d’Land : Durant les 17 ans que vous avez dirigé l’Enregistrement, vous avez connu cinq ministres des Finances successifs. Comment décririez-vous cette relation ?
Romain Heinen : Différente à chaque fois. Le directeur est condamné à s’entendre avec le ministre. Il doit trouver un équilibre. La loi organique stipule que l’administration est « confiée » à un directeur ; c’est donc aussi une question de confiance. Celui qui me l’a accordée, c’était Jean-Claude Juncker. Tout le monde l’appelait simplement « de Chef ». Il en savait souvent plus sur la matière que les directeurs d’administration. Ce savoir lui donnait une autorité extrême. On aurait traversé le feu pour lui. Il avait aussi ce don de se rappeler les noms de chacun. Ou du moins un détail, comme la marque de cigarettes que quelqu’un fumait.
Être membre du LSAP (qui vous a proposé pour le Conseil d’État en 2011) n’a-t-il pas eu d’impact sur votre nomination ?
Avec Jean-Claude Juncker, zéro virgule zéro. C’était l’engagement qui comptait, et rien d’autre. Je savais que je n’allais pas me retrouver tout seul, que j’avais le ministre derrière moi. Cette personne est à la base de ma carrière et je ressens beaucoup de respect pour lui. Son point faible, c’était qu’il avait du mal à s’organiser et à se protéger au sein du ministère d’État qui continuait à fonctionner comme au XIXe siècle. C’est ce qui a finalement causé sa chute en 2013.
Comment s’est passée votre collaboration avec Luc Frieden ? Il était très réticent à accorder plus de personnel aux administrations fiscales. Avec les conséquences qu’on sait…
En même temps, il était toujours ouvert à toutes les propositions d’innovation et de modernisation. Mais à l’époque, il n’était pas encore « de neie Luc », la relation était donc plus officielle… plus distanciée.
Et avec Pierre Gramegna ?
Au sein du ministère des Finances, la passation des pouvoirs de 2013 était vécue sur un air d’enterrement. Le ministre Gramegna était très méfiant au début. On peut le comprendre : Il venait d’atterrir dans un milieu où il ne connaissait personne. Mais la relation entre nous s’est peu à peu améliorée. À la fin, elle était bonne, et j’ai sincèrement regretté son départ. Après, il est comme il est. C’est quelqu’un de très intelligent, mais aussi d’émotionnel : le ton pouvait monter très vite très haut… Mais quelques heures plus tard, c’était comme si rien ne s’était passé.
Yuriko Backes ?
Elle se donnait beaucoup de peine pour être proche des gens, par exemple en visitant les bureaux. Il était très agréable de travailler avec elle. Je vais vous raconter une petite anecdote. Devant le bureau de la ministre, il y a une antichambre. Cette pièce, je la connais depuis toujours. Quand on y attend son premier rendez-vous avec un nouveau ministre, on est forcément un peu nerveux et on se demande comment ça va se passer. Début 2022, je suis donc assis dans l’antichambre ministérielle en attendant ma première entrevue avec Yuriko Backes. La porte s’ouvre, et la ministre sort en me demandant : « Tu veux que je te prépare un café ? Tu le prends avec du sucre ou du lait ? » J’en suis presque tombé de ma chaise. Chez ses prédécesseurs, une telle question aurait été impensable.
Et enfin l’actuel ministre, Gilles Roth ?
Au début de nos carrières, on était collègues au ministère des Finances. Mais, il n’était pas un simple fonctionnaire, il avait déjà un côté un peu extraterritorial. Il était bourgmestre de Mamer ou voulait le devenir, et je pressentais qu’il allait prendre un tout autre chemin que moi. Notre collaboration dans le domaine de la fiscalité était excellente. Quand nous travaillions à deux sur un dossier, j’étais celui qui préparait tout et qui jouait au secrétaire. Il venait, lui, avec trois ou quatre idées juridiques à intégrer. On se complétait bien. À la fin de ma carrière [Romain Heinen part à la retraite le 1er octobre, ndlr], il s’agit donc d’une grande satisfaction d’avoir comme chef un ancien collègue que je respecte pleinement dans sa nouvelle fonction.
Y a-t-il eu des moments où vous avez pensé à démissionner ?
Un ou deux, oui. On se soumet ou on se démet, cela a toujours été très clair pour moi. Et j’ai quelques principes sur lesquels je ne tergiverse pas.
