Coeur de loup (de mer)

d'Lëtzebuerger Land du 28.07.2017

Si Steinfort n’avait déjà plus à faire ses preuves en matière de bonne table, c’était sans compter sur l’arrivée du jeune chef Mathieu Van Wetteren et de son Apdikt au printemps dernier... Esprit libre, épicurien et avide de sensations fortes, le belgo-luxembourgeois a ainsi pris ses pénates dans l’ancienne pharmacie de la rue principale du bourg en respectant l’héritage du lieu tout en défaisant à loisir les codes de la cuisine traditionnelle...

S’il respire aujourd’hui une sérénité joyeusement insolente – ou l’inverse – le chef Van Wetteren a eu l’adolescence cabossée qui font les caractères bien trempés. Originaire d’Ingeldorf, il étudie à Diekirch jusqu’à ses quinze ans, âge auquel il doit affronter un drame familial lourd : « Le suicide de mon père m’a détruit, je ne voyais aucun sens à ce que je faisais chaque jour ». Après un renvoi et une période que l’on imagine bien difficile, c’est finalement à l’École Hôtelière de Namur que le jeune homme de l’époque reprend pied, notamment grâce à un stage à Nadrin au sein de ce qu’il considèrera par la suite comme une véritable seconde famille... Il roule ensuite sa bosse dans plusieurs établissements étoilés en Forêt Noire et en Belgique, notamment à l’Héliport à Liège et au Sea Grill de Bruxelles, deux étoiles au Michelin, au sein duquel il parvient à la position de sous-chef à vingt-cinq ans à peine.

Celui qui cuisine « certainement par amour, beaucoup moins pour l’argent », décide alors cependant de revenir au Grand-Duché pour travailler en famille au Pall Center d’Oberpallen. Après trois ans de collaboration, Mathieu Van Watteren reprend le chemin des cuisines les plus en vues et rejoint l’équipe du très, très couru The Jane à Anvers. Toutefois, après quelques mois, l’envie qui lui trotte depuis toujours dans un coin de la tête se confirme, tant personnellement que par son entourage professionnel : Il est temps pour le « pirate » d’avoir son propre navire ! Et ce dernier se trouvera à Luxembourg quoi qu’il arrive, tant pour des raisons financières que par désir propre : « J’aime ce qui se passe ici en ce moment, avec des restaurants comme Ma Langue Sourit ou en encore La Distillerie au Château de Bourg-
linster et son chef René Mathieu qui est tout à fait ouvert à partager son savoir-faire et son expérience avec la nouvelle génération ». Dans cette ancienne pharmacie, tout correspondait à la façon dont Mathieu avait envie de travailler : sa cuisine, c’est un peu de la pharmacie moderne, la chimie en moins, tout en naturel, près des gens qu’il aime et de ceux qu’il rencontre au quotidien. On retrouve d’ailleurs tout cela à l’intérieur de l’Apdikt : du confort, de l’élégance, de l’authenticité mais aussi un certain parfum de baroudeur et pas mal de rock’n’roll...

Cette image du pirate-rockeur, le jeune chef la cultive d’ailleurs avec plaisir et amusement, tout d’abord par son look très soigné – barbe rousse taillée au millimètre, tatouages et cheveux plaqués en arrière – mais aussi dans les métaphores qu’il a visiblement l’habitude de manier : « Des fois je me dis que j’ai envie de remplir des stades avec des gros sons sur ma guitare, des fois je me plais bien à m’imaginer capitaine pirate, avec mes matelots fiers de voguer avec moi ».

Mais au final c’est pour lui-même qu’il se donne à fond : Van Wetteren fonce tout droit, la tête en avant, avec en ligne de mire ce qui est le mieux pour lui. Le « star system » de la scène culinaire internationale, promu plus que jamais grâce à des superproductions comme le Chef’s Table de Netflix : il n’en a que faire. La concurrence que l’on pourrait considérer comme farouche dans une ville aussi petite que Steinfort : ce n’en est pas une. Tout ce qui lui importe, c’est se démarquer par son audace et sa fraicheur, de pair avec celle de ses produits ; et tout cela semble marcher puisqu’à peine quatre mois après son ouverture, le tout Luxembourg semble se ruer chaque soir à l’Apdikt pour déguster le Turbot Kombu (avec une marinade d’algues éponymes et un travail du poisson inspiré par le Japon) et les autres voyages gustatifs que le jeune chef concocte aux fourneaux de sa cuisine ouverte et entouré de son équipe cent pour cent féminine...

Enfin, si Mathieu Van Wetteren s’accorde quelques semaines de vacances pleines de soleil et de parachute jusqu’au 17 août, il est à parier que ce n’est que pour revenir avec encore plus d’idées en tête, d’envie dans les mains et d’étincelles dans le cœur...

Apdikt, 3, rue des Martyrs à Steinfort, www.apdikt.eu

Fabien Rodrigues
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