La Cour des comptes recommande une gestion plus transparente et des règles plus claires pour la gestion du parc automobile de l‘État, qu‘elle vient d‘analyser dans un rapport spécial

Dans la pénombre

d'Lëtzebuerger Land du 03.02.2012

Avant, il avait deux chauffeurs, racontait le nouveau ministre de l’Économie et du Commerce extérieur depuis mercredi, Étienne Schneider (LSAP) de manière très décontractée dans un portrait que lui consacrait RTL Télé Lëtzebuerg dès sa nomination au poste, le 7 décembre 2011. Le premier chauffeur était au service du président du conseil d’administration d’Enovos, le deuxième pour la SEO (Société électrique de l’Our), deux postes qu’il cumulait avec celui de haut fonctionnaire au ministère qu’il était. « À la limite, j’en perds un en devenant ministre, continua-t-il, le sourire aux lèvres, en conduisant sa grosse BMW. Ceci dit, mon nouveau chauffeur aura une arme et ma voiture des gyrophares – pour un rêve d’enfant, c’est bien sûr parfait ! » L’homme se montrait tout aussi décomplexé dans le garage, devant sa collection de voitures vintage, dont une Rolls Royce, qu’il choie et qu’il assume.

Afficher ainsi les avantages matériels que procurent ses fonctions à un haut fonctionnaire ou à un dignitaire politique à une heure de grande écoute à la télévision nationale est peut-être un phénomène nouveau au Luxembourg – étonnant surtout en temps de crise économique. Car malgré l’engouement des Luxembourgeois pour le Salon de l’automobile, durant lequel les concessionnaires réalisent un quart des ventes de voitures de l’année, le Rapport spécial – Contrôle du parc automobile de l’État que la Cour des comptes a présenté lundi devant la Commission de contrôle de l’exécution budgétaire de la Chambre des députés et publié sur son site par la suite1, n’a guère fait de vagues politiques dans l’opposition jusqu’à présent. Pourtant, l’ambition de l’organe de contrôle va dans le même sens que les travaux du Parlement pour une plus grande transparence sur les intérêts privés des députés (publication en-ligne du registre d’intérêts, élaboration d’un code de déontologie,...) et sur l’utilisation des deniers publics pour la chose politique (loi sur le financement des partis politiques,...). Au Luxembourg, on aime que les petits arrangements se fassent entre amis, dans la pénombre, « comme le veut la tradition ».

Il est vrai que le rapport de la Cour des comptes, pour lequel elle s’est autosaisie, ne révèle pas de scandale majeur – elle reste très générale et abstraite, se limite à révéler les grands principes et ne cite aucun exemple concret, omet de se consacrer aux accidents à répétition d’un ministre avec ses voitures de fonction par exemple ou aux utilisations présumées rocambolesques par une autre. Pas de « Dienstwagen-Affäre » à l’Allemande en vue, où l’utilisation d’une voiture de fonction à des fins privées à pu faire tomber plus d’un politicien haut placé.

Néanmoins, ce qui devrait faire réfléchir, ce sont les imprécisions dans la gestion de ce parc automobile de 1 935 véhicules (en dessous de 3,5 tonnes) d’une quarantaine de marques différentes qui appartiennent à la Police (771 véhicules), à l’Administration des ponts et chaussées (289), à l’Administration des douanes et accises (95), à celle de la Nature et des forêts (94), au garage du gouvernement (21) ainsi qu’aux musées national d’histoire naturelle (treize voitures) et d’histoire et d’art (huit unités) – ce qui ne constitue pas tout le parc, les ministères eux-mêmes, les établissements publics et l’armée par exemple en ayant été délibérément exclus. Le prix d’acquisition moyen se situait autour de 14 000 euros (page 11), les voitures sont gardées durant cinq ans et demi en moyenne, et, chose plus étonnante, elles ne font que 13 800 kilomètres par an. Un bon tiers effectuent même moins que 10 000 kilomètres par an, ce qui fait écrire aux contrôleurs de la Cour que « la définition des besoins n’est pas, ou très sommairement, effectuée » en amont de l’acquisition (page 12).

