Ce que les réseaux sociaux nous disent des musées et des publics

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d'Lëtzebuerger Land du 15.05.2015

Les musées peuvent être très différents, selon leur thématique, leur histoire ou leur position géographique. Ils partagent des missions communes, notamment rappelées par la définition de l’Icom (International Council of Museums) : les musées collectionnent, conservent, étudient, exposent et communiquent autour de patrimoines matériels et immatériels.

S’il y a une telle diversité dans la manière d’être un musée, c’est aussi parce que les musées sont ancrés dans la société et que ce lien entre musées et société implique des évolutions et des changements imposés ou choisis. Certains types de musées ont disparu, d’autres se développent encore. Les musées qui ont une histoire plus longue ne sont pas en reste, leur structure et leurs missions ont évolué, non sans mal, pour faire face à la professionnalisation, à la complexification des métiers du musée ou pour relever le défi de la médiation avec les publics. Qu’ils le fassent volontairement ou sous la pression, les musées sont en constant dialogue avec la société dans laquelle ils se situent.

Que viennent faire les réseaux sociaux dans tout cela ? Ce n’est pas la première fois que les musées sont confrontés à une nouvelle technologie et doivent réfléchir à la manière de s’en emparer, au regard de leurs missions et des attentes sociétales. Facebook, Twitter, YouTube, Instagram et les autres sont des applications particulières d’internet et partagent à ce titre les mêmes espoirs et limites. Facteurs d’interaction, d’intelligence collective, de co-création ou de participation, il est difficile pour un musée de passer à côté de ces espaces numériques, d’autant plus qu’ils croisent une des missions muséales les plus périlleuses, celle de la relation avec les publics.

Pourquoi être (ou ne pas être) sur les réseaux sociaux ? D’abord, ceux-ci sont une manière pour les musées de se positionner par rapport à tous les acteurs qui interagissent avec eux. Communiquer sur ses expositions ou ses activités, c’est tenter de toucher les publics, mais cela peut aussi permettre de montrer aux pouvoirs qui les subsidient et aux mécènes que l’argent est bien dépensé. Les collections sont là pour nourrir les recherches des personnels scientifiques du musée et les expositions, cependant les promouvoir sur internet peut aussi alimenter les échanges et les prêts avec d’autres musées. Enfin, il est impossible de faire abstraction du monde médiatique qui nous entoure, avoir une présence sur les réseaux sociaux, c’est visibiliser les efforts des équipes des musées, au-delà des visiteurs convaincus, à destination d’une audience certes floue mais potentiellement mondiale.

Tout en étant sans but lucratif, les musées sont soumis aux mêmes lois économiques que les autres institutions culturelles. De ce fait, ils doivent remplir leurs missions en respectant un budget souvent très serré. La gratuité des réseaux sociaux apparaît alors très rapidement comme un moyen de maintenir le lien avec les visiteurs et de tenter de rejoindre les non-publics sur un espace commun, une manière de renouveler la mission de communication.

Cette apparente gratuité cache cependant plusieurs limites. D’abord, les organigrammes ne sont pas toujours adaptés à cette évolution et contrairement à ce qu’ils laissent parfois penser, une présence efficace sur les réseaux sociaux demande du temps. Et le temps, c’est bien connu, c’est de l’argent. Si la mise en place d’un site internet institutionnel est très coûteuse financièrement, alimenter régulièrement un compte Facebook ou Twitter, créer des vidéos pour faire vivre une chaîne YouTube l’est tout autant, mais cette fois en temps. De plus, les réseaux sociaux étant des espaces créés par ailleurs, les musées sont tenus de s’ajuster aux contraintes du dispositif, le manque d’espace, l’obligation de poster des images et donc de céder les droits d’auteur d’une illustration, jouer avec les algorithmes qui hiérarchisent automatiquement les contenus, etc. Les usages des réseaux sociaux peuvent être très différents, chacun ayant son propre fonctionnement, ses critères de réussite. Les musées récents auront plus de facilités à faire entrer dans leur organigramme un poste de community manager (professionnel chargé de coordonner cette présence sur les réseaux sociaux) alors que les institutions plus anciennes devront négocier âprement un poste supplémentaire ou un aménagement de poste adéquat, dans le meilleur des cas. Sinon, ce seront les équipes en place qui se partageront la tâche, en assurant une présence parfois minimale.

Et puis, qu’est-ce qui se vit sur les réseaux sociaux ? Les usages principaux de Facebook tournent d’abord autour des interactions, alors que YouTube se base sur le contenu (les fonctions d’abonnement ou de commentaire ont été ajoutées tardivement au dispositif). Twitter est entre les deux, faire du lien avec du contenu, en très peu de signes. Pour décrire ce qui se passe réellement sur internet et a fortiori sur les réseaux sociaux, le chercheur belge Nico Carpentier distingue l’accès (donner accès à des informations, du contenu), l’interaction (dialoguer, échanger) et la participation (co-construire, co-créer). Il est fréquent, lorsque l’on parle d’internet ou des réseaux sociaux, de rendre synonymes interaction et participation. La distinction permet de rester réaliste.