Dans le dossier de l’imposition des tantièmes, vous évoquiez récemment des « pressions énormes » exercées par la place financière « jusqu’aux plus hautes sphères de l’État ». En général, vous étiez pourtant moins exposé au lobbying que vos collègues à l’Administration des contributions directes (ACD). Je pense notamment aux rulings.
Oui, sauf pour certains dossiers comme la TVA. Mais j’avais un argument objectif pour protéger notre administration de l’anti-chambrage des Big Four : Dans une économie de taille réduite, la plupart des livraisons de biens et de prestations de services ont un caractère transfrontalier. L’Enregistrement peut donc accorder un ruling, mais si le pays de destination voit les choses différemment, celui-ci n’aura aucune valeur. Lors d’une réunion du Haut comité de la place financière, on m’avait d’ailleurs demandé quelles étaient les procédures en matière de rulings à l’Enregistrement. Ma réponse était très simple : On n’en fait pas.
Le Haut comité de la Place financière était censé développer de nouveaux produits normatifs, et ceci dans une union sacrée entre avocats d’affaires, régulateurs, managers de Big Four et les directeurs des deux administrations fiscales… Comment y voyiez-vous votre rôle ?
Je me suis toujours considéré comme un observateur technique, et non comme un membre actif du Haut comité. J’y apprends beaucoup sur notre secteur économique le plus important. Tout le monde m’y dit gentiment bonjour, and that’s it. Quand on me pose des questions, je réponds de manière factuelle. Mais il faut faire attention : Il y a une ligne très fine qu’il ne faut pas dépasser. Chacun joue donc son rôle. Je connaissais le mien, et je ne l’ai jamais dépassé. C’est comme au foot : On ne peut pas être gardien et attaquant en même temps. L’administration est là pour appliquer la loi. Si celle-ci doit changer, c’est au Parlement d’en décider.
Vous avez commencé votre carrière comme rédacteur dans la carrière moyenne avant de réussir le saut dans la haute fonction publique. Ce parcours fait aujourd’hui de vous une sorte de dernier des Mohicans…
Après avoir passé mon bac au LGL, je suis entré au secrétariat du ministère des Finances. Concrètement, je traitais le courrier entrant et sortant, selon un système de classification manuel. (C’est pourquoi je n’ai jamais perdu un dossier par la suite.) Les administrateurs généraux s’appelaient Romain Bausch, puis Gaston Reinesch. Le directeur du Trésor se nommait Yves Mersch. Ces gens me fascinaient ; c’étaient de vrais Macher. Ils connaissaient leur matière, ils étaient totalement engagés et travaillaient énormément. Pour moi, en tant que novice, c’était une joie de jouer les petites mains.
Vous avez rapidement décidé de suivre les formations internes des administrations fiscales luxembourgeoises, mais également à la Bundesfinanzakademie et au FMI à Washington. Mais vous étiez surtout un des premiers au ministère à vous intéresser aux nouvelles technologies.
C’était l’époque de la révolution des PC. Mais le Centre informatique de l’État les considérait encore comme de petits gadgets, et continuait à privilégier ses grands mainframes. J’ai passé un stage à l’Inspection générale des finances qui, grâce à son directeur Hellinghausen, avait le plus d’avance en la matière. En parallèle, je suivais des cours au Centre universitaire. Au sein de mon ministère, j’étais donc devenu une sorte d’ovni. Je m’y connaissais tant en fiscalité qu’en informatique. Après avoir passé l’examen de passage à la carrière supérieure, j’ai intégré l’équipe fiscale de Gaston Reinesch. J’y étais le miroir de l’Enregistrement et du Cadastre. C’était une chance, car ces administrations se situaient à deux extrêmes. Le cadastre était composé d’ingénieurs pragmatiques, alors qu’à l’Enregistrement dominait la Juristerei à l’état pur. Les premiers pensaient en termes de projets, les seconds ne regardaient que les textes. J’ai appris relativement tôt qu’il fallait faire des compromis.
Votre prédécesseur à l’Enregistrement, Paul Bleser, se livrait à une interminable bataille médiatique et juridique avec Michel Wolter. Il ne cachait pas non plus son désamour pour Jean-Claude Juncker.
