Coopération transfrontalière

Activismes

d'Lëtzebuerger Land du 18.02.2010

« Cela fait un an que le gouvernement échoue dans ce dossier ! » lance, agacé, le maire de Mondercange Dan Kersch (LSAP). Avec ses homologues Lydia Mutsch (LSAP) d’Esch-Alzette, Roland Schreiner (CSV) de Schifflange et Georges Engel (LSAP) de Sanem, il vient d’adresser une lettre au ministre du Développement durable, en charge de l’Aménagement du territoire, Claude Wiseler (CSV), reprenant une série de questions que les quatre édiles communaux se posent au sujet du futur Gect (Groupement européen de coopération transfrontalière) Alzette-Belval. Ces mêmes questions, ils les avaient déjà posées il y a un an au ministre de l’Intérieur et de la Grande Région, Jean-Marie Halsdorf (CSV), sans pourtant recevoir de réponses satisfaisantes.

Les communes, dont les initiatives de coopération transfrontalière menées depuis plusieurs années, notamment avec les petites communes françaises regroupées depuis 2004 dans la Communauté de communes du pays haut val d’Alzette (CCPHVA : Audun-le-Tiche, Aumetz, Boulange, Ottange, Rédange, Russange, Thil et Villerupt, pour 27 000 habitants) sont à l’origine de cette dynamique, se sentent dépossédées du projet depuis que les gouvernements luxembourgeois et français s’y sont engagés.

Pour preuve : c’est lors d’une entrevue au ministère de l’Intérieur sur le sujet que les maires ont appris par hasard, au détour d’une conversation, que le lendemain, 7 janvier 2010, allait être signé, à Belval, entre Jean-Marie Halsdorf, Claude Wiseler et le ministre français de l’Aménagement du territoire, Michel Mercier (Modem), un accord de mise en œuvre d’un Gect sur le territoire d’Alzette-Belval. Cet accord, qui s’inscrit dans la convention-cadre entre les deux gouvernements signée en 2004, retient pourtant que le Luxembourg y sera représenté justement par les quatre communes citées. Le côté français y fera siéger des représentants de la Région Lorraine, des départements Meurthe et Moselle, de la Moselle et de la Meuse ainsi que de la CCPHVA. « Lieu de concertation et de mise en cohérence des projets, le Gect sera un outil d’aménagement du territoire fondé sur les principes du développement durable et constituera un moyen de mise en œuvre opérationnelle d’une vision stratégique commune de développement économique et social équilibré et harmonieux de chaque côté de la frontière, » lit-on dans la déclaration commune.

La phase de l’élaboration des statuts de ce futur Gect s’avère délicate, non seulement pour les questions de gouvernance – combien de représentants de chaque côté dans le conseil d’administration ? si les seize membres par pays prévus étaient retenus, combien de représentants de l’État et combien pour les communes ? –, mais aussi pour d’autres questions pratiques – où sera le siège ? selon quel droit seront recrutés les employés ? avec quels salaires ? –, financiers – quelle clé de répartition pour le financement ? – et juridiques (une commune membre doit-elle forcément soutenir tous les projets du Gect ou peut-elle s’abstenir dans l’un ou l’autre dossier ?). Ni aux ministères concernés, ni à la Maison de la Grande-Région, on ne pouvait répondre à ces questions cette semaine. En un premier temps, le budget d’État pour cette année prévoit 45 000 euros pour les travaux de préfiguration, la même somme que pour la Nordstad.

Les Gect sont une nouvelle forme juridique, créée par un règlement européen de 2006, transmis en droit luxembourgeois par la loi du 19 mai 2009, qui fut adoptée à l’unanimité et avec beaucoup d’enthousiasme au parlement. Se souvenant des difficultés politiques, administratives et juridiques qui avaient marqué les quelques expériences de coopération transfrontalière jusque-là – le Pôle européen de développement, asbl franco-belgo-luxembourgeoise regroupant depuis 1993 25 communes à la frontière à Pétange n’en est qu’un exemple, qui, en plus, n’a pas eu les retombées économiques escomptées ; le fiasco organisationnel du volet transfrontalier de l’année culturelle en est un autre – se réjouissaient des facilités qui allaient être introduites par ce genre de groupements transfrontaliers. Lors de son discours à la Chambre, le député libéral Fernand Etgen s’attendait même à une véritable « Gectomanie ».

