Mineurs en prison

La honte

d'Lëtzebuerger Land du 26.11.1998

Non, ce ne sont pas des anges. Dans leur jugement des mineurs détenus au Centre pénitentiaire de Luxembourg (CPL) à Schrassig, Robert Mehlen (ADR), auteur d'une question avec débat sur les conditions de détention des mineurs, et le ministre de la Justice, Luc Frieden (PCS), tombaient d'accord, mercredi à la tribune de la Chambre des députés. Et le ministre de jouer la carte de la transparence, indiquant que le rapport du CPT a récemment été déposé à la Chambre des députés afin que les parlementaires puissent le consulter, répondant par quelques indications statistiques quant au nombre actuel de détenus mineurs - huit garçons, aucune fille, âgés entre 14 et 17 ans, au 23 novembre; en tout 17 filles et 23 garçons durant l'année 1998 -, vantant les améliorations des conditions de détention intervenues depuis quelques mois, notamment l'offre d'enseignement par un chargé d'éducation. Le ministre marqua son accord avec la priorité à donner à la construction d'une structure fermée auprès des Centres socioéducatifs de l'État de Dreiborn et de Schrassig, afin que les mineurs fugueurs ou récidivistes puissent y être encadrés au lieu de les transférer au CPL. L'amorce de débat se noya dans le brouhaha général de la salle d'audience.

Plusieurs instances, nationales ou européennes, gouvernementales ou ONG, ont récemment mis en cause ces mêmes conditions de détention des mineurs au CPL. Une prison surchargée avec 380 détenus pour une capacité officielle de 270 places, un manque flagrant de personnel d'encadrement et les problèmes des recrutement, un vide au niveau administratif, résolu il y a six semaines seulement par la nomination du nouveau directeur Georges Rousseau, le grand chantier de l'extension qui devrait pouvoir être pris en service au printemps prochain - autant de difficultés qui ne sont pas pour améliorer la prise en charge des détenus, notamment des mineurs.

Dans une prise de position datée du 6 mai de cette année, le Collège médical s'inquiète de l'incarcération des mineurs dans le bloc E du bâtiment de Schrassig, avec une seule heure de promenade par jour dans une cour de neuf mètres carrés, recouverte d'un grillage. L'absence de soutien psychiatrique, psychologique et éducatif (l'enseignant n'a commencé à travailler qu'à la rentrée scolaire 1998) constituent, selon le Collège médical, «un traitement inhumain et dégradant. La santé physique et psychique de ces jeunes est compromise». Selon le rapport annuel du Scas (Service central d'assistance sociale), 49 pour cent des jeunes incarcérés à Schrassig y reviennent après leur majorité.

Dans une lettre adressée à tous les députés au début du mois de novembre, l'Acat (Action des chrétiens pour l'abolition de la torture) demande que la situation déficitaire des mineurs en milieu fermé comme en milieu de semi-liberté devienne enfin une priorité politique à traiter d'urgence. L'Acat revendique que le rapport du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT; organe du Conseil de l'Europe) soit publié et demande une réforme des dispositions réglementaires autorisant de longues périodes d'isolement dans les CSEE et une amélioration des conditions de détention des mineurs.

Cette réticence à publier le rapport du CPT et leurs rapport en réponse ajoutent à la polémique. Car en gros, l'appréciation du Comité des conditions de détention est meilleure qu'à sa dernière visite en 1993. Du 20 au 25 avril 1997, les trois membres du Comité ont méticuleusement visité et analysé les cellules de détention des CSEE, du CPL et auprès de la police et de la gendarmerie et rencontré les ministres de la Justice et de la Famille (autorité responsable des CSEE; la ministre de l'Éducation nationale ne voulait pas leur accorder d'entrevue) et leurs hauts fonctionnaires avec l'objectif principal de vérifier la situation des détenus mineurs. S'il accuse toujours avec virulence, comme en 1993, le fait que des mineurs soient détenus au bloc E du CPL, le Comité estime que les conditions matérielles des CSEE de Dreiborn et de Schrassig sont globalement bonnes.

Ses véritables critiques se dressent contre l'équipement rudimentaire des cellules d'isolement, les conditions de détention (en sous-vêtements ou en pyjamas!), la durée et la fréquence du recours à ce qui ne devrait constituer qu'une mesure disciplinaire pour des motifs graves, et ce aussi bien dans les CSEE qu'à Schrassig (voir les recommandations ci-dessous), où les droits humains de base ne sont pas respectés. Il constate aussi la surpopulation de toutes les structures de détention, ouvertes ou fermées, avec de sérieuses lacunes en personnel d'encadrement socio-éducatif, pédo-psychologique et médical qui en découlent. De façon générale, le CPT accuse des manquements aux garanties fondamentales d'information des détenus de leurs droits de recours ou de visite médicale.

