La vérité en 25 fois par seconde

Échelles cosmiques en clin d’œil à Calvino

d'Lëtzebuerger Land du 18.02.2010

Le travail de recherche permanente effectué par Frédéric Flamand se fait avec des architectes ou designers tels que Jean Nouvel (The Future of Work et Body/Work et Body/Work/Leisure), Thom Mayne (Silent Collisions), Dominique Perrault, Diller et Scofidio (Moving Target), Zaha Hadid (Metapolis) et les frères Cam­pana (Métamorphoses). Présent sur les grandes scènes internationales et déjà en 2005 à Luxembourg avec Body/Work/Leisure et en 2007 avec Métamorphoses, le directeur du Ballet national de Marseille collabore cette fois-ci avec l’un des plus importants artistes conceptuels, photographe et architecte chinois. Ai Weiwei a en effet participé à la conception du « Nid d’oiseau », lors des JO de Pékin avec les architectes Herzog et de Meuron.

Le chorégraphe et l’architecte bâtissent leur création autour du conte philosophique Le Baron perché d’Italo Calvino, issu de la trilogie Nos Ancêtres. L’histoire se situe en 1767 : un jeune homme après une dispute avec ses parents décide de ne plus jamais descendre des arbres du jardin afin d’observer le monde sur lequel il porte un regard différent. Calvino a opté dans son œuvre pour la transgression et l’éclatement de l’ordre classique dans la littérature. Ce même propos se retrouve dans La Vérité en 25 fois par seconde : La forêt du héros de Calvino devient une forêt d’échelles métalliques coulissantes et suspendues par des filins dans une scénographie légère. Les jeux de lumière oscillent entre jaune et vert évoquant ainsi tant le minéral que le végétal.

L’espace est modulable et permet le déplacement très rapide des danseurs en groupe ou en duo. Les danseurs dans leur travail au sol, en suspension ou quasi – aérien face à leur partenaire réel ou fictif – une simple échelle ou un enchevêtrement d’échelles, témoignent d’une exactitude impressionnante dans leurs rythmes et gestes.

Le dialogue entre le corps et l’architecture et le défi relatif au dédoublement de la représentation du monde et de sa réalité sont visibles et ressentis à chaque instant. Les situations d’adaptation du corps pour vaincre les lieux qu’ils occupent sont multipliés. Face à ces rétrécissements des espaces, l’espoir renaît de l’agilité et de la souplesse des corps qui parviennent encore à s’exprimer et à franchir les limites spatiales imposées.

La création d’un circuit intégré dans lequel les danseurs sont reliés à des capteurs pour le son et à des caméras pour l’image stimule le public dans ce changement de regard. Hauteur, recul, vision numérique, le contrôle continuel des corps et de l’espace par le balayage électronique de trois caméras de vidéo-surveillance crée un environnement de contrôle en temps réel. Adaptation, flexibilité seraient donc bien nécessaires pour que ces corps ne soient pas vaincus par l’évolution de notre société.

Les mouvements s’enchaînent dans un rythme très soutenu. Le public se concentre avec religiosité et réfléchit pour comprendre cette interrogation sur le statut du corps contemporain et sur les changements de perception de l’homme moderne. Les musiques sont interprétées une fois de plus par George Van Dam (violon), Yukata Oya (Piano).

Légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité et consistance, voilà les valeurs qu’Italo Calvino voulait transmettre au prochain millénaire dans le texte de sa sixième conférence qu’il n’eut pas le temps de rédiger dans le cadre de ses Leçons Américaines…

Emmanuelle Ragot
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