Renouveau politique

Pour un nouveau modèle économique

d'Lëtzebuerger Land du 25.04.2014

« Le Gouvernement est porté par l’ambition d’incarner le renouveau politique auquel aspirent nos concitoyens. Il modernisera notre pays sur la base d’un projet commun qui apporte une réponse au besoin de changement qui est réel et palpable dans tous les domaines ». La Chambre de Commerce partage entièrement la volonté de changement affichée par le nouveau Gouvernement dans l’introduction de son programme gouvernemental et le soutient dans sa détermination à restaurer l’équilibre des finances publiques à l’horizon 2017. La santé des finances publiques n’est en effet pas une fin en soi, mais elle reflète la vigueur d’une économie et de ses entreprises et donc la force de frappe compétitive du pays. La santé des finances publiques étant une résultante directe de la croissance et donc des emplois et des recettes fiscales générés, l’établissement d’un nouveau modèle de croissance s’impose.

Même si les derniers indicateurs économiques semblent annoncer un retour timide de la croissance, il faut se garder de s’en réjouir trop tôt. En effet, les 3,5 pour cent de croissance annuelle moyenne annoncés par le « comité de prévision » pour la période 2015 à 2018 n’incluent ni la hausse de la TVA, ni l’introduction et l’élargissement de l’échange automatique, ni la fin programmée du régime de TVA applicable au commerce électronique. Le Luxembourg devra mériter sa croissance, une croissance qui sera tout à fait indispensable pour financer durablement le système social du pays. La récente réforme des pensions prévoit, en extrapolant ses hypothèses macroéconomiques sous-jacentes, qu’à terme 800 000 personnes devront générer un PIB équivalent à celui de la Finlande avec ses 2,7 millions de personnes actives. Un scénario de science fiction, qui, s’il se matérialisait, n’empêcherait pas le système d’être déficitaire à concurrence de 50 pour cent du PIB en 2060. Devant cette perspective, le maintien d’un régime de pension des fonctionnaires et employés publics financé par répartition pure, sans constitution aucune de réserves, est tout simplement intenable. Le minimum auquel l’on doit pouvoir s’attendre est un financement par cotisation comme dans le secteur privé, accompagné d’une constitution de réserves.

L’objectif de l’équilibre des finances publiques ne sera atteint que si deux conditions sont réunies. Premièrement, l’établissement d’une nouvelle croissance économique, à caractère intensif, c’est-à-dire basée sur des gains de productivité dans les secteurs public et privé. Deuxièmement, la réduction du chômage et en particulier l’intégration des demandeurs d’emploi résidents sur le marché du travail. Si le Gouvernement décidait de faire abstraction de ces deux conditions, l’assainissement nécessaire des finances publiques devrait être effectué principalement par ponction sur l’économie, ce qui serait destructeur de croissance et donc de ressources nouvelles et aboutirait à un appauvrissement général de l’économie et de ses agents, à l’instar de ce qui se passe dans les pays de l’Europe du Sud.

L’établissement d’une nouvelle croissance suivant un modèle de développement soutenable et inclusif, caractérisé par le principe « faire un peu mieux avec moins de ressources », est le meilleur chemin pour permettre au Luxembourg de retrouver sa compétitivité et pérenniser son modèle social. Car seule une économie compétitive peut générer les biens et services et créer les emplois durables qui donnent lieu à un haut rendement fiscal, permettant de financer l’appareil redistributif. Il existe au Luxembourg un paradoxe entre le niveau de vie matériel des citoyens et la compétitivité du pays. En effet, si le Luxembourg se situe en milieu de tableau européen en matière de compétitivité, il offre à ses citoyens un niveau de vie parmi les plus élevés au monde. Par le passé ce paradoxe n’a pu être maintenu que grâce à l’exploitation de niches de souveraineté et l’augmentation de la dette publique (passant de 2,5 milliards en 2007 à 10,5 milliards en 2013), et parce que la richesse produite était le résultat de bonnes décisions du passé. Aujourd’hui, le Luxembourg doit faire un choix. Soit le pays accepte de se rapprocher davantage des niveaux de richesse par habitant de ses pays voisin, soit il augmente sa productivité ou sa compétitivité.

