Le DKollektiv présente au VeWa de Dudelange jusqu’à ce vendredi des projets artistiques imaginés sur le thème « sols et sous-sols ». L’expo réunit de nombreuses formes de créations (photos, sculptures, installations sonores, performances…) avec une grande sensibilité.
Cela fait deux ans et demi que le DKollektiv a rénové et investi le bâtiment Vestiaires-Wagonnage, relique de l’ère industrielle dudelangeoise aux portes du futur quartier Néischmelz. Le VeWa est devenu un espace de création participatif et collaboratif, un tiers-lieu où fourmillent les idées et s’ancre l’envie de construire ensemble.
Le dernier projet artistique, dont le finissage a lieu ce 18 octobre à partir de 17 h, enracine encore un peu plus le lieu dans son environnement. « Sols et sous-sols » est une programmation de terroir, orientée sur l’identité passée, actuelle et à construire du Minette. Il suffit d’emprunter la passerelle qui surplombe le chemin de fer pour parvenir à l’épicentre de cette réflexion : la Haardt.
Ce lieu à l’incroyable biodiversité était, il y a quarante ans, un désert écologique dédié à l’extraction de la minette qui brûlait dans les hauts fourneaux tout proches. Aujourd’hui, les reliefs torturés sont cachés sous les arbres ou des prairies à orchidées sur lesquelles broutent des chèvres et des moutons. Au printemps, des dizaines d’espèces de papillons (on n’en trouve nulle part ailleurs autant dans le pays) y volent et des oiseaux rares, dont la bien nommée alouette lulu y nichent.
Cette matière première a inspiré plusieurs jolies créations. Cheng, le cube sombre d’Erwin Reiter, propose une immersion sonore rendant hommage à l’essence même du processus vital. Sous une tente obscure, l’unique lumière provient d’une « cellule de vie » et l’on est pris par l’écoute des sons qui émanent du sol et captés par un géophone dans lequel pousse un bouleau, espèce première. Des micros diffusent, eux, le vent dans la couronne de l’arbre. « La terre émet des sons que l’on n’imagine pas, mais qui symbolise cette poussée vers le haut qui est l’aspiration de la nature… et qui devrait être aussi la nôtre », relève l’artiste. Cheng, justement, est l’hexagramme chinois qui illustre ce mouvement.
Dans les entrailles du sol, Serge Ecker et Hector Theoulakis sont partis à la découverte du Simara, l’ancien nom du Diddelengerbaach, qui coule droit dans une gangue de béton sous le laminoir. Le premier avec une caméra super 8 qu’il n’avait pas resortie depuis un bail, le second avec des micros. Leur installation dans une cave bas de plafond du VeWa, entre images granuleuses et bruits aquatiques est, ici aussi, particulièrement immersive.
Esthétique et signifiant
Dijana Engelmann est partie à la recherche d’argile, une ressource relativement abondante qui a été utilisée dans les briqueteries qui ont notamment servi à élever les usines sidérurgiques. « J’ai trouvé une source d’argile au grain très fin à deux kilomètres d’ici », explique l’artiste. Après l’avoir débarrassé de toute sa matière organique, elle l’a transformé en fines feuilles qu’elle a cuites pour les suspendre, comme du linge couleur cuir, sur un fil. Cette teinte complètement naturelle tirant sur le rouge sombre, très particulière, est évidemment due au fer contenu dans l’argile. « Il n’y a qu’avec cette argile que je peux obtenir un tel rendu », sourit-elle. « J’ai appelé l’installation Tiramol, du nom de ces étendoirs tendus de chaque côté de la rue dans le sud de la Croatie, d’où je viens, qui encourage le contact – pas toujours désiré ! – avec ses voisins. Cela n’existe pas ici, et ça me manque. L’ambition de cette installation, située dans un ancien vestiaire où les ouvriers devaient parler, est de recréer de la proximité. »
L’éloge de la force de résilience de la nature est à la base du travail de Viktoria Vanyi, qui a utilisé des cyanotypes pour révéler cette dualité entre environnement et industrie. « Au départ, je pensais réaliser un projet photographique, mais je me suis dit qu’il fallait que je fasse autre chose avec les négatifs », explique-t-elle. L’artiste s’intéresse alors à cet ancien procédé qui consiste à créer un support photosensible qui livre une belle couleur bleue. Sur un tissu fabriqué en 1927, un détail qui n’en est pas un puisqu’il s’agit aussi de l’année où fut érigé le bâtiment Vestiaires-Wagonnage, elle a imprimé des vues modernes et anciennes des usines qu’elle a superposées avec des plantes cueillies dans les alentours de la Haardt. Ainsi, plutôt que de la fumée, on voit s’échapper les stigmates de fleurs et des brins d’herbe des cheminées des hauts fourneaux. Viktoria Vanyi a aussi imprimé des agrandissements des négatifs de photos pris lors de ses déambulations autour des friches qui ceignent le VeWa.
