Exposition

Le monde de Stonehenge

d'Lëtzebuerger Land du 20.05.2022

Qu’ont bien pu penser les habitants de ce qui est aujourd’hui Holm-next-the-Sea dans le Norfolk quand la mer finit par engloutir le cercle rituel de bois qui, depuis sa construction au printemps 2049 av. J-C, avait joué un rôle capital dans leur vie religieuse ? Y virent-ils un mauvais présage, ou bien le cercle n’était-il déjà pas plus qu’un point de repère utile dans un paysage marin, une relique d’un passé moins éclairé ? Il est vrai que la structure avait été construite à une époque où les cercles de bois et de pierre, ainsi que les traditions s’y rattachant, semblaient avoir perdu de leur importance. Le monde changeait. Le métal remplaçait la pierre comme matériau de choix dans la vie sociale et économique, pour les outils et les armes. Il en allait de même dans la vie religieuse où les forces surnaturelles exigeaient des offrandes différentes. Le tout se développant dans un contexte où l’adoption croissante, bien que tardive, de l’agriculture et de la vie sédentaire transformait irrémédiablement la Grande-Bretagne d’alors.

Le cercle consistait en 55 poteaux de chêne formant une structure de 6,78 mètres de diamètre. Les poteaux étaient disposés autour de la souche inversée d’un chêne géant pesant près de deux tonnes et demie. Ses racines s’élançaient vers le ciel et n’étaient pas sans rappeler la couronne d’un arbre. Que pouvait bien être la signification religieuse de cette inversion du monde sensible, où le haut devenait le bas et vice-versa ? S’agissait-il en fait d’un arbre de vie comme on en rencontre dans de nombreuses cultures ? L’inversion de l’arbre s’enfonçant dans les entrailles de la terre permettait-elle de connecter les mondes visible et invisible à l’intérieur de ce cercle étroit, bien mystérieusement éclairé par la lumière du soleil se levant au solstice d’été ? Ou bien, déposait-on des corps sur la souche pour les laisser se décomposer, face aux éléments et aux animaux qui libéreraient l’esprit de son enveloppe charnelle. En fait, on ne sait que bien peu de choses. Certes, on peut calculer l’âge des troncs d’arbres, expliquer les phénomènes naturels qui auront causé la disparition et la réapparition du site, mais ce qui poussa les hommes à le bâtir et ce qu’ils y firent reste un mystère.

Surnommé Seahenge par les médias – en allusion à Stonehenge – lorsqu’il émergea des flots en 1998, ce cercle rituel n’a pas fini d’interpeller chercheurs et rêveurs. Reconstitué avec les troncs d’origine, il est aujourd’hui exposé dans le cadre de l’exposition The World of Stonehenge qui se tient au British Museum. Cette reconstitution est une des pièces centrales de l’exposition dont le but est de fournir un aperçu de la complexité de l’univers de Stonehenge, dont les pierres n’ont cessé de fasciner depuis des siècles. Comme on peut le lire dans le catalogue encadré par Duncan Garrow et Neil Wilkin (le curateur de l’exposition), le cercle de Stonehenge, bâti il y a 4 500 ans, soit plus ou moins à la même époque que la grande pyramide de Gizeh et son Sphinx, est un des monuments les plus connus au monde. Et pourtant il est l’un des plus incompris. Il ne s’agit non pas, comme on le croit généralement, d’une structure statique et immuable, car Stonehenge fut un site en évolution constante, façonné par de multiples générations. L’exposition, la première que le British Museum dédie au site, nous fait découvrir les réseaux complexes et étendus d’interactions culturelles, les changements environnementaux et les systèmes de croyances qui marquèrent l’univers de Stonehenge. Il s’agit d’une page passionnante de l’histoire de l’ère néolithique sur les îles britanniques et le continent européen. Non moins de 430 objets et artéfacts sont exposés : Le fascinant disque solaire en bronze de Nébra, datant de 1 600 avant notre ère, les objets retrouvés dans la sépulture de celle que l’on appelle « la chamane de Bad Dürrenberg », datant de 6 500 avant notre ère ou les bien mystérieuses boules de pierre gravées originaires d’Écosse… Ces nombreux objets sont des invitations à penser mais surtout à rêver le monde et les hommes tels qu’ils furent il y a des millénaires. Tout au long de l’exposition, les panneaux, tableaux et étiquettes révèlent toute la richesse de la langue anglaise pour exprimer la conditionnalité et le doute en présentant diverses hypothèses sur un monde à propos duquel nous continuons à ne savoir que peu de choses malgré les découvertes récentes. Certes, la matière est bien présente – le bois, les pierres les métaux et les os – mais qu’en est-il des mentalités et de l’esprit de cette époque à jamais révolue ? De l’âme ? Beaucoup d’hypothèses qui mènent à de nouvelles questions…

Peut-être qu’il s’agit d’un monde que les poètes et les artistes peuvent mieux saisir que les scientifiques. L’art n’est-il pas un peu à l’image de l’arbre inversé de Seahenge qui permettait aux mondes visibles et invisibles de communiquer, peut-être même de communier? En effet, une mélodie lancinante accompagnent les visiteurs tout au long de l’exposition. L’artiste et archéologue Rose Ferraby avait enregistré toute une série de sons sur et autour du site de Seahenge. Ceux-ci ont été incorporés par le musicien Rob St John dans une composition envoutante qui semblent révéler des émotions et un ressenti antiques, comblant ainsi le fossé entre les millénaires.

L’exposition The World of Stonehenge se tient au British Museum à Londres jusqu’au
17 juillet. britishmuseum.org

Duncan Garrow et Neil Wilkin, The World of Stonehenge, British Museum Press, 2022. 272 pages et plus de 300 illustrations.
ISBN 978-0-7141-2348-6

Laurent Mignon
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