Il existe de nombreux facteurs qui permettent d’augmenter la productivité. Le présent article se limitera à en présenter cinq. Un premier facteur clé permettant de relever le niveau de compétitivité du Luxembourg consiste à endiguer le dérapage des coûts salariaux. En effet, entre 2005 et 2013, les coûts salariaux unitaires – c’est-à-dire la facture salariale adressée aux entreprises et associée à la production d’un euro de PIB – ont progressé de 35 pour cent, contre quatorze pour cent en zone euro. Cette dissociation flagrante entre la productivité et le coût salarial est notamment due aux automatismes réglementaires – huit tranches indiciaires entre 2005 et 2013 ont entraîné une hausse de vingt pour cent pour tous. Pendant cette même période, la valeur ajoutée brute a seulement progressée de dix oour cent. Le Luxembourg distribue plus qu’il ne génère en termes de richesses ! D’où l’importance critique de modifier la tendance et de proposer des mesures adéquates pour y remédier.

L’inflation en général, et le différentiel d’inflation du Luxembourg par rapport à ses concurrents, en particulier, est la principale raison de la dégradation de la compétitivité-coût. Le Luxembourg aurait pu économiser quatre tranches indiciaires sur la période 1999-2013, si son inflation avait évoluée au rythme des pays voisins. Il faut regretter que le Gouvernement n’ait pas pris la vraie mesure du problème de l’inflation et qu’il n’ait pas prévu des mesures pour neutraliser l’effet de la hausse de la TVA dans l’indexation. Dans ce contexte, la proposition de la Chambre de Commerce d’envisager la désindexation générale de l’économie pour casser l’inflation demande à être sérieusement étudiée.

Un deuxième facteur pour augmenter le niveau de productivité serait de favoriser les investissements en capital fixe, permettant à leur tour d’améliorer la productivité apparente du facteur travail. Outre une politique d’investissements publics ambitieuse, apte à relever le taux de croissance potentiel de l’économie, ce facteur devrait comprendre des mesures de soutien aux investissements des entreprises. Que la réduction des dépenses de l’État dans le budget 2014 concerne principalement les investissements publics, alors que ceux-ci constituent un des postes de dépense qui contribuent le plus à préparer la croissance de demain, est fort regrettable, tout comme le fait que le Gouvernement ait décidé de couper dans le budget promis à la Mutualité des employeurs, une décision contraire à l’engagement pris lors de l’introduction du statut unique.

Le troisième levier est la promotion des exportations à travers notamment la promotion de l’image de marque du Luxembourg et de biens et services grand-ducaux. Même si 80 pour cent des biens et services du Luxembourg sont exportés et l’orientation de la plupart de ses pans économiques demeure résolument européenne, le pays a perdu 18 pour cent en termes de part de marché à l’exportation sur cinq ans.

La simplification administrative au sens large, constitue un quatrième facteur de productivité. La simplification des procédures d’autorisation et réduction des délais et des formalités requises est sans doute le moyen le moins onéreux et parmi les plus efficaces pour redynamiser à court terme notre économie. Dans ce contexte, le projet de loi « TGV » promis par le Gouvernement est attendu avec impatience.

Un cinquième et dernier moyen pour libérer un potentiel de productivité non-négligeable serait de pousser la « simplification de l’administration », en permettant aux organismes publics de tendre vers une « culture orientée clients ». Une piste à explorer est une organisation générale de l’administration publique qui s’inspire du fonctionnement d’une entreprise privée, avec un service d’appui ou back office qui peut être mutualisé, chargé des fonctions administratives liées à la « production », donc au montage de dossiers, de la gestion des demandes et du suivi des échéances. Il est, en outre, primordial de décloisonner les ministères et administrations et de regrouper les champs d’action similaires au sein d’un seul ensemble disposant d’un seul centre de décision, afin d’éviter les compétences partagées et les positions divergentes ou contradictoires qui entraînent des pertes de temps inutiles dans les processus de décision.

Un des principaux défis à relever est le changement de politique en matière d’emploi pour donner priorité au marché du travail des résidents demandeurs d’emploi. Au Luxembourg il n’y a pas de corrélation entre la création d’emplois et la réduction du chômage. Les raisons de l’augmentation du chômage parallèlement à la création d’emplois et malgré les efforts louables des ministres du Travail sont connues : très grande attractivité des rémunérations sur le marché luxembourgeois, salaires nets dans la fonction publique, dans le secteur social et de la santé avec un SSM luxembourgeois plus élevé que le salaire médian français, dynamique des rémunérations du travail plus grande au Luxembourg, différentiel de formation des frontaliers par rapport aux résidents sous-employés, etc.

