Espoir de papier

Espoir de papier

d'Lëtzebuerger Land du 10.03.2023

De la poussière d’étoiles venue de l’imaginaire de Keong-A Song recouvre les épaules du visiteur au sortir de son exposition Stardust Village au Centre Culturel Portugais. Peut-être qu’en s’époussetant, on la verrait s’envoler vers le ciel et voyager jusque sur Mars comme dans Space Travel Agency, une des aquarelles de cette toute nouvelle production. Ou bien s’accrocherait-elle dans les arbres de la Place Joseph Thorn. Keong-A Song, illustratrice née à Séoul, diplômée de l’ENSAD de Nancy, est bien connue par son travail d’illustratrice pour un nombre impressionnant d’institutions luxembourgeoises. Elle a reçu le prix de la treizième édition du Lëtzebuerger Buchpreis du meilleur livre pour enfants et adolescents en 2018 (Wooow !!! Luxembourg, éditions Guy Binsfeld). Récemment, son affiche pour l’Amitié luxembourgo-coréenne, associait une ronde de personnages folkloriques des deux pays, dont les musiciens et les moutons du populaire Hämmelsmasrch.

Hommes, animaux et arbres cohabitent aussi au Centre Culturel Portugais, où tout le monde, des fonds de la mer aux étoiles du cosmos et sur la terre, se retrouve à faire de folles fêtes dans les aquarelles. Par essence, leurs couleurs sont claires, mais en voici deux, plutôt sombres. On voit là une culture maraîchère extensive, abondamment arrosée et un hydravion qui déverse son réservoir d’eau sur une pinède en feu. Attentive aux catastrophes planétaires à venir (incendies, vents violents, inondations et sécheresse), Keong-A Song, est familière du Portugal. On le reconnaît par petites touches, y compris des allusions à sa vie personnelle. Voilà un olivier formant une bibliothèque (Library, 2450 Years Old Tree), fait pour abriter le lecteur vorace qu’est Marco Godinho, son mari. Ce n’est un secret pour personne et les aficionados de l’illustratrice suivent depuis une quinzaine d’années Le monde nomade de Mr Godinho, publié sous forme d’ouvrage à l’occasion la participation du Luxembourg à la Biennale d’art de Venise, Written by Water (2019). Marco Godinho est aussi gourmand de nourritures terrestres. Voici un autre arbre dont le tronc abrite l’usine à fabriquer des gâteaux apéritifs aux olives, directement du producteur au consommateur (Biscuit Factory, 3350 Years Old Olive Tree).

Mais foin ici du petit personnage à cheveux noirs et frisés. À bien y regarder, dans le triptyque où l’eau est gâchée sans discernement et les pins brûlent, le petit bonhomme à vélo sur la route qui borde le champ a une tête de poisson, l’attroupement qui regarde la forêt brûler, des têtes d’oiseaux. Les proverbes populaires affirment qu’on est « heureux comme un poisson dans l’eau » et qu’ « à petit oiseau, petit nid »…

Certes, on ne voit pas chez Keong-A Song de Maître Corbeau, Jean de la Fontaine ennoblissant ainsi les noirs volatiles qui coassent place Joseph Thorn où se trouve le CCP et dont d’aucuns aimeraient se débarrasser. Mais elle est une narratrice dotée de pinceaux, où tout personnage a sa place, même la pieuvre, pas franchement réputée pour sa beauté. Mais la voici reine de la Pink Octopus Beach, qui tend ses tentacules en guise de toboggans et la tortue, cet animal vieux comme le monde, n’est toujours pas fatiguée de porter des maisons sur son dos, comme une roche préhistorique (Memory Fragments).

Des rochers, il y en a aussi au bord de la mer où plonge un soleil incandescent, dont les rayons transpercent un ciel de nuages de neige où l’on fait du canoë. Ou alors on plonge d’un pavillon dans un océan de papier, à l’ombre d’un arbre dont les feuilles-pages s’envolent couverts de messages portés par des colombes de paix vers d’autres planètes du cosmos… Poétique, fantastique, ésotérique, tel est le petit monde qui peuple le village de Keong-A Song. Madame Poule observe tout cela depuis le rocking-chair de son jardin, tasse de thé à la main et l’air de se demander « mais comment donc tout cela va-t-il finir ? » 

On peut imaginer que le Stardust Village a des gardiens. Ce seraient ces figures tutélaires, totémiques, vêtues de végétation ou de paille, le visage couvert d’un masque grimaçant pour chasser le mal (Forêt résistance, Fête de la pierre). Keong-A Song semble bien connaître les traditions où se mêlent encore une part de magie, de Corée, du Portugal ou du Luxembourg où on vient d’allumer les feux du Buergbrennen pour chasser l’hiver. Alors comment ne pas souhaiter à la planète, le destin aux poussières d’étoiles du Stardust Village ?

Stardust Village de Keong-A Song, est à voir jusqu’au 27 avril au Centre Culturel Portugais, 4, Place Joseph Thorn, à Luxembourg-Merl

Marianne Brausch
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