Cinéma

Au cœur des ténèbres

d'Lëtzebuerger Land du 20.04.2018

Vers la fin du XIXe siècle, un capitaine chevronné, Joseph Blocker, a pour mission d’escorter un chef cheyenne mourant, Yellow Hawk, vers sa terre natale. Blocker qui se définit comme un professionnel du « massacre des sauvages » accepte à contrecœur. Yellow Hawk était son pire ennemi. Mais la rencontre d’une femme dont le mari et les trois enfants ont été assassinés par des maraudeurs comanches modifie le sens de la mission.

Quatrième film réalisé par l’acteur américain Scott Cooper, Hostiles est un très beau western crépusculaire injustement boudé par le public. Le récit est né de la découverte, par hasard, d’un synopsis oublié de Donald Stewart, mort en 1999 et connu pour avoir remporté l’Oscar de la meilleure adaptation en 1982 pour Missing de Costa-Gavras.

Usant du western comme condensé de l’histoire humaine et expression du sens tragique de la vie, Cooper s’est attaché à construire la psychologie de ses personnages à partir des acteurs appréhendés pour chacun des rôles. Christian Bale (le Batman de la trilogie de Christopher Nolan) est remarquable de retenue et d’émotion dans le rôle du capitaine Blocker, un militaire féroce et raciste qui connaît mieux cependant la langue et la culture cheyennes que les vertueux qui dénoncent sa violence aveugle. Rosamund Pike (ex-James Bond Girl et tueuse perverse de Gone Girl de David Fincher) est Rosalie Quaid, la femme traumatisée par le massacre de sa famille. Habitué des rôles d’Indiens, Wes Studi est Yellow Hawk, un guerrier cheyenne, qui a tant donné la mort qu’il n’a pas peur de la recevoir à son tour.

La séquence d’ouverture du film est magistrale. Une citation de l’écrivain britannique David Lawrence indique le sens du récit : « The essential american soul is hard, isolate, stoic, and a killer. It has never yet melted ». Elle laisse aussitôt la place à une petite ferme que l’on distingue au loin, dans une plaine, entourée de montagnes. La quiétude est rompue par une chevauchée brutale et effrayante. Le spectateur est à la fois, dans la maison, dont la porte s’ouvre sur la menace extérieure, et au milieu des êtres ensauvagés qui galopent vers la ferme. Hommage obligé au classicisme fordien, et rappel à l’ordre réaliste, l’ouverture du film se présente comme la mise en scène cruelle et violente du massacre hors-champ de The Searchers (John Ford, 1956). Mais nous ne sommes plus dans les récits de quatre sous qui faisaient le succès des premiers imprimés de la fin du XIXe siècle à coups de sensations et de fantasmes sur la femme blanche enlevée par les Indiens. Cooper donne à voir l’Histoire. Celle d’une Amérique naissante qui pacifie son « Wild West » intérieur comme une puissance impérialiste le ferait à l’égard d’un pays étranger, soumettant des peuples entiers à l’arbitraire colonial et à la loi des armes. Nous ne sommes pas non plus dans la réhabilitation des figures oubliées de l’histoire officielle comme dans le western critique du Nouvel Hollywood.

La furie vengeresse enclenche le cycle infernal de la violence et de la guerre civile. Elle oblige à tuer pour sauver sa peau, dans un monde hostile ; par habitude, ou pire, par plaisir. Le mal est partout qui court des bourreaux aux victimes. La balade qui en découle devient une quête introspective où l’homme puise au plus profond de lui-même l’énergie affective et morale susceptible de racheter la part sombre et violente qui demeure en lui.

Combinant réalisme ethnographique (des spécialistes cheyennes et comanches ont permis de restituer avec précision les dialectes indiens) et transposition plastique des splendides paysages de l’ouest américain, Cooper utilise la variété des éléments naturels (la pluie, le vent, le soleil, la chaleur, l’obscurité) pour sonder les âmes au travers des corps meurtris jusque dans leur chair. Les silences se font grave. L’œil humide de Blocker brille dans la nuit noire. Rosalie invoque sa foi religieuse. Le vieux guerrier cheyenne est aussi un grand-père qui entend transmettre à son petit-fils le sens d’une vie. Malgré une baisse de rythme et quelques passages à vide, Hostiles demeure une mise en scène réussie de la violence des rapports humains et de la force rédemptrice de l’amour, du respect et de la tolérance. Fabrice Montebello

Fabrice Montebello
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