« Stooop !, hurle le commandant. Dites à vos deux IB de sortir de là, ils vont se retrouver devant les véhicules de la manœuvre !! » Les deux jeunes avec des sacs à dos surdimmensionnés, en tenue et maquillage de camouflage, gilet jaune fluo marqué « Armée » dessus, ont l’air un peu perdus et pressent le pas pour disparaître dans le petit bois adjacent. Nous sommes au lieu-dit Botterweck, petite plaine à quelques centaines de mètres au-dessus de la caserne grand-duc Jean à Diekirch, mardi 7 avril vers midi. La démonstration du savoir-faire de la première troupe Udo (Unité de disponibilité opérationnelle), présentant une manœuvre de réaction à une situation d’embuscade, constitue le dernier acte de la visite des lieux par deux ministres, celui de la Défense, Jean-Louis Schiltz (CSV), et celui des Travaux publics, Claude Wiseler (CSV), ainsi que d’une douzaine de députés, membres des deux commissions parlementaires afférentes, accompagnés de la presse.
Les IB sont les très jeunes recrues de « l’instruction de base », qui passaient, en début de semaine, leurs dernières épreuves de sélection, clôturant les quatre mois de stage, épreuves physiques et pratiques, ainsi que « caractérielles » comme l’appellent leurs formateurs. Ils avaient surtout l’air un peu intimidés, impressionnés par cette soudaine attention publique pour leur formation. Pour un civil, l’exercice de manœuvre, avec armes à feu et explosifs, ressemblait un peu au tournage d’un film, courant au Luxembourg aussi – Jean-Louis Schiltz est d’ailleurs aussi en charge de l’industrie audiovisuelle. Sauf qu’il s’agit de la réalité quotidienne de l’armée : répéter des situations de danger à sec pour être prêts à réaliser les gestes nécessaires une fois sur le terrain.
Les « Udo » sont les nouvelles unités créées par la loi du 21 décembre 2007. Ses membres sont recrutés parmi les volontaires à la fin des quatre mois de formation IB. Les soldats de cette première unité Udo, qui prouve son savoir-faire devant les invités, ont commencé leur instruction de base en mai 2008, prêté leur promesse en septembre, suivi de l’entraînement spécifique pour les opérations de maintien de la paix à l’étranger, et attendent maintenant d’être assignés, dès juin de cette année, pour une mission de quatre mois au Kosovo (Ffor), en Afghanistan (Isaf) ou au Liban (Belufil). À leur retour de mission, ils seront, après une période de repos, à nouveau à la disposition de la Nato Response Force ou de tout autre mission demandée par le gouvernement et avalisée par le parlement.
« Jusqu’ici, la Chambre des députés a donné son accord à toutes les missions internationales de l’armée luxembourgeoise proposées par la gouvernement, souligna le président de la commission parlementaires des Affaires étrangères et de la Défense, Ben Fayot (LSAP), mardi. Il faut dire que le gouvernement les a toujours sélectionnées avec beaucoup de prudence. » Les engagements internationaux de l’armée luxembourgeoise ne sont pas nouveaux, mais la création de ces nouvelles unités doit permettre d’assurer la continuité des opérations.
Mardi, le ministre de la Défense taisait la position du grand-duché face à l’appel du Président américain Barack Obama aux Européens, la semaine dernière, d’augmenter leurs effectifs dans les troupes en Afghanistan, les exhortant de ne pas toujours considérer l’armée américaine comme le « parapluie de l’Europe » au sein de l’Otan et demandant que le continent « se dote de capacités de défense beaucoup plus robustes » (Le Monde, 05.04.2009).
« Nous n’avons pas du tout de problèmes de recrutements, » soulignait Jean-Louis Schiltz. La promotion de printemps, qui débute cette année le 27 avril, est toujours la plus faiblement occupée, celle de septembre la plus forte. L’IB recrutée en janvier dernier, et qui est actuellement en fin de formation de base, comptait 61 personnes au départ, dont neuf ont abandonné en cours de route ; 52 passent les tests finals, dont quatre sportifs d’élite et un candidat à la musique militaire ; six des recrues sont non-Luxembourgeois. Le solde d’un soldat volontaire de base est de 1 262 euros, le premier soldat-chef atteint 1 847 euros. S’engager dans les Udo pour suivre les opérations de maintien de la paix constitue aussi un avantage financier : les salaires passent alors à entre 2 100 et 2 900 euros, somme à laquelle s’ajoute une prime mensuelle spéciale de 1 189 euros durant la mission et, à la fin de son engagement en tant que soldat volontaire, en principe après quatre ans, une « prime de démobilisation » annuelle.
C’est une banalité de le rappeler, mais en temps de crise économique, l’armée est aussi considérée comme un employeur sûr, offrant non seulement un emploi sur quatre ans, mais également des possibilités de formation et de reconversion, ainsi que des garanties d’emploi prioritaire dans la carrière inférieure de certains secteurs de l’État et des établissements publics. « L’armée a aussi une vocation sociale, souligne Jean-Louis Schiltz. Nous voulons que les soldats quittent l’armée avec une meilleure formation que ce qu’ils avaient en entrant. » Un service à la reconversion vient d’être mis en place au sein de l’armée, chargé d’aider les volontaires à s’orienter vers un emploi public ou privé et à adapter les formations de l’école militaire en conséquence – en principe, les volontaires rejoignent ces formations après la fin des 36 mois d’engagements, durant une année. Le contingent des volontaires est actuellement plafonné à 500 recrues.L’armée luxembourgeoise compte aujourd’hui 1 022 membres. « Bien sûr, l’amélioration des conditions d’accueil contribue aussi à augmenter l’attractivité de l’armée, » estime le ministre de la Défense. L’installation actuelle, avec sa trentaine de bâtisses, date des années 1950 et n’a plus guère été rénovée depuis, « à part un pavillon, le n°4, qui avait été repeint pour accueillir les demandeurs d’asile à la fin des années 1990 – ce traitement préférentiel avait d’ailleurs fait beaucoup jaser dans l’armée à l’époque » glisse un homme en uniforme.
