À Saint-Denis au nord de Paris, on peut voir pour quelques mois encore le plus grand chantier de construction d’Europe. La capitale française se prépare activement à accueillir en juillet et août 2024 les prochains Jeux Olympiques d’été. À peu de distance du « Village des athlètes » qui, sur 46 hectares, hébergera 17 000 participants, avant que les bâtiments soient reconvertis en un « éco-quartier » de 3 500 logements, est érigée la future piscine olympique. Tandis que sous terre, on achève les travaux de la station de métro St-Denis Pleyel, destinée à accueillir 250 000 voyageurs par jour. Ces infrastructures nouvelles sont naturellement construites dans le strict respect des normes techniques et écologiques les plus récentes. Mais le quartier va aussi bénéficier de la transformation de son bâtiment le plus emblématique, la tour Pleyel, inaugurée en 1973. Cet ancien immeuble de bureaux, haut de plus de 140 mètres, et comptant 38 étages va être métamorphosé, pour les JO mais aussi au-delà, en un hôtel 3 & 4 étoiles de 700 chambres, avec piscine et lounge-bar en terrasse. Ce chantier pharaonique illustre bien la problématique actuelle de « l’immobilier vert ». À côté de nouvelles constructions conformes aux exigences du temps et mises en valeur, à juste titre par le projecteur médiatique, la rénovation du parc existant, moins spectaculaire, constitue un enjeu majeur.
Contrairement à une idée reçue ce ne sont pas les transports qui pèsent le plus dans les émissions de gaz à effet de serre (EGES) mais les bâtiments, que ce soit au moment de leur construction ou pendant leur durée d’utilisation. Dans l’UE, où l’on en recense 260 millions, ils comptent pour 36 pour cent du total des EGES contre un peu plus du quart pour les transports. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne s’est fixé l’objectif ambitieux de réduire de soixante pour cent les EGES des bâtiments en Europe à l’horizon 2030 par rapport à leur niveau de 1999. Et en 2050, tous les bâtiments devraient être « à émissions nulles ». Malgré des initiatives spectaculaires liées à l’utilisation de nouveaux matériaux comme le bois, la paille ou le chanvre, la phase de construction, qui représente pourtant soixante pour cent de l’empreinte carbone totale d’un bâtiment, n’est pas la priorité. Les chantiers neufs sont modestes en proportion du parc total, et leur décarbonation sera longue à réaliser.
En effet, la construction immobilière fait toujours largement appel au ciment (4,6 milliards de tonnes produites par an) et au fer (1,6 milliard de tonnes), deux matériaux dont la production est parmi les plus consommatrices d’énergies fossiles, sans parler de l’eau utilisée sur les chantiers. Les solutions alternatives sont pour l’heure très limitées. En revanche, sachant qu’une rénovation de bâtiment ancien peut réduire de cinquante à 70 pour cent sa consommation d’énergie, la rénovation offre des perspectives nettement plus prometteuses, d’autant que de 85 à 95 pour cent des bâtiments actuels seront toujours là en 2050 et que les trois-quarts d’entre eux sont actuellement inefficaces sur le plan énergétique. On évoque ici la « rénovation en profondeur », c’est-à-dire des travaux sur la structure et les équipements des bâtiments leur permettant d’améliorer significativement leur performance énergétique.
Mais en Europe, chaque année, seul un pour cent du parc de bâtiments fait l’objet d’une rénovation dans ce sens, et la proportion de travaux qui parviennent à réduire notablement les EGES est encore beaucoup plus faible. Cette situation se répète quelle que soit la catégorie de bâtiments. Une partie non négligeable des logements européens sont des « passoires thermiques » entraînant un énorme gaspillage de chauffage : or ce dernier compte pour 63 pour cent de la consommation d’énergie des ménages, une part stable depuis plusieurs années, mais qui monte à 81 pour cent au Luxembourg. En France par exemple, un logement sur six en moyenne est dans ce cas (mais un sur trois dans les résidences secondaires et jusqu’à la moitié dans les stations de ski) car construit à une époque où les normes étaient peu contraignantes. Dans ce pays, où 700 000 à un million de chantiers de rénovation sont entrepris chaque année, ce qui n’est déjà pas énorme sur un parc de 37,2 millions de logements, dont 21 millions sont individuels, on a estimé que 50 à 70 000 logements seulement sont réellement rénovés, c’est-à-dire d’une manière telle que leur performance énergétique soit significativement améliorée. Pour atteindre les objectifs fixés par l’UE, il faudrait idéalement que ce nombre passe à 370 000 par an d’ici à 2030 et à 700 000 au-delà, ce qui semble inatteignable.