Entre Bleser et Juncker, c’était la guerre atomique. J’ai rentré la tête dans les épaules. J’ai compris que si le directeur était en bisbille avec son ministre, les conséquences pour l’administration étaient catastrophiques. C’est d’ailleurs après cette affaire que les mandats des hauts fonctionnaires ont été limités. Avant de partir à la retraite, Paul Bleser donnait une interview à RTL-Radio dans laquelle il comparait l’Enregistrement à un sous-marin rouillé gisant au fond de la mer. Et disait ça en tant qu’ancien capitaine de l’administration !
Et en entendant ça, vous vous dites : Voilà le job qu’il me faut ?
Au ministère on m’a dit : Laissons la maison se consumer avant d’y envoyer un nouveau directeur. Je venais d’avoir quarante ans et j’étais en fin de carrière au ministère, ayant atteint le grade 16. J’avais accumulé un savoir théorique, mais je sentais que je n’apprendrais plus rien de nouveau tant que je ne me confronterais pas à la pratique. Ma nomination était contestée au sein du gouvernement, et dans la haute fonction publique.
Vous vous heurtiez à une forme d’élitisme académique ?
Tout au long de ma carrière, je ressentais que certaines personnes ne m’acceptaient pas vraiment. Au sein de l’ACD, il y avait une certaine tradition que des fonctionnaires issus de la carrière moyenne montent au poste de directeur. Mais dans l’histoire de l’Enregistrement, cela était totalement inouï. Tous les directeurs avaient toujours été des juristes. C’étaient des sortes de demi-dieux, pour la plupart assez âgés, qui trônaient au-dessus des rédacteurs qui formaient, eux, la colonne vertébrale de l’administration. On en venait à oublier, que l’Enregistrement était avant tout une administration financière.
En tant que directeur vous vous retrouviez coincé entre l’idéal du new public management et la réalité d’un cadre légal relativement strict. Cette tension, comment l’avez-vous ressentie ?
Les directeurs de l’État provoquent une certaine hantise. Nous sommes un peu mal vus, pas seulement par la CGFP, mais également par la politique. On estime que nous avons trop de pouvoir, on craint le risque d’arbitraire. En réalité, nous sommes soumis à un statut, nous pouvons encourir des sanctions disciplinaires et notre mandat est limité à sept ans. La mode actuelle, c’est de vouloir tout régler par des lois. À mes yeux, c’est la mauvaise piste. La fonction publique unique, que la CGFP aime invoquer, reste un mythe. On ne peut pas comparer l’AED à l’Athénée. L’État est multiple et un directeur doit pouvoir réagir. Comment veut-on par exemple régler le télétravail par la loi ? À moins d’ouvrir de telles latitudes que le directeur devra, en fin de compte, de nouveau trancher. Dès le premier jour du Grand Confinement, nous avons trouvé une solution en interne ; et ceci en trois heures pile, avant que les premières instructions ne soient publiées.
La réforme de la fonction publique de 2015 promettait des administrations plus « modernes » et « efficientes ». Quel bilan en tirez-vous ?
Je place beaucoup d’espoirs dans la gestion par objectifs. C’est un outil précieux. Il permet de développer une stratégie sur trois ans et de définir des projets opérationnels. Mais sur le terrain, ces idées s’enfoncent. Des objectifs, ce n’est qu’à travers ses fonctionnaires qu’une administration peut les atteindre. Or, il manque un élément central : le lien avec l’avancement dans la carrière. Après l’abolition du système d’évaluation, que je regrette amèrement, on continue à se cramponner à l’avancement automatique, et ceci jusqu’au grade final. C’est comme en prison, il suffit de purger ses années. C’est extrêmement préjudiciable. Il faudrait récompenser les gens qui sont dynamiques, qui suivent les formations, qui tirent les équipes vers l’avant.
Tant l’ACD que l’Enregistrement recherchent actuellement un nouveau directeur. Ne faudrait-il pas embaucher un gestionnaire plutôt qu’un technicien ? Surtout au vu de la crise dans laquelle sombre l’ACD…
Je me considère comme un directeur « old style ». J’estime qu’un directeur ne tire plus son autorité de son titre, mais de son savoir. S’il ne comprend pas les enjeux, comment prendra-t-il des décisions en matière de contentieux par exemple ? Dans les autres pays, la direction générale du fisc est un poste politique. Je me rappelle un collègue néerlandais, rencontré lors d’une réunion internationale. Je le salue en remarquant que c’est la première fois que je le vois. Il me répond qu’il y a un mois encore, il était directeur de leur Adem. Il m’explique que sa mission actuelle consiste à fermer la moitié des bureaux d’imposition. S’il y réussissait, il serait le mec le plus impopulaire de l’administration, et aurait droit à son prochain poste.