Et en effet, un premier Gect avec participation grand-ducale a été créé en parallèle : par un règlement grand-ducal du 11 décembre 2009, le gouvernement luxembourgeois a été autorisé à adhérer au Gect « Interreg – Pro­gramme Grande Région », dont le siège est à Metz, la présidence assurée par le préfet de la Région Lorraine, et qui regroupe onze entités locales et régionales de quatre États, la France, la Belgique, l’Allemagne et le Luxem­bourg. Le grand-duché y est représenté par le ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire. L’objet de ce Gect est l’attribution et la gestion des 212 millions d’euros, dont 106 millions provenant du Feder (Fonds européen de développement régional), mis à dispostion du programme Interreg III A pour les années 2007 à 2013, programme qui a pour mission la promotion de la coopération territoriale européenne. La possibilité de toucher plus facilement des fonds européens par le biais de Gect a d’ailleurs été soulignée par tous les intervenants à la Chambre des députés. D’aucuns soupçonnent même le gouvernement luxembourgeois d’être si fortement intéressé à la création d’un Gect Alzette-Belval pour, prioritairement, encaisser des aides européennes pour ses investissements substantiels dans l’infrastructure routière à Belval. La liaison Micheville en construction, qui servira surtout à la connexion du réseau routier grand-ducal vers la France, aura coûté 250 millions d’euros.

La mobilité sera sans aucun doute une des missions majeures du futur Gect. Mais les communes de la CCPHVA ont développé, dès 2006, d’autres idées de développement pour leur région, qu’elles définissent comme étant « en dépression économique » après la fin de l’industrie sidérurgique dans leur région. Selon cette vision, les quatre secteurs de développement pourraient devenir, d’ici 2015, des pôles thématiques : archives européennes, environnement et recherche à la Porte de Belval, un pôle culturel (Festival du film italien) et de services (avec le nouveau centre de tri de la Poste), mécanique et de loisirs à Russange, et une mixité habitat, commerces et services à Thil et sur le crassier Terres-Rouges.

Lors de sa visite dans la région, le 9 octobre dernier, le Président de la République française Nicolas Sarkozy (UMP) – probablement en compensation de ne pas avoir « sauvé » l’usine de Gandrange, comme il l’avait pourtant promis aux ouvriers un an plus tôt – a annoncé la création d’une éco-cité du côté français de Belval, déclarant même la transformation de la région en « opération d’intérêt national », ce qui implique aussi la mise à disposition de moyens financiers.

En parallèle, en début de cette année, Pascal Gauthier, par ailleurs directeur de l’Établissement public foncier de Lorraine (EPFL), s’est vu nommé « préfigurateur » pour poser les jalons d’un « établissement public d’aménagement », organes en charge, selon la législation française, de toutes sortes d’opération de restructuration urbaine, notamment les opérations foncières – le plus célèbre établissement de ce type(et le plus cher à la famille Sarkozy) est celui de la Défense à Paris, l’Epad. L’EPFL possède lui-même déjà 380 hectares de terrain sur le site de Micheville ; Arcelor-Mittal, qui a en tout 170 hectares dans la région, pourrait être amené à collaborer sous une forme ou une autre à l’opération de restructuration – pourquoi pas selon le modèle d’Agora à Belval, qui est une collaboration paritaire État / Arcelor-­Mittal. Pascal Gauthier et son équipe de préfiguration, installée à Metz, ont un calendrier serré pour définir à la fois un projet de restructuration urbaine durable et la gouvernance proposée.

Lors d’un premier entretien avec Pascal Gauthier, le 3 février dernier, Jean-Marie Halsdorf a d’ailleurs insisté sur l’importance que revêtent, pour le gouvernement luxembourgeois les domaines du transport, du logement et du développement économique dans cette collaboration transfrontalière. Peut-être qu’un profil plus clair des engagements français à Alzette-Belval se dégagera déjà lors de la visite d’État de Nicolas Sarkozy au Luxembourg, prévue au printemps de cette année.

Quoi qu’il en soit, la dynamique déclenchée du côté français vient à point nommé pour enclencher le mouvement, alors même que le projet Belval s’essouffle côté luxembourgeois : outre ceux de la Dexia, les engagements financiers privés se font attendre ; Belval-Plaza a surtout défrayé la chronique pour ses difficultés financières et ses arrêts de chantier et les deniers publics se font plus rares. L’État luxembourgeois compte certes y investir un milliard d’euros, notamment pour la Cité des sciences devant accueillir l’Université à l’horizon 2012, mais le vote des lois se fait au compte-gouttes et des investissements comme les nouvelles Archives nationales sont carrément gelés. De l’argent frais, français ou européen, arrangerait bien les affaires luxembourgeoises.

josée hansen
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