« Avec ce projet, je veux rendre hommage à la nature dont la capacité à se régénérer est impressionnante, mais pas seulement. Ces tissus ont été créés pour l’usage des femmes, qui tenaient les maisons et élevaient les enfants de leurs maris ouvriers partis à l’usine, dans les carrières ou dans les mines. Sans elles, pas de sidérurgie », sourit l’artiste.
De toute l’équipe du DKollektiv, celui qui connaît le mieux la Haardt est certainement Nicolas Graf, amoureux du quartier Italie et prof de géographie à l’école internationale de Mondorf. Auparavant, il y commençait chaque journée par une balade. Désormais, il se contente (visiblement un peu à contrecœur) d’une sortie tous les week-ends. Sa contribution à l’exposition est la simple superposition d’une carte topographique de 1979, dernière année d’exploitation des minières, et d’une carte orthophoto actuelle tirées du Geoportail. Sur la première, on voit toutes les zones d’activités, les fronts de taille, les routes ou les voies ferrées qui circulaient sur le site. Sur la seconde, c’est le vert qui explose, signe que la nature a aujourd’hui repris ses droits. « C’est un travail en cours qu’il faut encore compléter, mais je trouve que ce simple chevauchement est à la fois esthétique et signifiant », glisse-t-il.
Sol rouge, vin rouge ?
Dimanche dernier, c’est lui qui guidait une troupe d’une quinzaine de personnes à travers la Haardt, en passant par le quartier Italie. Il expliquait ce paysage presque entièrement anthropisé à un public très à l’écoute. « Les élévations sont des terrils, des amas de laitier ou de déchets tandis que les creux sont des fonds de carrière. Seul le plateau boisé à l’arrière (vers l’ouest) indique le niveau naturel du sol. »
Sous un soleil aussi généreux qu’inattendu, Misch Feinen offrait des lectures de petits textes ciselés spécialement pour faire parler le panorama. Avec beaucoup d’humour et de finesse, il évoquait le passé, le présent et le futur des lieux. À la fin du périple, sur un coteau pentu orienté plein sud donnant sur la vallée du Diddelengerbaach avec vue imprenable sur le laminoir, il a initié une cérémonie païenne. Accompagné de la vigneronne Michèle Mannes (domaine Häremillen, à Ehnen), qui a prélevé un échantillon de sol, il a rendu à la terre un morceau de fer planté à l’aide d’un tire-bouchon. « Amplaz ze krazen, gedeie loossen, vom Rechen in die Traube, mam roude Buedem roude Wäi maachen? », lisait-il, lançant une excellente idée qui trouvait son écho dans les vignes aux feuilles jaunissantes des jardins étagés en contrebas.
Au fond, la soupe partagée au retour, une Minettestrone mat Schlagsahne, définissait parfaitement l’esprit de ce joli projet autour de la vie et la mort de la sidérurgie dans le sud du pays. Pas d’esbroufe, mais de la camaraderie, de jolies réflexions empathiques et beaucoup de sensibilité.
Sols, sous-sols… il ne manquait que le droit du sol. Autant de fraternité et de générosité dans un pays qui refuse le sien, de sol, à un artiste étranger a le don de vriller le cerveau et de peiner l’âme. Au moins, la résistance existe.