L'Acat regrette que malgré les accusations multiples par des comités internationaux et les déclarations de bonnes intentions du gouvernement, rien ne bouge vraiment sur le terrain. Au-délá de la honte, le long silence du gouvernement indique à quel point les ministres sont démunis de solutions à proposer. 

 

Les mineurs privés de liberté au Luxembourg

 

Résumé des recommandations, commentaires et demande d'information du CPT

 

1. Les Centres socio-éducatifs de l'État

 

recommandations

 

- que des mesures soient prises afin de parer à la surpopulation dans les CSEE de Dreiborn et de Schrassig

- que les effectifs en éducateurs qualifiés dans les CSEE soient revus, en vue de permettre la pleine réalisation des objectifs assignés à ces établissements par la loi

- que le droit d'être entendu au sujet de l'infraction qu'il est censé avoir commise soit garanti à tout mineur et que le droits de recours à une instance supérieure contre les sanctions disciplinaires infligées lui soit formellement reconnu

- qu'un registre spécifique, où seraient consignés tous les détails des sanctions disciplinaires infligées, soit tenu dans chaque CSEE

- que des mesures immédiates soient prises afin d'assurer que les pensionnaires placés à l'isolement pour des motifs disciplinaires ne voient offrir une heure au moins d'exercice en plein air quotidien

- que les locaux utilisés à des fins d'isolement disciplinaire dans les CSEE soient équipés d'une table et d'une chaise (si nécessaire, fixées au sol)

- que des mesures soient prises afin de garantir aux pensionnaires des CSEE qui sont placés dans des locaux utilisés à des fins d'isolement disciplinaire un accès au toilettes au moment voulu

- que la pratique consistant à placer des pensionnaires dans des chambres d'isolement en sous-vêtement ou en pyjamas soit revue

- que des mesures soient prises afin qu'un poste d'infirmier à temps plein soit créé, ce dernier assurant une présence alternée dans les deux CSEE visités

- que des mesures soient prises afin qu'un poste d'infirmier à temps plein soit créé, ce dernier assurant une présence alternée dans les deux CSEE visités

- que des mesures appropriées soient prises afin que le caractère confidentiel des données médicales soit respecté dans les CSEE

- que tous les examens médicaux des pensionnaires (lors de leur admission ou ultérieurement) s'effectuent hors de l'écoute et - sauf demande contraire expresse du médecin concerné dans un cas précis - hors de la vue du personnel non-médical des CSEE

- que le personnel non-médical des CSEE reçoivent des instructions de ne pas trier les demandes de consultation médicale

- que le caractère multidisciplinaire du service psychosocial des deux CSEE soit complété en y intégrant un pédopsychiatre

 

commentaires

 

- le placement d'un mineur à l'isolement temporaire à des fins disciplinaires doit être considéré comme une mesure tout à fait exceptionnelle

- les autorités luxembourgeoises sont invitées à réduire la durée maximale de l'isolement temporaire prévue par la loi

- il est nécessaire d'équiper les locaux utilisés aux fins d'isolement disciplinaire dans les CSEE d'un système d'appel

- il serait souhaitable que la Commission de surveillance et de coordination des CSEE rédige et publie un rapport annuel sur ses activités, dans l'intérêt d'une plus grande transparence et en vue de stimuler le débat public sur les CSEE

- les notes de suivi médical dans les CSEE étaient assez succinctes

 

demandes d'information

 

- des informations relatives à l'entrée en vigueur et au fonctionnement pratique du nouveau projet d'organisation des activités scolaires et de formation dans les CSEE

- des précisions quant à l'usage de la « cellule d'isolement » au CSEE de Schrassig

- des informations sur l'usage futur des cellules disciplinaires du CSEE de Dreiborn et, le cas échéant, des informations détaillées sur leur réaménagement

 

2. Le placement de mineurs au Centre pénitentiaire de Luxembourg

 

recommandations

 

- qu'une très haute priorité soit accordée à la réalisation du projet de construction d'une unité spéciale destinée aux jeunes détenu(e)s à Dreiborn

- dans l'attente de la mise en service de cette unité spéciale:

- que le personnel socio-éducatif mis à la disposition du CPL afin de suivre les mineurs qui y séjournent soit accru de manière significative;

- que les moyens soient mis à la disposition du CPL lui permettant de garantir au mineurs qui y sont placés une véritable scolarité

demandes d'information

- des informations détaillées sur la future unité spéciale destinée aux jeunes détenu(e)s à Dreiborn (capacité, personnel, infrastructure, dates des travaux, date envisagée de mise en service)

 

josée hansen
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