour remplacer une voiture qui souvent est encore en bon état de marche. Si les liens avec la crise économique sont indéniables, des éléments structurels sont également et en partie à mettre en cause pour la situation actuelle. En effet, les acteurs ont misé sur une croissance régulière et continue du marché tandis que des changements du comportement d’achat étaient déjà perceptibles. Aux États-Unis, par exemple, l’évolution des prix du pétrole a poussé les consommateurs à choisir des produits non américains répondant mieux à leurs attentes en matière d’efficience énergétique (la part des voitures d’une cylindrée inférieure à deux litres a doublé en quinze ans). De plus, les constructeurs, dans l’espoir du développement des marchés émergents (Inde, Chine, Brésil…), ont continué à investir dans des unités de production proches de ces marchés ainsi que dans l’amélioration de l’efficacité des usines existantes. Ceci a eu pour effet une surcapacité des usines (baisse du taux moyen d’utilisation de la capacité de production mondiale de 85 à 63 pour cent) qui s’est traduite par des coûts fixes plus importants par unité produite, grevant les marges des constructeurs.

L’étude précitée identifie des tendances importantes auxquelles les acteurs du secteur se doivent de répondre. Si, en Europe, la voiture personnelle est toujours considérée comme le moyen principal de mobilité avec ses avantages d’indépendance et d’autonomie, les consommateurs sont de plus en plus intéressés par des services partagés de mobilité (p.ex. service Car2Go2 de Daimler disposant d’un réseau de voitures Smart partagées dans certaines villes allemandes) leur évitant un investissement dans une voiture personnelle. De plus, des critères fonctionnels tels que la qualité de l’intérieur ou la personnalisation de la voiture (accessoires de lifestyle) gagnent en importance par rapport à l’image ou au statut social projeté par une marque ou un modèle. Ainsi, une part des propriétaires de voiture de luxe (segment premium) et de SUV (Sports Utility Vehicle) seraient disposés à choisir lors d’un prochain achat une voiture plus petite ou plus économique (15 pour cent des clients premium et 22 pour cent des clients SUV). Cette tendance a eu pour effet le développement d’un nouveau segment de marché Small-premium, ayant comme modèles vedettes la Mini (plus de 35 pour cent de ventes en janvier 2010 par rapport à janvier 2009) ou la Fiat 500.

Les primes publiques (prime à la casse ou à l’achat de voitures écologiques) ont certes pu modérer l’impact de la crise économique sur les constructeurs et équipementiers. Ces primes n’ont par contre pas résolu les défis structurels de surcapacité de production. Des réponses efficaces à ces défis résident dans le développement de produits à marge plus élevée (p.ex. Small premium), l’élargissement de la gamme des produits (p.ex. crossovers du style BMW GT) et dans la réduction du coût par voiture produite. Ainsi, l’étude a permis de déterminer que des économies de 1 700 euros par voiture seraient nécessaires pour rétablir les marges de profit et pour continuer à pouvoir investir dans la recherche et le développement. Ces économies peuvent être atteintes par le développement des synergies (p.ex. stratégie de plate-forme commune pour différents modèles), par la standardisation de composants peu susceptibles de différentiation ou par une flexibilité et efficience plus grande dans l’utilisation des capacités de production. Ceci nécessite souvent une coopération accrue entre les constructeurs et leurs fournisseurs et même entre constructeurs (à l’instar de la coopération existante BMW-PSA sur certains moteurs).

La prise de conscience des enjeux environnementaux pousse les constructeurs à poursuivre la recherche des technologies alternatives par rapport au moteur à combustion classique. Si la Chine investit sans pareil dans la e-Mobility (voiture électrique), les technologies du futur qui prédomineront ne sont pas encore connues à ce jour, ce qui oblige les constructeurs à suivre plusieurs pistes en parallèle. Les équipementiers quant à eux font face à des délais de paiement longs, grevant leur liquidité et nécessitant une gestion financière et un controlling rigoureux.

Au Luxembourg, le secteur de l’automobile emploie environ 9 000 salariés dans une trentaine d’entreprises (IEE, Accumalux, Ravel, Goodyear, Delphi, Guardian,…) représentant un chiffre d’affaires global d’environ 1,5 milliard d’euros3), soit environ quatre pour cent du PIB du Grand-duché. De plus, les concessionnaires implantés dans la Grande Région vendent environ 50 000 voitures par an et entretiennent un parc automobile d’environ 330 000 voitures, représentant avec 665 autos pour mille habitants, soit la plus grande densité de voitures en Europe4.

Si le gouvernement luxembourgeois a aidé le secteur à travers la prime d’achat, cette aide ponctuelle pourrait être pérennisée au travers d’un support direct aux équipementiers automobiles du Luxembourg : aide en cas de chômage technique (prise en charge par le fonds pour l’emploi des parts patronales des cotisations à la sécurité sociale pendant la période de chômage partiel, extension de la durée de chômage partiel de six à douze mois, …), accès au crédit pour le développement des activités, aide à l’innovation et aux activités de recherche et développement, investissement dans des infrastructures destinées à tester de nouvelles technologies pour combustibles alternatifs.

En appui des initiatives de diversification de l’économie luxembourgeoise, la pérennité de ce secteur mérite des réflexions de fond sur le positionnement du grand-duché. Pour ce faire, les plates-formes d’échanges existantes pourraient être renforcées afin d’être mieux coordonnées, en faveur du développement de produits à haute valeur ajoutée, pour développer les liens avec le monde luxembourgeois de la recherche et du développement ou pour évaluer l’impact et les opportunités des technologies alternatives. Une telle approche permettrait d’établir une stratégie de développement, de créer des synergies et une masse critique ainsi que de donner un « focus » au secteur de l’automobile au Luxembourg.

En effet, le Luxembourg dispose de certains atouts propres. Par exemple, l’environnement multiculturel répond au besoin accru de coopération entre les acteurs du secteur automobile. Dans le cas de la voiture électrique, de nouveaux partenariats pourraient se développer avec des fournisseurs d’électricité tels que RWE ou Eon (déjà actionnaires d’Enovos et partenaires de Daimler et VW) ou des fournisseurs de batterie. Ces nouveaux acteurs peuvent être attirés par les avantages fiscaux du Luxembourg (p.ex. imposition des brevets) et par ses compétences financières en matière de gestion des flux financiers. De plus, les caractéristiques géographiques de la région avec ses besoins particuliers de mobilité (p.ex. des distances faibles entre le domicile et le lieu de travail qui sont dans la portée des voitures électriques d’aujourd’hui) sont autant d’atouts pour tester de nouvelles solutions de mobilité et de nouvelles technologies tout en limitant les investissements dans de nouvelles infrastructures.

Pour faciliter les décisions politiques et stratégiques, une analyse des besoins en infrastructures, se basant sur l’offre existante de stations d’essence, déterminera le niveau d’investissements nécessaires et suffisants pour sécuriser l’approvisionnement du réseau de la voiture électrique. La mobilité au Luxembourg permise par cette dernière dépendra donc de sa capacité à accorder les efforts des différents acteurs du marché (équipementiers, constructeurs automobiles,…) tout en misant sur les atouts spécifiques du pays.

Les deux auteurs sont respectivement associé et Automotive Leader et directeur, PricewaterhouseCoopers Luxembourg
Pierre Mangers, Philippe Piérard
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