Car les ministres et les députés s’étaient surtout déplacés à Diekirch pour se faire une image sur place de l’état de vétusté des infrastructures afin de se rendre compte de l’urgence d’une telle réhabilitation. Et en effet, les bâtiments ne sont plus aux normes ni de confort minimal, ni d’hygiène – des pollutions à la légionellose avaient été constatées dans les tuyaux –, et encore moins énergétiques.
Le gouvernement prévoit des travaux en cinq phases, avec un investissement final de près de 150 millions d’euros : la réhabilitation des infrastructures techniques primaires (réseaux de distribution internes à la caserne d’eau, de gaz et d’électricité ; chemins d’accès...) pour 18,7 millions d’euros devrait pouvoir passer le parlement avant l’été, auquel cas les travaux devraient pouvoir commencer cette année encore. Puis, la construction d’un nouveau hall logistique à l’entrée nord-est de la caserne devrait permettre la concentration de tout le matériel dans un seul immeuble et libérer de l’espace dans les pavillons. Le projet de loi pour ce hall, 109 000 mètres cubes pour 60,5 millions d’euros, vient d’être déposé à la Chambre des députés. La rénovation des stands de tir du Bleesdall sera financée par le biais du Fonds d’équipement militaire, qui prévoit cinq millions d’euros sur deux ans à ce poste.
Les deux derniers volets, à savoir la réhabilitation des pavillons et la construction d’un dépôt de munitions au Botterweck, sont encore en phase d’étude de faisabilité. Toutefois, les expériences recueillies avec la rénovation de premiers trois pavillons, isolés, mis aux normes et restaurés sur la carcasse existante, travaux longs et très onéreux, font plutôt pencher pour une version radicale de destruction et reconstruction des bâtiments. Même si tous les lits ne sont pas occupés en permanence, les capacités de logement doivent être de l’ordre de 600 unités, dont un certain nombre sont réservés au « plan national de catastrophe » – pour le relogement de la population civile en cas de crise grave, comme une catastrophe nucléaire par exemple – qui n’a, jusqu’à présent, jamais été déclenché.
Le prochain gouvernement aura donc à financer d’importants investissements militaires. Déjà, le Fonds d’équipement militaire devrait dépenser, entre 2007 et 2012, quelque 350 millions d’euros, selon le budget pluriannuel du gouvernement. Dont les 120 millions d’euros pour la participation à l’acquisition d’un avion militaire A400M, avec la Belgique, décidée par une loi en 2005 – et dont la livraison est loin d’être assurée (d’Land, 06.03.2009). Les vingt millions d’euros additionnels que le Fonds recevra cette année dans le cadre du budget d’État 2009 servent aussi à l’acquisition de nouveaux véhicules de reconnaissance.
Dans le budget d’État courant, les crédits du poste « contribution du Luxembourg aux efforts en matière de capacités militaires dans le cadre de l’UE et de l’Otan » passent de 400 000 euros en 2008 à deux millions cette année ; celui des « contributions du Luxembourg aux missions de prévention et de gestion de crise » passe de 2,2 millions en 2007 à 12 millions cette année. Le budget de la direction de la Défense a sextuplé entre 2007 (4,3 millions) et 2009 (25,5 millions), somme à laquelle s’ajoute le budget de la Défense nationale, qui connaît une évolution plus lente, de 58,9 millions en 2007 à 67,7 millions d’euros en 2009 – le Conseil d’État avait mis en garde devant ces frais exponentiels des ambitions militaires du gouvernement Juncker/Asselborn, qu’il jugeait exagérées, dans son avis sur la réforme de la loi en 2007 (d’Land, 30.11.2007).
N’est-il pas paradoxal que, pour des missions dites de maintien de la paix, il faille acheter autant d’armes et d’équipements militaires, et qu’un ministre de la Défense qui avait trois ans lors de l’abolition du service militaire obligatoire, en 1967, bataille si résolument pour une augmentation des effectifs de volontaires de l’armée ? Dans son bilan au gouvernement, il ne faudra pas seulement retenir son engagement en tant que ministre de la Coopération, mais aussi son action enthousiaste pour une valorisation de l’armée.
Le rajeunissement de l’état-major, avec le remplacement plus ou mois élégant du colonel Nico Ries par le général Gaston Reinig début 2008 (d’Land du 20 mars 2009 et du 16 novembre 2007), fait partie de cette cure de jouvence qu’il a prescrite à la grande muette. Or, cette modernisation s’imposait surtout par la pression des organismes internationaux – Nations Unies, Otan, Union européenne –, qui demandent à ce que tous leurs membres s’engagent selon leurs moyens dans le défense commune. « Le Luxembourg a connu une histoire militaire mouvementée depuis la deuxième guerre mondiale, le résumait Ben Fayot. Lors de la réforme de 2007, nous avons fait le choix d’une armée de volontaires. Mais nous avons besoin d’une armée performante pour les opérations de maintien de la paix dans le monde. »