Le chômage n’est pas une fatalité et il existe de nombreux moyens pour le réduire durablement. En premier lieu, il est crucial de réformer l’enseignement primaire et secondaire avec comme objectif de se baser sur le développement des compétences, d’améliorer l’employabilité des jeunes élèves et de réduire drastiquement le nombre de ceux qui sortent de l’école sans diplôme. Dans ce contexte, le problème de la langue majeure de l’enseignement doit être abordé tout comme le renforcement de la formation professionnelle continue, en particulier en faveur des salariés nécessitant une reconversion professionnelle.

En deuxième lieu, afin de réduire le gouffre entre l’école et le monde professionnel, il est important d’engager une réflexion approfondie sur les possibilités d’élargir l’apprentissage en mode dual (formation en alternance) aux secteurs et aux entreprises qui ne le pratiquent pas, à l’heure actuelle. L’apprentissage présente en effet l’avantage qu’il ouvre très tôt l’accès des jeunes à l’entreprise et l’expérience montre que plus un jeune entre tôt en contact avec la vie professionnelle, plus ses chances sont grandes d’y trouver un emploi durable.

La réduction du coût du travail pour les entreprises est un troisième moyen pour faciliter le recrutement des personnes à la recherche d’un emploi. Une telle mesure n’est pas antisociale, par exemple si la réduction du coût du travail est obtenue par annulation des cotisations sociales patronales ou si la réduction du salaire est compensée par des transferts sociaux ciblés, en particulier pour couvrir partiellement les frais de logement du bénéficiaire. Soulignons dans ce contexte l’exemple du Gouvernement français, qui vient d’annuler les cotisations sociales patronales en France pour les personnes payées jusqu’à 130 pour cent du SMIC, ceci afin de favoriser l’emploi des jeunes sans qualification.

En quatrième lieu, il conviendrait de réfléchir à introduire une catégorie d’emplois pour laquelle l’entreprise paierait un coût inférieur au salaire minimum. Il s’agit de trouver des formules visant à subventionner le coût du travail en lieu et place du financement du chômage et de l’inactivité en général. Il faut accepter une fois pour toute que de nombreux chômeurs ne peuvent pas générer suffisamment de valeur ajoutée pour justifier le paiement intégral du SSM. Il faut donc, d’une part, augmenter le niveau de qualification des concernés et, d’autre part, faire en sorte qu’il soit possible de compenser la moins-value de productivité via un subventionnement ciblé.

L’ensemble des mesures précitées seraient à compléter par des mesures de flexibilisation du droit du travail de nature à inverser la courbe du chômage en offrant de nouvelles opportunités à des résidents demandeurs d’emploi. Un droit du travail verrouillé comme celui du Luxembourg ne peut pas garantir la prétendue sécurité d’emploi. Mais il peut empêcher les entreprises, et notamment les start-up, de recruter. Il faut par conséquent fluidifier le marché du travail et simplifier l’organisation du travail. On pourrait également introduire, à l’instar de ce qui se pratique en France, un volontariat international en entreprises à la luxembourgeoise, et éviter de compliquer encore la législation sur le dialogue social en entreprise. Par ailleurs, l’entrepreneuriat et la création d’entreprises doivent être perçus comme des alternatives au chômage, d’où la nécessité de flexibiliser le droit d’établissement et d’introduire enfin la sàrl simplifiée. En outre, la générosité du modèle social luxembourgeois, et celle des prestations de chômage et du RMG, incitent de nombreuses personnes à opter pour l’inactivité et la prise en charge par la soi-disant solidarité nationale. Or, cette dernière ne doit pas être instrumentalisée et doit profiter à celles et à ceux qui en ont besoin. Il est donc inévitable de revoir cette fausse bonne générosité à la baisse, notamment en introduisant une dégressivité des prestations dans le temps. Si nous sommes tous solidaires avec ceux qui en ont besoin, nous devons par corollaire également être tous prêts à financer cette solidarité. Entrepreneurs, fonctionnaires, salariés, retraités : tout un chacun doit apporter sa pierre à l’édifice.

L’auteur a développé ses idées à l’assemblée constituante de la Chambre de commerce qui l’a réélu président.
Michel Wurth
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