Exposition-squatt Zaepert

Entre le Kärcher et le musée

d'Lëtzebuerger Land du 13.05.2016

1. Il y a le dynamisme d’abord. L’infatigable Théid Johanns, artiste lui-même, s’est cette fois associé à ses pairs Jeff Keiser, Sergio Sardelli ainsi que Daisy Wagner de l’administration communale pour organiser un squatt artistique (et légal) dans l’ancien abattoir d’Esch-sur-Alzette : 600 mètres carrés d’un hall désaffecté dans le no-mans-land de la périphérie eschoise. Ils ont réussi à réunir une quarantaine d’artistes autochtones, toutes disciplines et tous âges confondus, pour occuper un bâtiment brut et en décrépitude. Des gouttes tombent du plafond, il y a des courants d’air dans l’espace et de la mousse sur les pierres : l’endroit idéal pour s’y déchaîner en graffitis, ce que beaucoup des artistes ont fait. La soirée de vernissage ressemblait à une grande fête de la contre-culture, les gens normaux du sud, Minetter, qui ne se prennent pas la tête contrastant avec les vernissages plus chics des institutions de la capitale. Théid Johanns, l’homme de (la) gauche, veut toujours s’adresser au très grand public, pas besoin d’avoir un doctorat en histoire de l’art pour comprendre les œuvres exposées ici, hautes en couleur, souvent très (trop) premier degré et illustratives.

2. Thématiquement, et contrairement à d’autres expositions collectives du genre organisées ces deux dernières années (The Project à Luxembourg ou Quartier 3 à Esch), les artistes se sont moins confrontés au genius loci, à l’esprit du lieu, mais ont davantage essayé de l’occuper pleinement, d’en remplir les moindres recoins avec des peintures murales, sculptures, installations. Certes, ancien abattoir oblige, la mort rôde ici aussi, vanités et oiseaux morts (Sandra Biewers) le rappellent, une voiture accidentée très trash (Dirk Kesseler) l’esquisse. Le thème plus politique de l’échec de l’Europe aussi est présent, dans une installation critique à l’égard de la politique migratoire d’Olivier Ferretti par exemple, ou dans le pavillon de Marc Pierrard, qui n’est accessible que difficilement. Beaucoup d’artistes ont essayé d’en faire beaucoup, de grands gestes pour s’approprier l’espace et attirer le regard. Sur 600 mètres carrés, on ne peut pas arriver avec un petit dessin fragile, il faut y mettre le paquet.

3. Malgré le mélange des artistes de différents horizons – ceux qui sont toujours restés dans la contre-culture, ceux qui sont passés par l’émission Generation Art de RTL, ceux qui participent aux salons du Cercle artistique et ont une clientèle de collectionneurs locaux, ceux qui se lancent et ceux qui sont profs –, l’exposition semblait assez homogène, cohérente. Avec toutefois une grande tendance au bricolage et sans toujours éviter un côté trop épigonal, voire le plagiat (Bruce Nauman, Paul McCarthy...) Mais ici, nulle prétention de révolutionner le monde, juste une envie de montrer son travail, d’échanger aves ses collègues. Si Luc Caregari du Woxx trouvait que l’initiative faisait écho aux réflexions du ministre de la Culture Xavier Bettel (DP) pour un musée dédié aux artistes luxembourgeois, la scène prouvant qu’elle n’en a nul besoin et sait se débrouiller toute seule, on se dit, en suivant tout ce bouillonnement, que si, il y a un besoin que des professionnels avisés classent et commentent toute cette création. Afin de la sortir de son coin chaotique et de faire avancer ceux des artistes dont le travail est le plus pertinent.

Le titre est emprunté à Marisa Liebaut : « L’artification du graffiti et ses dispositifs » in : Nathalie Heinich et Roberta Shapiro : De l’artification  – Enquêtes sur le passage à l’art, Ehess Paris, 2012.
josée hansen
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