Du côté des bureaux le problème se pose de la même manière, à la différence près que le chauffage n’y représente que 41 pour cent de la consommation d’énergie, contre 27 pour cent pour l’éclairage et dix pour cent pour la climatisation (le reliquat étant la consommation des appareils utilisés). Mais les bureaux réhabilités ne représentent qu’un pour cent du parc. Dans tous les cas, c’est le coût de la rénovation qui est en cause. Il est forcément très variable d’un bien à l’autre, mais début 2023 un cabinet d’architecture français évoque pour une maison un prix moyen de 850 euros/m² pour une rénovation complète et plus de 1 200 euros/m² pour des travaux lourds comme la réhabilitation d’une bâtisse ancienne. Au moins la moitié de ces montants sont attribuables à la rénovation énergétique. Pour les bureaux il faut compter 3 000 euros par m² dans les grandes métropoles et 2 000 euros dans les autres villes.
Pour tenter de résoudre le problème la plupart des pays ont mis en place des systèmes d’aides directes et subventions comme PRIMe House au Luxembourg (depuis 2017) ou MaPrimeRénov’ en France (2020), ou encore des prêts bonifiés (Klima Prêt au Luxembourg). Mais le rythme de rénovation reste lent. C’est pourquoi la Commission européenne, s’appuyant sur une réglementation très touffue, a souhaité prendre le taureau par les cornes en lançant un vaste programme nommé Renovation Wave. Présenté en octobre 2020, il visait à rénover en dix ans quelque 35 millions de bâtiments au sein de l’UE, de façon à doubler les taux de rénovation et à permettre au passage la création de 160 000 « emplois verts » supplémentaires. Pour atteindre cet objectif, elle estimait à 275 milliards d’euros les investissements supplémentaires nécessaires chaque année. Comment les financer ?
Un des axes consiste à « piocher » dans les ressources mobilisées par le plan de relance européen (Next Generation EU) adopté en juillet 2020 pour un montant total de 750 milliards d’euros, alimentant des plans nationaux. Il était prévu qu’un tiers des sommes, dans chaque pays, soient affectées à la « transition climatique » avec comme priorité la rénovation thermique des bâtiments. En France par exemple le plan de cent milliards d’euros, abondé à près de quarante pour cent par les fonds européens, devrait consacrer huit milliards à ce thème. Cette somme permet de couvrir la totalité des travaux de rénovation thermique en cours dans les bâtiments publics (mairies, écoles, hôpitaux) et 70 pour cent des primes distribuées aux particuliers. La Commission a promis que des contrôles européens seraient effectués, non pour juger de l’opportunité des attributions mais pour évaluer l’efficacité des travaux.
Arsenal réglementaire européen
Selon certains experts, pas moins de 55 textes liés au risque climatique et aux émissions d’EGES, dont ceux de douze directives, seraient en préparation à Bruxelles, s’ajoutant à masse de la réglementation existante. Concernant les bâtiments, la réglementation européenne remonte à plus de vingt ans avec la Directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) de décembre 2002. Entrée en vigueur début 2006, elle a été révisée en 2010 puis en 2018. Fin octobre 2022, en préparation d’une nouvelle refonte, le Conseil européen a durci les règles applicables : tous les bâtiments neufs devront être à émissions nulles d’ici à 2030, quant aux bâtiments existants ils devront atteindre le même objectif d’ici à 2050 (des exceptions sont prévues pour les bâtiments historiques, militaires, industriels, agricoles et les lieux de culte).
Les bâtiments publics
Un gros morceau de la rénovation concerne les bâtiments publics, dont beaucoup sont anciens et qui occupent des surfaces considérables. Une directive d’octobre 2012 introduisait un objectif de trois pour cent de rénovation annuelle des bâtiments de l’État. Au Luxembourg, la « stratégie d’assainissement énergétique du patrimoine de l’État » présentée en septembre 2014 à la Commission du développement durable, a été actualisée en 2019. La moitié des bâtiments présentent un grand potentiel en termes de rénovation énergétique, notamment ceux à vocation éducative. Plus de 23 000 m² ont été assainis entre 2014 et 2020 par l’Administration des bâtiments publics, soit près d’un tiers de plus que ce qu’exigeait la directive, tandis que la surface des bâtiments restant à assainir est estimée à environ 60 000 m².
En France l’État à lui seul détient près de 200 000 bâtiments couvrant quelque cent millions de m². Il faut y ajouter 280 millions de m² appartenant aux collectivités territoriales. Les trois-quarts de la facture énergétique des communes (3,4 milliards d’euros) qui peut représenter plus de cinq pour cent du budget total de fonctionnement, sont imputables aux bâtiments qu’elles possèdent (dont la moitié sont des écoles). Au Luxembourg comme ailleurs la rénovation du parc public est entravée par son extrême diversité et par la vétusté de nombreuses infrastructures, dont certaines sont protégées en raison de leur valeur patrimoniale et historique.