Étudiants luxembourgeois à Paris

Le cauchemar

d'Lëtzebuerger Land du 17.02.2011

Avec 600 000 étudiants répartis en 17 universités et 350 écoles d’enseignement supérieur, la région parisienne est une zone d’activité très dynamique qui attire également les cadres et leur famille ; son patrimoine culturel en fait un lieu de villégiature prisé et convoité des investisseurs, étrangers ou non. Si l’on prend en compte le fait que toute la surface est construite et que la construction de logements implique soit une destruction soit une réhabilitation du bâti, on aboutit à un résultat grisant : le prix moyen du mètre carré s’élève à environ 8 340 euros.

Les données de l’équation paraissent limpides : la région parisienne est en pénurie de logements et les étudiants qui, en général, n’ont pas de revenu propre, se trouvent en difficulté pour se loger et poursuivre leurs études dans de bonnes conditions. La région est sensible à ces difficulté et accorde une aide financière de 200 euros environ pour les étudiants (quelque soit leur nationalité) qui ne peuvent accéder à un logement universitaire et qui ne vivent pas dans la famille ou chez des proches. Elle promeut aussi la colocation transgénérationnelle : un étudiant cohabite avec une personne âgée, lui rend quelques services en contrepartie d’un loyer plus accessible. Mais toutes ces mesures ne suffisent pas.

D’après l’étude 2011 de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE), publiée le 3 février dernier, « si globalement les étudiants sont relativement satisfaits du logement qu’ils occupent, les démarches pour l’obtenir n’ont pas toujours été simples. En effet, 30 pour cent des décohabitants disent avoir trouvé leur logement difficilement ou très difficilement, ces difficultés étant nettement plus élevées en région parisienne (près de la moitié déclare avoir rencontré des difficultés dont 14 p.c. de grandes difficultés). »

La difficulté s’accroît pour les étudiants de nationalité étrangère et les Luxembourgeois ne font pas exception. Vanessa et François sont luxembourgeois et étudient au niveau Master à Paris. Tous les deux ont vécu dans une autre région avant de venir à Paris et ont relevé le décalage dans la capitale française. Vanessa a commencé par étudier à Strasbourg. Elle avait réussi à trouver un logement grâce à l’association des cercles d’étudiants luxembourgeois (ACEL) ou plutôt elle connaissait des étudiants luxembourgeois de ce cercle à Strasbourg. François n’a pas eu de difficulté : il reprenait l’appartement de son frère qui étudiait à Montpellier. Il se rappelle : « Quand mon frère a cherché un appartement, cela a été assez compliqué. Comme il était Luxembourgeois, c’est-à-dire étranger pour un Français, on lui a demandé d’apporter un garant français. En agence, il faut donner des assurances, expliquer ce que font les parents, prouver qu’on a de l’argent... Donc finalement mon père a accompagné mon frère. À l’époque, c’était en 2001 ou 2002, mon père a expliqué qu’il avait besoin d’un appartement pour son fils et qu’ils étaient luxembourgeois. Au final il a dû ouvrir un compte en France et tous les mois, il versait le loyer, c’était la seule condition. »

Ces deux étudiants confirment que l’arrivée à Paris a été beaucoup plus difficile. Tout d’abord le prix des logements est beaucoup plus élevés qu’ailleurs. L’étude de l’OVE révèle que plus la ville est peuplée, plus les loyers sont élevés. Ainsi par exemple dans une ville comptant de 100 à 200 000 habitants (hors région parisienne), le loyer moyen est de 428 euros. La région parisienne se démarque nettement, puisqu’en grande banlieue le loyer moyen est d’environ 600 euros, contre 709 dans Paris intra-muros. Vanessa indique qu’elle paie un tout petit peu plus. La différence de prix s’explique aussi par le fait que l’appartement est tout équipé : wifi, ligne téléphonique, mobilier, ustensiles de cuisine, etc. La jeune fille a mis près d’un mois pour trouver son logement. Au début, elle avait sollicité les agences. Les frais induits (un mois de loyer voire plus), la caution à prévoir et les formalités administratives sont de nature à calmer toutes les ardeurs : l’exigence d’un garant français dans la mesure du possible, d’une caution représentant un à deux mois de loyer et la copie de la déclaration d’impôt sur le revenu qui correspond à la feuille d’impôt des parents permettant de prouver qu’on sera en mesure de régler les loyers… Vanessa s’est tournée vers un site Internet qui met directement en relation les propriétaires et les locataires. Elle a découvert la course effrénée qui s’y déroulait jour après jour : dès qu’un nouvel appartement était mis en ligne, il disparaissait dans les trois jours. Après avoir fait quelques visites en concurrence avec d’autres locataires potentiels, elle a décidé de passer une annonce. Cette demande de location en ligne est payante selon la durée de la parution : près de 30 euros pour une semaine, environ 70 euros pour le mois. Elle a trouvé en moins de deux semaines et garde un très bon contact avec le propriétaire qui ne l’a pas trop tracassé avec les papiers : un mois de caution et un compte bancaire en France ont suffit à sceller l’accord. Elle habite un studio dans le 15e arrondissement de Paris (à l’Ouest). La cuisine est aussi le salon et la salle à manger. Heureusement, le coin chambre est aménagé sur une mezzanine. Dans l’ensemble, elle est contente. Son angoisse porte sur le fait qu’elle doit trouver un stage qui ne se déroulera peut-être pas à Paris ou dans sa région. L’incertitude et la perspective de devoir quitter un appartement trouvé avec difficulté l’inquiète, mais pour le moment rien n’est décidé.

