Qui sont les « ultra-high-net-worth-individuals » ?

Milliardaires

d'Lëtzebuerger Land du 11.04.2014

Il est beaucoup question actuellement des « ultra-high-net-worth individuals » (UHNWI), cette population de personnes très fortunées (elles détiennent plus de 30 millions de dollars en actifs investissables) qui fait saliver toutes les places financières de la planète.

Selon l’étude de référence menée annuellement par Capgemini et RBC Wealth Management, il y aurait aujourd’hui 111 000 heureux élus, détenant quelque 16 300 milliards de dollars. Mais selon d’autres sources fiables ils seraient encore plus nombreux, de l’ordre de 190 000 personnes.

Un effectif qui a crû de onze pour cent en un an, et dont la taille justifie désormais qu’il soit lui-même segmenté. C’est pourquoi depuis quatre ans, la Société Générale Private Banking et Forbes Insights publient une étude portant sur la frange la plus fortunée des UHNWI, ceux qui possèdent un patrimoine individuel supérieur à un milliard de dollars.

Ce segment comprend actuellement 1 426 personnes, dont 31 pour cent vivent aux Etats-Unis et 21 pour cent en Europe. Elles sont à la tête d’une richesse cumulée de 5 422 milliards de dollars, soit une moyenne, peu significative en l’occurrence, de 3,8 milliards par personne. C’est exactement le tiers de l’ensemble des UHNWI. En l’espace de 25 ans, le nombre de milliardaires a été multiplié par 7,4 et leur fortune, en dollars courants, par 15,5.

Cette année, Forbes, qui dispose de données sur une longue période (lire encadré) s’est intéressé à la longévité des grandes fortunes. Parmi celles qui figuraient dans le classement de 1989, combien sont-elles à être présentes en 2013, et pourquoi ?

L’Europe de l’ouest ressort du lot. Pourtant le nombre de milliardaires y a crû moins vite qu’ailleurs (multiplication par 5 contre par 8 aux États-Unis). Mais elle fait figure de « bastion de stabilité ». Plus des trois-quarts de ceux qui étaient présents en 1989 (78 pour cent précisément) sont encore là aujourd’hui, mieux qu’aux États-Unis où la proportion atteint 73 pour cent

Sont donc concernées 41 des 53 fortunes recensées à la fin des années 80, principalement issues de la grande distribution (12) loin devant l’agro-alimentaire (5) et l’automobile (3).

Cette pérennité des fortunes européennes repose sur trois caractéristiques essentielles : une richesse entrepreneuriale souvent assise sur des marques fortes, la détention par des familles et la conservation en leur sein de la gestion de l’entreprise.

Parmi les marques leaders dans leur secteur on peut citer Ikea, Swarovski, Louis-Vuitton, L’Oréal, Ferrero, Nivea, Michelin, Fiat ou BMW qui ont une notoriété mondiale mais aussi d’autres très fortement implantées dans leur pays d’origine comme Café Tchibo en Allemagne, Sainsbury au Royaume-Uni ou Auchan en France.

Il s’agit toujours de sociétés cotées mais le « flottant » (partie du capital qui fait l’objet d’échanges en bourse) représente seulement, en moyenne, un tiers des actions, le reste étant contrôlé directement ou indirectement par les membres des familles.

D’autre part, ces entreprises sont toujours majoritairement gérées par la famille ou ses représentants, plus de la moitié par la troisième ou la quatrième génération, et un tiers en sont déjà à la cinquième génération ou plus.

Toutefois, la longévité n’est pas acquise. Selon l’étude « un retour à la case départ » est observé au bout de trois générations, car à ce stade à peine trois pour cent des entreprises génèrent encore des bénéfices. Moins d’un tiers des sociétés atteignent la deuxième génération. Une observation qui confirme les conclusions de nombreux travaux académiques sur le sujet : non seulement les temps sont différents, mais le talent, les compétences (et la chance) ne sont pas héréditaires, et des dissensions familiales peuvent se faire jour assez rapidement.

Sur 25 ans la création de richesse s’est poursuivie en Europe à un rythme élevé, de sorte que le Vieux Continent pèse toujours plus : alors qu’en 1989 il représentait 27 pour cent du nombre de très grandes fortunes et 24 pour cent de leur montant, ces proportions étaient l’année dernière respectivement de 29 et de 30 pour cent

Toutefois, cette évolution est surtout le fait des pays émergents d’Europe centrale et orientale : absents du classement en 1989, ils représentent désormais 42 pour cent des premières fortunes d’Europe (en nombre) et 39 pour cent du patrimoine détenu (en montant). La plupart de ces fortunes récentes sont issues des privatisations postcommunistes

Le cas de la Russie et de l’Ukraine est frappant, car ces pays, qui ne comptaient aucune grande fortune il y a 25 ans (on devine pourquoi) abritent aujourd’hui respectivement 110 et 10 milliardaires ! C’est bien là que le bât blesse.

Les troubles politiques qui agitent actuellement cette région pourraient avoir des conséquences économiques sérieuses. Avant même leur déclenchement, la croissance y avait notablement ralenti. Nul en Ukraine, le taux de croissance n’était en Russie que de 1,4 pour cent en 2013, trois fois moindre qu’en 2011. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur le devenir des fortunes existantes et la capacité de ces pays à en générer de nouvelles. La remarque vaut pour la Turquie, où vivent 43 milliardaires, avec une richesse dont les conditions d’obtention se rapprochent souvent de celles des ex-pays communistes. Le rythme de la croissance, bien que restant enviable (quatre pour cent en 2013) a été divisé par deux en deux ans.

À l’opposé, l’Europe de l’ouest n’a vu naître qu’un nombre modéré de nouvelles fortunes. Au cours des deux dernières années, 17 pour cent des nouvelles fortunes mondiales y sont apparues, c’est autant qu’aux États-Unis et dans le reste continent américain, mais loin derrière la zone Asie-Pacifique, qui a concentré 34 pour cent des « nouveaux venus ».

Cela dit, bon nombre d’entre elles résultent de la montée en puissance de la deuxième génération, atteignant le statut de milliardaire grâce aux entreprises lancées des années plus tôt. Leur pérennité paraît donc plus assurée que celles nées dans les pays émergents.

Georges Canto
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