Chronique Internet

Netflix pousse ses pions en Europe

d'Lëtzebuerger Land du 21.03.2014

Déjà présent dans plusieurs pays du Vieux Continent (Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas et pays nordiques), Netflix, vidéothèque en ligne et portail de streaming, s’apprête à investir les marchés allemand et français. La firme dirigée par Reed Hastings reste vague sur les détails de cette expansion, mais on a remarqué la récente publication d’offres d’emploi publiées par son bureau d’Amsterdam et spécifiant que la maîtrise de l’allemand et du français constitueraient un plus pour les candidats.

Netflix et ses concurrents européens menacent les rentes des acteurs établis du paysage audiovisuels, tant les chaînes de télévision pour lesquelles les films et les séries sont des pivots essentiels de la programmation que les câblo-opérateurs qui misent sur le développement de la vidéo à la demande. En tant qu’’intervenant Internet, Netflix n’a pas besoin dans l’absolu d’agrément des pays dans lesquels il opère – certains internautes européens dans des pays non couverts formellement se débrouillent d’ailleurs pour accéder à ses services sans attendre. Mais Netflix va clairement chercher à faire les choses dans les règles et à négocier avec les ayant-droits des contrats pour la distribution de contenus sur ces deux pays.

La recette du succès de Netflix, ce sont des abonnements plutôt bon marché (quelque huit dollars par mois aux États-Unis) qui donnent accès à un vaste catalogue de films et de séries, sans limitation. L’entreprise compte 44 millions d’abonnés dans le monde, dont 33 millions aux Etats-Unis. Elle est aujourd’hui suffisamment solide pour pouvoir négocier en position de force avec les studios de Hollywood et les grands réseaux de distribution, et même pour produire ses propres séries. Filiales de chaînes de télévision, d’opérateurs ou d’Amazon, plusieurs sociétés sont déjà présentes dans différents pays européens convoitant le même marché que Netflix. Ce sont notamment Maxdome, Watchever et Snap en Allemagne, Wuaki.tv en Espagne, Canalplay en France, chacun de ces acteurs cherchant à s’étendre à d’autres marchés européens, sans parler d’Apple TV ou de Google. Netflix n’arrivera pas en terrain conquis.

Selon un article du Wall Street Journal publié en janvier, c’est la France qui donne le plus de fil à retordre à Netflix dans sa quête d’expansion. La ministre de la Culture Aurélie Filipetti a rappelé que Netflix devrait se plier aux règles françaises, à savoir la priorité à la projection en salle, qui peut durer jusqu’à trois ans, et l’obligation de produire du contenu dans l’Hexagone. Au risque de se faire reprocher de privilégier abusivement des initiatives françaises comme Canalplay, qui intervient sur le même marché que Netflix et fait état d’une progression significative du nombre de ses abonnés.

Certains acteurs du secteur semblent toutefois avoir choisi une approche différente. Plutôt que de faire appel aux autorités pour les protéger de la concurrence étrangère, les dirigeants de TF1, M6 et Canal+ ont demandé au gouvernement français de simplifier une partie des règles qui régissent le paysage audiovisuel afin de mieux pouvoir affronter la concurrence internationale. Tout en cherchant à préserver la règle de priorité de projection en salle, considérée comme condition de survie pour les cinémas, ils demandent notamment une remise en question des taxes sectorielles, une libéralisation du secteur audiovisuel et de la création, une révision des règles interdisant la publicité dans certains secteurs et une refonte de l’organisation des relations entre producteurs et diffuseurs. Dans une tribune publiée cette semaine dans Les Échos, Olivier Babeau, professeur de management et stratégie d’entreprise à l’université Paris VIII, félicite les dirigeants de ces trois chaînes pour leur initiative sous le titre « Netflix, la France, et le syndrome de la ligne Maginot ». La généralisation prévisible du streaming de contenus audiovisuels ne doit pas être prétexte au laminage de la production cinématographique européenne. Mais dans ce champ très dynamique, la frilosité et le repli sur soi ne sont pas non plus défendables.

Jean Lasar
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