Surendettement

Les pauvres privés de secret bancaire

d'Lëtzebuerger Land du 27.01.2012

Qui aura accès au répertoire des personnes surendettées que le gouvernement devrait mettre en place dans le sillage de l’adoption du projet de loi sur le surendettement et l’introduction de la faillite au niveau civil ? Cette question philosophique pose celle de la portée du secret bancaire, qui, à suivre les positions de principe des banquiers luxembourgeois, serait l’apanage des gens riches, pour l’essentiel des clients étrangers dont la probabilité d’être un jour frappés par la peste du surendettement doit équivaloir à celle des gens pauvres à toucher le gros lot à Euromillions.

L’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) vient de rappeler dans un second avis son opposition au projet de loi sur le surendettement amendé. Le lobby avait déjà donné sa position en novembre 2009. En avril 2010, les banquiers étaient venus s’expliquer devant les membres de la commission parlementaire de la Famille. Dans l’intervalle, les lignes de front ont un peu évolué, tout autant que le texte de loi qui prévoit d’effacer l’ardoise non seulement pour le débiteur direct, mais aussi pour ceux qui se sont portés caution ou qui apparaissent comme codébiteurs. L’extension au codébiteur et à la caution du bénéfice des mesures accordées au surendetté est un des points d’achoppement entre l’ABBL et le gouvernement, les premiers estimant que ces mesures heurtent les principes fondamentaux du droit des contrats et de sa cohérence au niveau national. Les banquiers réclament d’ailleurs une limitation de la portée de cette disposition, si les députés devaient persister à son maintien : au nom de la sélectivité sociale, seules les cautions et codébiteurs dont les engagements mettraient en péril leur situation financière pourraient profiter des mesures d’effacement de la dette. Sans quoi, et la menace des banquiers est explicite, le crédit pourrait devenir plus cher, les opérateurs du secteur financier, pour compenser leurs pertes, resserreraient l’accès au crédit et en augmenteraient le coût. « Il est à craindre, souligne l’avis, de l’introduction d’une telle disposition en droit luxembourgeois que les créanciers deviennent plus méfiants quant à l’octroi de leurs prêts et ainsi resserrent l’accès au crédit ».

Le second point de friction concerne la création d’un répertoire centralisant les avis et informations sur les « mauvais payeurs ». Qui pourra y accéder ? Les créanciers « personnes physiques », prévoit le projet de loi. Les banquiers demandent à y avoir aussi un droit de visite, arguant qu’il serait inconstitutionnel de ne l’autoriser que pour les personnes physiques et de l’interdire aux personnes morales.

L’autre question est de savoir si ce listing s’ouvrira aux prêteurs pour leur permettre d’évaluer la solvabilité des emprunteurs. La réglementation européenne, dont le projet de loi se revendique partiellement, autorise un prêteur « à consulter, si nécessaire, les bases de données appropriées de l’État membre où le consommateur a sa résidence habituelle ». Il n’y a pas de telles bases de données au grand-duché, pas plus qu’un fichier centralisé des clients, le secteur financier s’y étant toujours opposé.

Un fichier des personnes surendettées, ouvert à la consultation des « prêteurs potentiels » ne semble toutefois pas heurter les principes des banquiers qui s’y disent aujourd’hui favorables. « Un tel accès élargi, note l’ABBL, permettrait d’éviter qu’un établissement n’octroie un prêt à une personne déjà surendettée, risquant par là même d’aggraver la situation financière de celle-ci ». De facto, cette mesure dénierait le droit au secret bancaire aux gens les plus pauvres. Est-ce philosophiquement acceptable ?

En avril 2010, les représentants de l’ABBL avaient été interpellés sur la faisabilité d’un registre de crédit dans lequel les prêteurs potentiels puiseraient de l’information sur la solvabilité des personnes sollicitant un crédit. Les députés demandaient aussi à l’ABBL de prendre position sur la compatibilité d’un tel fichier avec le droit au secret bancaire, étant entendu que sa consultation s’étendait à des établissements étrangers, accordant des prêts transfrontaliers. Les banquiers n’étaient pas chauds au prin-temps 2010 à la tenue d’un registre de crédit. D’abord pour des raisons de secret bancaire, ensuite pour ses coûts élevés et enfin par son utilité, jugée réduite, d’autant plus, assuraient-ils à l’époque, qu’un tel fichier ne peut bien fonctionner qu’à un niveau européen. Le PV de la réunion mentionnait d’ailleurs le fait notable que les « banques résidentes échangent entre elles les informations relatives aux clients résidents ». Ce qui de facto relativisait déjà aussi l’attachement des opérateurs du secteur financier au secret bancaire et la valeur qu’ils y portaient selon l’origine de la clientèle, locale ou internationale, et le nombre de zéros en compte.

Véronique Poujol
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