Contrairement à l’ACD, l’Enregistrement a pris relativement tôt le virage digital. Mais puisque la TVA est un impôt communautaire, vous pouviez au moins vous inspirer des autres États membres ?
Au total, cela nous a pris seize ans ! Seize ans pour établir un système qui intègre tous les services de l’administration, de la taxe d’abonnement à la TVA Logement. En interne, c’était du Heulen und Zähneknirschen. Les gens ne voulaient pas se séparer des systèmes auxquels ils étaient habitués. Il y a cette idée comme quoi il suffit de prendre beaucoup d’argent et de passer commande d’un logiciel auprès de Cactus, d’un Big Four ou de qui sais-je. Cette vue est totalement erronée. Elle conduit droit dans le mur. Il faut comprendre qu’on ne peut pas tout réduire à l’informatique. Il faut également remettre en question l’organisation interne. Sinon on finit par informatiser des structures héritées du XVIIIe siècle.
Dans le cas de l’Enregistrement, le nœud gordien à trancher, c’étaient les bureaux cantonaux.
L’Enregistrement est l’administration la plus ancienne. Son organisation était archaïque et inefficiente. À l’exception de Vianden, on était présent dans chaque canton avec quelques fonctionnaires. Cette structure avait une justification historique : les notaires sont nommés par canton et leurs actes doivent être enregistrés. Mais elle rendait impossible la digitalisation. J’ai donc informé le ministre Frieden que je voulais moderniser cette structure, et il m’a donné immédiatement le feu vert. Mais la politique locale est un puissant facteur au Luxembourg. Dans les mois qui ont suivi, je recevais chaque jour une résolution d’un autre conseil communal s’opposant « formellement » aux fermetures. Au sein de l’Enregistrement, il y a eu un véritable soulèvement des receveurs. Chacun avait sa raison pour rester à Redange, Clervaux ou Wiltz… Mon argument « favori » était : « Je dois nourrir mes lapins tous les midis dans mon jardin ». Malgré ces pressions et avec le plein appui du ministère d’État, le conseil de gouvernement a fini par donner son OK à la restructuration en 2013. Mais peu après, le gouvernement a implosé suite à l’affaire Srel.
Vous aviez donc contre vous non seulement les édiles locaux, mais également une partie de vos fonctionnaires ?
Do war ech wierklech ugeschloen... En plus, le DP menait campagne en promettant qu’aucun bureau n’allait fermer. Fernand Etgen, un ancien fonctionnaire de l’Enregistrement (et par ailleurs un copain), le proclamait partout. Quand j’ai eu ma première entrevue avec le nouveau ministre Pierre Gramegna, il m’a expliqué que mon plan serait impossible à mettre en œuvre. Il me rappelait que le nouveau ministre de l’Agriculture Etgen venait de déclarer, lors de sa première réception à l’institut viti-vinicole, que le bureau de Remich n’allait pas fermer. Je lui ai expliqué que si on ne faisait rien, on allait rester coincé au Postkutschen-Zeitalter. Pierre Gramegna a finalement trouvé un bon compromis : maintenir le bureau à Grevenmacher. Ces fermetures étaient la condition pour mettre en œuvre la modernisation de l’administration. Cela nous a permis de créer des bureaux spécialisés dans la taxe d’abonnement, les droits de succession, la TVA… Mais il fallait d’abord faire sauter le verrou cantonal.
Le Luxembourg est le seul pays en Europe à avoir maintenu trois administrations fiscales distinctes. Quand on entend ce feuilleton cantonal, on se dit que leur fusion reste une chimère.
C’est un combat d’arrière-garde. Il a été perdu il y a longtemps déjà. On aurait pu le faire après la guerre. Pendant l’Occupation, les deux administrations fiscales avaient été fusionnées en un Finanzamt. Au lendemain de la guerre, cette structure haïe était abolie, mais l’impôt sur le chiffre d’affaires [l’ancêtre de la TVA] tombait désormais dans le ressort de l’ACD. En 1945 et 1946, les deux administrations se livraient une guerre auprès du ministre des Finances Dupong. C’était vraiment très violent, l’AED dénigrant l’ACD et vice-versa. Je suis descendu l’autre jour dans les archives. Quand on ouvre ces dossiers, on pense encore sentir la poudre à canon. En 1946, le gouvernement décide finalement que l’impôt sur le chiffre d’affaires basculait de nouveau du côté de l’Enregistrement. Sans cette décision, l’AED aurait disparu, comme dans les autres pays.
