Quelques idées pour unir les diverses cités européennes

Les symboles ont leur importance

Jean-Claude Juncker vor Fahnen der EU-Mitgliedsländer, auf einer Konferenz zur EU
Photo: Patrick Galbats
d'Lëtzebuerger Land du 11.05.2018

Pour le Luxembourg, où beaucoup en matière européenne a commencé, l’Union européenne n’est pas une préoccupation anodine. Il s’agit plutôt d’un mariage qui a façonné – et façonne encore – le développement (économique, démographique, culturel) du Grand-Duché.

Seul pays à avoir reçu le prix international Charlemagne, une des trois capitales européennes (avec Strasbourg et Bruxelles), rare pays à toujours avoir respecté les critères du pacte de stabilité et de croissance, lieu de résidence de nombreux citoyens européens venus des quatre coins du continent (près de quarante pour cent de la population sont des ressortissants étrangers d’un pays de l’UE), lieu de travail de nombreux européens non-résidents (plus de 180 000 frontaliers en provenance de la Grande Région), il n’y a pas plus européen que le Luxembourg.

L’histoire d’amour entre le Luxembourg et le « projet » européen d’unité dans la diversité est ainsi une divine idylle qui ne connait que très peu d’orage. Hélas, toute l’Europe n’est pas luxembourgeoise, et l’euroscepticisme, voire l’europhobie, sont des sentiments bien présents dans de nombreux pays européens comme en témoigne le Brexit qui peut être considéré comme la manifestation du rejet ultime de l’UE par un pays membre.

Alors que l’économie européenne semble bien orientée et qu’il est de plus en plus courant d’entendre dire qu’elle a quitté le stade de reprise pour embrasser définitivement celui d’expansion, il est permis de croire que « le vent serait en train de tourner » en faveur de l’UE. La croissance économique, qui si elle ne permet pas tout permet beaucoup, est en effet un allié traditionnel dans la lutte contre l’euroscepticisme puisqu’en « meilleure » conjoncture, l’UE est généralement moins décriée par les peuples et moins attaquée par les dirigeants.

Toutefois, l’hirondelle de la croissance actuelle ne fera pas forcément le printemps européen. Il semble que, sur les dernières années, la relation entre situation macro-économique et désir d’Europe ait perdu de sa réalité symétrique. L’Euroscepticisme a gagné du terrain durant la crise, mais n’a pas disparu dans des pays qui connaissaient pourtant une reprise économique comme en témoigne la popularité de certains partis politiques ouvertement eurosceptiques dans des pays européens à croissance vigoureuse et chômage relativement faible.

Surtout, ce n’est pas être « pessimiste professionnel » que de remarquer que les belles lueurs économiques européennes actuelles sont encore fragiles et pourraient se révéler n’être que des leurres : la croissance européenne demeure sensible à des chocs externes sur lesquels les autorités européennes ne peuvent que marginalement agir (politique monétaire et commerciale américaine, croissance chinoise, et cetera), de nombreuses cibles des objectifs d’Europe 2020 qui servent de repères pour une Europe intelligente, durable et inclusive sont hors de portée, l’Europe, riche en « champions nationaux » mais pauvre en « champions européens », parait distancée (voire dépassée) technologiquement face aux géants numériques mondiaux américains et chinois pour la plupart, les emplois créés en Europe sont dans de nombreux pays de « mauvaise qualité » (contrats temporaires, contrats à temps partiel), la « crise » de la dette publique (dont on ne parle plus) reste une épée de Damoclès qui pourrait ressurgir à la faveur d’une hausse de taux et de réactions « irrationnelles » des marchés financiers.

En somme, s’il faut se féliciter des performances économiques actuelles de l’UE et de la zone euro (accélération de la croissance, baisse du chômage, et cetera), il faut demeurer conscient que l’économie européenne reste soumise à des fragilités persistantes.

Les autorités (nationales et européennes) se doivent ainsi de continuer d’œuvrer pour consolider la croissance européenne, et cela suppose notamment d’améliorer l’architecture institutionnelle de la zone euro et de l’UE. Néanmoins, pour réconcilier les Européens avec les idéaux, les fondamentaux, et le futur de l’UE, il faudra plus qu’un énième livre blanc au sujet de la réforme institutionnelle de l’UE, plus qu’un nouveau rapport d’experts au sujet de l’approfondissement de la zone euro, et plus que des perspectives de croissance bien orientées.

Ce qu’il faudra(it), c’est compléter la logique (certes utile et nécessaire) de grands projets/rapports/recommandation technocratico-économiques visant à rehausser la croissance potentielle européenne et améliorer son fonctionnement institutionnel, par des initiatives lisibles, simples, voire symboliques, qui parlent au cœur du citoyen européen. L’idée serait ainsi de ne plus seulement (donner l’impression de) coaliser des États autour de l’économie, mais (aussi) de montrer qu’on unit des hommes et des femmes dans les diverses cités européennes autour de « l’idée » européenne et du « projet » Europe.

Le Luxembourg, l’europhile, devrait être à ce titre un laboratoire d’initiatives pouvant servir de « best practice » à toute l’UE. Le prochain gouvernement du Grand-Duché pourrait ainsi – après concertation avec les partenaires sociaux – decider que le 9 mai, journée de l’Europe, serait un jour férié au Luxembourg. Cette décision serait motivée par la volonté europhile du Grand-Duché de contribuer à forger une réponse à une interrogation simple (qu’avez-vous en commun ?) à laquelle les États-membres ne savent pas répondre.