En outre, les voitures achetées dépassent, dans « un certain nombre de cas » les valeurs d’acquisition limites fixées dans la circulaire budgétaire (entre 26 000 et 32 000 euros pour une voiture de direction, 18 000 euros maximum pour une voiture de service). Les services passent souvent outre ces limites sans justifier dûment cette transgression de la loi budgétaire, un seul cas de motivation a pu être répertorié par les auditeurs de la Cour des comptes. Qui regrette surtout un manque de contrôle de l’exploitation de ce parc automobile, faute de moyens et techniques fiables. Elle constate donc des indications kilométriques erronées dans le système informatique (Police, page 17), des incohérences dans la consommation de carburant, l’absence de carnets de bords documentant tous les déplacements (Police, Administration des ponts et chaussées, page 18), des listes de réservations rudimentaires, et une absence totale de contrôle de retour des véhicules au garage après un déplacement, notamment avant un week-end... Impossible, dans ces conditions, de savoir si l’utilisation des deniers publics est rigoureuse.

Dans les couloirs, chacun dit connaître un fonctionnaire qui aurait abusé, utilisé sa voiture de fonction pour conduire ses enfants aux sports ou pour faire ses courses, considéré la voiture du ministère comme un « avantage en nature », dont profitent beaucoup d’employés privés dès le niveau management moyen, alors qu’elle devait servir aux besoins de tout le service. En réponse à ce point précis du stationnement de la voiture après l’horaire de travail, le ministre Claude Wiseler (en charge entre autres de l’administration des Ponts et chaussées) plaide pour l’introduction d’un système de géolocalisation centralisé (page 42), plus facile à mettre en place, car automatisé avec des voitures équipées de GPS que la mise en place de la charge administrative supplémentaire de carnets de route.

La Cour se demande aussi si tous les moyens de déplacement autres que la voiture individuelle sont toujours analysés avant l’acquisition d’un nouveau véhicule – comme par exemple les « vélos de service » du ministère du Développement durable et des infrastructures ou les transports en commun. Dès lundi, cet argument a d’ailleurs été repris par le député vert Félix Braz pour critiquer la politique publique en la matière. Par contre, personne, pas même la Cour, n’a encore insisté sur le fait qu’en onze ans, entre 2000 et 2011, le parc automobile de la Police a augmenté de 45 pour cent (de 580 véhicules à 850), comme l’écrit son directeur général Romain Nettgen dans sa lettre de réponse (page 36 du rapport), pour justifier que les huit artisans et ouvriers qui travaillent dans leur garage ne peuvent pas assumer la tache supplémentaire de réparer tous les véhicules de l’État, comme le suggère la Cour.

Qui demande aussi une gestion centralisée, une standardisation, voire même une acquisition commune de tous les véhicules pour le compte de l’État, afin de pouvoir négocier de meilleurs prix. Ce qui aurait certainement aussi des désavantages, non seulement pour les administrations, mais aussi pour les concessionnaires qui concourent sur ce marché.

Reste un groupe de voitures plus spécifique : le garage du gouvernement, qui compte une vingtaine de voitures, soit une pour chacun des quinze ministres, quelques voitures de rechange (en cas d’accident par exemple) et deux voitures blindées, notamment pour les visites officielles d’hôtes étrangers. La gestion de ce parc revient au ministre du Développement durable et des infrastructures Claude Wiseler (CSV), qui, dès son entrée en fonction, a introduit une limite de prix d’achat pour ces voitures, limite qui se situe à 70 000 euros, tous équipements spéciaux compris (à l’exception de celles du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères).

Ces grosses berlines, des Mercedes, Audi, BMW ou Lexus surtout, au choix du ministre, sont gardées cinq ans en moyenne, le temps d’un mandat en gros. Si le titulaire change, il reprend en principe aussi la voiture et le chauffeur de son prédécesseur ; seul le Premier ministre en a déjà gardé plus de deux fois plus longtemps. Les carrosses ministériels font quelque 200 000 kilomètres sur cette période. Au sujet de ce garage, la Cour des comptes n’a aucune critique à formuler, se montrant compréhensive pour le fait qu’un ministre, censé travailler tout le temps, doit avoir à sa disposition la logistique nécessaire.

1 Le rapport peut être téléchargé à l’adresse www.cour-des-comptes.lu/rapports/rapports_speciaux/index.php.
josée hansen
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