Dans les décennies qui ont suivi, la revendication d’une fusion a régulièrement refait surface. À chaque fois, elle était promise « à moyen terme », cette temporalité politique qui n’engage à rien. La dernière fois, c’était en 1997 dans le rapport de Jeannot Krecké sur la fraude fiscale.
Vous nommez un directeur général et vous choisissez un autre nom ; mais qu’aurez-vous créé ? Trois silos, aux fonctionnements très disparates ! La réaction du gouvernement était la bonne : abattre les murs du secret entre les trois administrations grâce à une loi de coopération. La compartimentalisation ne bénéficie qu’aux fraudeurs et autres criminels. On a aujourd’hui un échange de données avec un très grand nombre d’administrations. Cela nous donne un savoir incroyable, plus étendu qu’il ne l’a jamais été. Bien-sûr qu’il faut respecter le RGPD [Règlement communautaire général sur la protection des données, ndlr] qui impose des règles strictes. En plus, il faut convaincre le Conseil d’État qui défend sur cette question une vision libérale, éloignée de l’intérêt général et du bon fonctionnement de l’État. Quand le Premier ministre dit qu’il veut introduire le principe du « once only », c’est une très bonne chose. Mais dans la pratique, cela soulèvera de sérieux problèmes en matière de protection de données.
Plutôt que pour une fusion, vous plaidez pour une sorte de Steuerfahndung grand-ducale.
En matière de criminalité financière, nous sommes souvent confrontés à des structures extrêmement complexes. Le problème au Luxembourg, c’est que l’Enregistrement, la Douane, l’ACD, la CSSF et la Police judiciaire travaillent chacun dans leur coin. Il faudrait unir nos ressources. Je pense à une petite cellule d’experts : une douzaine de personnes ayant la qualité d’officier de Police judiciaire et travaillant sous l’autorité du Parquet.
En 2008 déjà, le gouvernement voulait donner la qualité d’officier de Police judiciaire à certains fonctionnaires d’ACD et de l’AED. Ce projet avait buté sur une opposition formelle du Conseil d’État.
Le gouvernement aurait dû passer outre cette opposition formelle. Le Conseil d’État notait que dans les procédures fiscales, le contribuable a un devoir de communication. Or, dans une procédure pénale, il n’est pas obligé de s’incriminer soi-même. Il aurait suffi de séparer les deux entités, les premiers s’occupant de l’imposition, les seconds des poursuites.
Une quinzaine de fonctionnaires travaillent actuellement au service anti-fraude. L’Enregistrement emploie probablement plus de gens pour nettoyer ses bureaux que pour combattre la fraude…
Les agents du service anti-fraude étaient recrutés parmi les meilleurs et plus expérimentés contrôleurs des bureaux d’imposition. Mais au bout d’années et d’années de travail en sous-effectif, nos bureaux sont asséchés. Il y a un réel manque de substance, et nous ne pouvons donc plus en tirer ce substrat. Pour le service anti-fraude, nous avons commencé à recruter des experts-comptables comme stagiaires dans la carrière A2. Mais cette greffe n’a pris qu’en partie. Nous pourrions apporter plus de recettes à l’État luxembourgeois si nous étions mieux outillés.
Le Luxembourg a passé le dernier examen du Gafi, mais de justesse. Catherine Bourin, la nouvelle « Madame anti-blanchiment » au ministère de la Justice, a récemment expliqué que le Luxembourg se trouvait « sur le fil du rasoir ». Le pays aurait obtenu la note « modéré » sur six des onze critères. Un de plus, et il aurait été greylisté.
C’est n’importe quoi cette déclaration ! Il n’appartient pas à une fonctionnaire de dire une telle chose sur l’évaluation, car elle n’est pas le Gafi, qui a pris sa décision en connaissance de cause. On a passé un examen auquel beaucoup d’autres pays, notamment l’Allemagne, ont échoué. En tant que tel, c’est un bon résultat. Vous pouvez gagner un match 1-0 ou 5-0, ce qui compte c’est de l’avoir gagné.