Puisque l’UE est un espace morcelé à géométrie variable (28 États membres de l’UE, bientôt 27, 19 pays pour la zone euro, 22 pays membres pour l’espace Schengen) constitué d’identités culturelles et historiques nationales spécifiques, répondre au « qu’avez-vous en commun » n’est pas chose aisée. Une fois le 9 mai instauré comme férié au Grand-Duché, ce qui serait un symbole fort envoyé à l’Europe entière, le Gouvernement luxembourgeois pourrait « militer » auprès du Conseil interparlementaire consultatif du Benelux pour la généralisation du 9 mai comme jour férié au sein du Benelux. Aussi, la France où le 8 mai (commémoration de la « capitulation sans condition » de l’Allemagne nazie mettant fin à la Seconde Guerre mondiale en Europe) est férié pourrait être un allié objectif de cette démarche.

Ce serait ainsi un beau symbole que d’y supprimer le 8 mai – qui rappelle la guerre – comme jour férié au profit du 9 mai qui renvoie à la réconciliation européenne1. L’idée serait qu’à terme, le 9 mai soit férié dans tous les États membres. Il est évident qu’un jour férié commun à tous les États membres pour célébrer l’Europe ne règlera pas la question de l’angoisse identitaire européenne – ni d’ailleurs celle de l’euroscepticisme, car après tout, tout le monde ne croit pas en Jésus parce que le 25 décembre est férié. Mais les symboles ont leur importance. Dans la déclaration Schuman, il était dit que « l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait ». Décider que le 9 mai sera férié au Grand-Duché – pour montrer l’exemple et la voie aux autres pays européens – respecterait cet état d’esprit et surtout créerait de jure, avec sa généralisation à l’ensemble des États membres, une solidarité de « fêtes »2 ; ce n’est peut-être pas beaucoup, mais cela est déjà quelque chose !

Aussi, si l’UE a permis la paix entre les pays européens et que grâce à elle, « les images des tranchées et des champs de bataille de Verdun, ou d’un continent coupé en deux par le rideau de fer et le mur de Berlin, ont été remplacées par l’image d’une Union qui se distingue comme étant un pôle de paix et de stabilité », cette paix est considérée comme allant de soi et n’est donc plus vécue comme un apport de la construction européenne.

Cela est sans doute particulièrement vrai des plus jeunes générations pour qui « la guerre entre pays de l’UE » n’est qu’un vague concept historique d’antan – ce dont il faut se réjouir. L’argument de la paix et de la stabilité n’ayant pas une grande portée pour les plus jeunes, une nouvelle narrative doit leur être proposée. Ce pourrait être l’échange qui est une valeur considérée comme importante pour la nouvelle génération habituée à l’économie du partage et qui grandit à l’âge de l’accès.

Pour faire vivre cette narrative, les lycées luxembourgeois pourraient mettre sur pied un nouveau programme d’échange. Plus simple et plus grand public que les programmes Schuman ou les déplacements dans le cadre de jumelage entre écoles du Luxembourg et d’autres pays d’Europe, il s’agirait d’un « jeu de correspondance européenne » entre des lycéens du Luxembourg et de différents établissements européens. Concrètement, il s’agirait d’échanges de lettres ou e-mails avec un volet culturo-éducatif. Il pourrait s’agir (par exemple) d’échanger en évoquant la question de l’importance de l’Europe dans son pays/sa région (projets financés par l’Europe, institutions européennes présentes, et cetera), des pays européens visités, du contenu européen de ses cours, et de la vie en général dans son pays/sa région. L’idée poursuivie serait que tout jeune scolarisé au Luxembourg aurait – à un moment de sa scolarité – un correspondant européen établi dans un autre pays avec qui il échangerait autour d’un projet éducatif dans l’une des trois langues officielles du pays3.

La version pilote de ce programme pourrait être lancée entre les innovative schools qui participent au programme Digital Lëtzebuerg et des lycées de la Grande-Région qui participent déjà au programme d’échanges Schuman. Cette version pilote pourrait bénéficier de sponsoring (voyages offerts aux participants qui pourraient se rencontrer en fin d’année scolaire par exemple), avoir un parrain (par exemple un député européen) et donner lieu à une « manifestation culturelle » en fin d’année où – par exemple – le Choeur Robert Schuman, dans lequel des jeunes de la Grande-Région chantent ensemble, donnerait un concert.

Au-delà de la phase pilote, ce programme serait généralisé à l’ensemble des lycées du pays et défendu par le Luxembourg au niveau européen comme un début d’Erasmus des lycées. À l’heure où on évoque une mise sur pied d’un espace européen de l’éducation avec comme éléments constitutifs l’apprentissage des langues et le renforcement de l’identité européenne à travers des échanges scolaires, l’initiative devrait trouver un écho favorable.

Michel-Édouard Ruben est économiste de la Fondation Idea.

Pour aller plus loin, voir : Fondation Idea (mai 2018), Cahier thématique n° 2/5 dédié à l’Europe

1 Nb : Sous Giscard d’Estaing, dans une logique de réconciliation, le 8 mai n’était plus un jour férié en France.

2 À l’instar de la fête de la musique et de la fête des voisins

3 L’anglais et le portugais pourraient aussi être considérés..

Michel-Edouard Ruben
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