François, lui, s’est lancé dans une aventure plus haute en couleur. Arrivé trop tard pour faire un dossier auprès de la fondation Biermans-Lapôtre, qui propose des chambres pour les étudiants belges et luxembourgeois à la Cité internationale, il a sollicité l’ambassade du Luxembourg qui ne l’a pas vraiment aidé. Par hasard, il retrouve un ami de Montpellier à Paris et les deux amis décident de s’installer en colocation. Ils parcourent les agences immobilières à la recherche d’un trois pièces. « On a parcouru la rue Magenta où il y a plein d’agences immobilières. On l’a faite d’un bout à l’autre. On cherchait donc, mon coloc ouvrait la porte de l’agence, il avait à peine de temps de dire « c’est pour une colocation » qu’on nous répondait « une colocation ? non, on n’en a pas ». À la fin, je n’essayait même plus d’entrer, je savais très bien qu’on ne nous accepterait pas. » Ils ont mis deux mois pour trouver quelque chose. D’un budget initial autour de 500 euros, ils ont envisagé de payer jusqu’à 800 euros chacun. Mais les agences comme certains propriétaires ont des préjugés négatifs sur les colocations et sur les étudiants : les étudiants ne paient pas, font du bruit et des fêtes, il y a des dégradations et ils ne restent pas bien longtemps. Mieux vaut un couple ou une famille avec deux personnes qui travaillent. Très souvent on leur répondait : « en colocation, ce n’est pas sérieux, vous n’allez pas payer ». Sans regarder les fiches de paie ou les références ou sans écouter ce que l’on avait à dire. Face à cette première déconvenue, les deux amis adoptent une autre stratégie : chacun cherche de son côté un trois pièces. Ils n’évoquent la question de la colocation plus tard, voire pas du tout. Étrangement, il existe des trois pièces disponibles. Au final, ils se décident pour un trois pièces à 1 400 euros mensuel. L’agence demande alors un garant français. Si ce n’est pas possible, elle propose alors que soit bloquée en garantie sur un compte en France l’équivalent d’un an de loyer !

François indique : « À ce moment là, on était vraiment désespérés. En parallèle, on faisait toujours les recherches sur Internet. Les conditions sont beaucoup moins contraignantes qu’en agence : deux mois de loyer en caution. On faisait donc des dizaines de visites par jour, on traversait tout Paris. Au début, on voulait une terrasse, mais très vite on a laissé tomber une partie de nos exigences. Un jour, vers la fin des deux mois, on prenait un café avec mon coloc entre deux visites et on avait le journal. Mon coloc me dit regarde il y a une annonce pour un 2/3 pièces. J’avais pas envie, mais pour lui faire plaisir, on est allé aller le voir, je n’étais pas très motivé. Mon coloc contacte le propriétaire par téléphone : c’est une personne âgée qui répond, très sympa. Quand on lui dit qu’on est étudiant, elle s’enthousiasme : les études c’est bien ! On discute pendant une demie heure de tout et de rien. Il s’est avéré que c’était un très bel immeuble, l’appartement donnait sur une cour. C’était la première fois en deux mois que l’on était en position de décider de prendre l’appartement, qui était correct, en bon état, une bonne chambre chacun avec un mini balcon et une petite cuisine, un pallier et une salle à manger avec vue sur Paris. Elle nous a proposé de le prendre tout de suite. Avec mon colocataire, on a été prendre un verre à côté pour réfléchir. On était toujours tenté par l’autre appartement où il fallait bloquer de l’argent. Après quelque bières, on s’est dit q’on n’allait quand même pas s’embêter et qu’on allait prendre un truc où l’on pouvait s’installer tout de suite. L’appartement est un peu atypique, mais on l’adore maintenant. On a signé le soir même ou le lendemain, je ne me souviens plus. »

Juliette Joachim
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