Depuis trois ans, la Ville de Luxembourg est en proie à un litige concernant une étude sur la sécurité des passages pour piétons. Il s’agissait d’abord d’une question de sécurité routière, c’est devenu une question de transparence politique.
Les rues de la capitale compteraient 1 786 passages piétons selon les chiffres cités par la bourgmestre Lydie Polfer (DP). En 2021, le Zentrum fir urban Gerechtegkeet (ZUG) a pointé que 475 de ces passages ne sont pas conformes au Code de la route, en raison de places de stationnement trop proches qui entravent la visibilité (cinq mètres de chaque côté sont prescrits). Le service de la circulation aurait alors mené sa propre analyse et n’a reconnu que 37 passages problématiques.
Cette étude, mentionnée en novembre 2021 au Conseil communal par l’échevin à la mobilité Patrick Goldschmidt (DP), n’a jamais été rendue publique. Pour comprendre l’écart avec leurs propres constats, le groupe de bénévoles de ZUG a demandé l’accès aux documents de la Ville, en se basant sur la loi sur la transparence de 2018. Premier refus. En mars 2022, la Commission d’accès aux documents a jugé que rien ne s’opposait à la remise des informations. En avril, la commune autorisait ZUG à consulter certains documents, mais pas ceux que l’asbl demandait, notamment l’analyse de tous les passages pour piétons effectuée par les services de la Ville. Face aux refus, ZUG a porté l’affaire devant le tribunal administratif. Le jugement prononcé le 11 novembre dernier oblige la commune à publier les documents.
Le collectif n’a pas eu le temps de crier victoire que le conseil communal de ce lundi votait, majorité contre opposition, la décision de faire appel de ce jugement. Pour expliquer sa décision, Lydie Polfer n’a pas parlé de la sécurité des passages pour piétons. Elle a évacué cet aspect d’un revers de la main, considérant que « les services de la Ville n’ont pas attendu ZUG pour faire le plus possible pour la sécurité des usagers ». Martelant ses mots et scandant chaque syllabe comme si elle s’adressait à des enfants, son argumentaire a uniquement porté sur « une question de principe ». La bourgmestre a mentionné de la « loi relative à une administration transparente et ouverte » et la circulaire du ministère de l’Intérieur qui en explique l’application aux communes. Pédagogue comme une institutrice devant une classe dissipée (« Bleif schéi roueg a brav » ou « lauschter gutt no » a-t-elle lancé à plusieurs reprise), elle a détaillé plusieurs articles en se concentrant sur les limites de l’accès aux documents et aux discussions d’une commune. Elle estime que les débats tenus à huis clos par le Conseil échevinal et les documents qui y sont présentés peuvent ne pas être divulgués au public. « Si les communications internes devaient être diffusées dès que quelqu’un les demande, je pense que les fonctionnaires n’écriront plus grand-chose. Or, nous voulons être une administration dans laquelle nos employés se sentent bien », a déclaré la Lydie Polfer. Elle espère que l’appel clarifiera ce qui est considéré comme communication interne et doit être protégé : « Cela va très loin et c’est pourquoi ce principe doit être clarifié ». Alors que la mobilité est son ressort, Patrick Goldschmidt est resté muet.
L’opposition municipale s’est clairement distancée de ces vues. François Benoy (Déi Gréng) a défendu l’association en soulignant l’important travail réalisé par des bénévoles pour améliorer la protection des piétons, notamment des enfants. Il avait déposé une motion demandant au conseil échevinal bleu et noir d’accepter le jugement. Il fustige : « On a assez perdu de temps et d’argent dans toutes ces procédures. Tout cela finit par se faire aux dépens des piétons. » Gabriel Boisanté (LSAP) s’est étonné qu’autant de discussions aient eu lieu autour de la publication d’un document de trois pages où les noms du personnel communal pourraient tout simplement être caviardés.
Dans un communiqué, ZUG considère que « cette décision n’est pas seulement une attaque contre la liberté d’information, mais une véritable trahison de la confiance du public ». L’action du collectif porte désormais une autre question de principe, celle du droit à la transparence. « Si l’appel nous donne raison, cela aura des conséquences sur le fonctionnement parfois opaque de certaines administrations. C’est sans doute ce que la Ville redoute, cela va bien au-delà des passages pour piétons », estime Thorben Grosser, cofondateur de l’association face au Land. Il affirme que la bourgmestre veut préserver son contrôle au détriment d’une gouvernance ouverte. Sûre de son bon droit, du haut de sa chaire, Lydie Polfer appréciera.