DanceSmith – Camel, Weasel, Whale

Essoufflement

d'Lëtzebuerger Land du 14.03.2014

Les attentes étaient bien là. Un public très présent pour cette nouvelle chorégraphie de Mark Lorimer dont le titre peut-être traduit ainsi Forgeron de danse – Chameau, Belette et Baleine. Le danseur n’en est pas à ses débuts et excelle techniquement par sa gestuelle si élégante et ample. Lors de l’annonce avant la représentation de sa blessure lors de la répétition générale, il est pourtant présent sur scène avec Cynthia Loemij et Clinton Springer. Un trio en lieu en lieu et place d’un duo.

La collaboration entre Cynthia Loemij et Mark Lorimer ne date pas d’hier. Ces deux danseurs exceptionnels sont connus notamment pour leurs prestations au sein de la compagnie Rosas d’Anne Teresa de Keersmaeker. En 2011, ils avaient présenté leur duo très impressionnant To intimate, lequel reflétait la pureté de leurs mouvements et une complémentarité évidente en collaboration avec le violoncelliste Thomas Luks. Cette fois-ci, ils dialoguent avec Clinton Stringer, danseur et designer graphique. Des tabourets en bois, deux danseurs en blue-jeans, vêtus de T-shirts blancs, Mark Lorimer avec des bretelles, Clinton Stringer avec un veston sans manche, l’air désinvolte et pour l’occasion Cynthia Loemij.

Un long pan de mur rectangulaire formé de carrés en acier est ajusté par les danseurs pendant la création sur cinq rangées. Les carrés se divisent aussi en des triangles et les effets de lumière les métamorphosent en couleur dorée, argentée ou en vermillon. Forme et déformation, les danseurs explorent la grammaire de la danse entre diagonales, latérales multipliant les directions, les points de départ et d’arrivée. L’absence de son est suppléée par la lecture de leur partition à haute voix ponctuée d’intermittences et de déplacements de leurs tabourets transformant ainsi l’espace. Le rendu répétitif oscille entre asservissement ou affranchissement de leur gestuelle pour trouver une nouvelle voie. Les danseurs revêtent des gants et transforment leur mur progressivement en ouvertures de certains triangles. Contraste entre abstrait et concret, ils façonnent le pan de mur et leurs corps deviennent techniques et outils d’esthétisme.

Tout dans cette œuvre est savamment construit et peut-être trop. Le regard sur la danse comme un langage et le langage comme un objet graphique est pertinent mais les structures chorégraphiques développées apparaissent comme un exercice de style contraignant. Compte tenu de toute l’expérience des corps et de la connaissance des gestes mémorisés par ces danseurs, une situation de lâcher prise, de relâchement pour souffler et s’échapper de leurs contraintes aurait pu être introduit. Très minimaliste, la chorégraphie d’une heure semble trop longue et ennuyeuse malgré les performances techniques évidentes de tous les danseurs. Le public impassible, reste jusqu’à la fin. Les applaudissements ne s’emballent pas ; plus une grande politesse pour le contexte de représentation difficile et le travail évident fourni. Le propos obscur déroulé comme une répétition incessante a quelque chose d’obsessionnel et n’émeut pas. La quasi-absence de musique et le choix des rares moments de son, donnent un côté clinique du geste et les narrations consistant en des décomptes de suites de chiffres décalés à deux voix sont surexploitées. C’est dommage, le début était pertinent puis le tout s’essouffle. La coordination des enchaînements entre les trois danseurs méritait un peu plus de temps pour apparaître calée. Ils se parlent, recommence un enchaînement du fait d’une erreur… Certes cela peut arriver sauf que le cumul de tous ces éléments, donne un résultat moyen. In fine, il semblait manquer au trio, une journée de répétition pour que leur talent s’exprime à fond…

Emmanuelle Ragot
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