L’accès à du contenu ou des informations est le domaine d’expertise par excellence du musée. La pérennité et la transmission des patrimoines aux générations actuelles et futures fondent l’existence du musée. Il est logique que l’on retrouve assez facilement des informations, des messages de service ou du contenu sur les réseaux sociaux animés par les musées. Et que cela rejoigne les besoins principaux des (non-)publics, s’informer sur le musée et ses activités, préparer ou compléter une visite, découvrir des musées qu’ils ne connaissaient pas et qu’ils ne visiteront peut-être jamais.

L’interaction est également un territoire connu pour les musées, c’est la base de la médiation, qui est la manière pour les musées de prendre en compte les expériences, les histoires et les parcours des publics lorsque ceux-ci visitent le musée ou participent à une activité. Les musées interagissent avec les usagers, avec d’autres musées, de même que les usagers peuvent échanger entre eux sur ces dispositifs. Cet usage est souvent limité mais pas absent. Et sur ce point, les musées ne se battent pas tous à armes égales. Pour aller dans la caricature, le musée du Louvre ne doit pas déployer les mêmes efforts pour interagir avec les usagers des réseaux sociaux qu’une petite équipe de musée en milieu rural.

La participation vécue sur internet et les réseaux sociaux reste le défi le plus important. Si on peut aisément comprendre que celle-ci n’est pas souhaitable à tous les niveaux et en toutes circonstances, il serait dommage de s’en passer ou de l’ignorer. Faire appel à la participation, c’est postuler que l’intelligence collective est possible, c’est considérer que les (non)publics sont aussi des experts. Le projet The Commons, qui est déjà assez ancien (2008), permet aux musées de diffuser leurs collections de photographies tombées dans le domaine public sur Flickr. Il n’est pas rare d’y lire dans les commentaires des informations historiques transmises par des usagers aux musées, qui alimenteront les recherches des équipes scientifiques. Plus récemment, Museomix, un « hackathon muséal », permet depuis plusieurs années à des amoureux des musées et des professionnels de rêver le musée de demain, en mettant sur pied en trois jours un projet de médiation mixant technique, numérique (y compris les réseaux sociaux) et compétences de chacun.

Pour certains publics, la participation aux missions muséales, quand elle est possible, est l’une des grandes espérances des réseaux sociaux, même si ce n’est pas celle que l’on côtoie le plus souvent. Les interactions ne sont pas forcément plus nombreuses mais il ne faudrait pas sous-estimer leur importance. Au-delà des commentaires, partager ou retweeter un message, c’est comme si l’on avait envoyé une carte postale à tout son carnet d’adresses. De même, compter un musée parmi ses contacts n’est pas anodin, cela façonne l’identité numérique de l’usager. Les compteurs de présence (le nombre d’amis, de contacts, les Like ou les favoris) sont souvent ce qui est mis en avant lorsque les musées tentent d’évaluer leur présence sur les réseaux sociaux, parce qu’ils sont quantifiables, à la manière des chiffres de fréquentation. S’ils sont des indicateurs utiles, s’en contenter serait, comme pour les chiffres de fréquentation, ne pas s’intéresser à ce qui se joue sur ces espaces et faire l’impasse des caractéristiques des usagers qui s’investissent (ou non) sur les réseaux sociaux animés par les musées.

Au final, est-ce bien nécessaire d’être sur les réseaux sociaux pour un musée ? Il est fréquent d’aborder ce défi en réfléchissant à ce que les réseaux sociaux peuvent (théoriquement) apporter aux musées. Ne pas être sur les réseaux sociaux, ce serait comme se placer hors de la société. De fait, un musée peut difficilement s’en passer totalement. Par contre, il n’est pas interdit de réfléchir à la manière de le faire, y compris de manière ciblée (et donc limitée). Un musée ne peut pas tout faire et jongler entre les différentes missions sans rendre l’une plus importante que l’autre est déjà un sacré travail. Les musées ont eux aussi des choses à apporter aux réseaux sociaux et plus généralement à internet. Cette année, au Royaume-Uni, l’expérience Museomix quittera les murs des musées pour toucher des personnes en milieu hospitalier ou éducatif. Partir des missions peut alors être une manière de concilier les aspirations sociétales avec les ressources déjà existantes, en impliquant les (non-)publics et en devenant des incubateurs d’idées numériques pour la société.

Marie Van Cranenbroeck
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