Le ministre des Finances veut ressusciter la loi Rau

La marotte de Roth

Le ministre Gilles Roth (CSV) chez Grosbusch  en 2024
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 05.09.2025

Ce lundi dans Le Quotidien, Carlo Thelen se réjouit « que les choses bougent au Luxembourg ». Le directeur de la Chambre de commerce énumère les initiatives qui, à ses yeux, servent la compétitivité du Grand-Duché. Il évoque le projet de loi sur les carried interest déposé en juillet, un régime fiscal préférentiel qui ravira les gestionnaires de fonds alternatifs et tout l’écosystème lié. Carlo Thelen mentionne encore le crédit d’impôt start-up, un autre projet de loi émanant du ministère des Finances, celui-là avec des incitatifs fiscaux pour aider les business angels. Est enfin citée « la loi Rau reloaded », un autre chantier mené par Gilles Roth, sa marotte.

Lors de la réunion à Senningen des ministres des Finances germanophones, le 25 août dernier, Gilles Roth a relancé l’idée d’une loi qui favoriserait l’investissement dans les entreprises luxembourgeoises. « Nous pourrions faire une loi Rau reloaded où les gens bénéficieraient d’avantages fiscaux quand ils investissent leur épargne dans des fonds qui soutiennent ensuite les PME innovantes », a expliqué le ministre chrétien-social en prenant pour modèle la célèbre loi imaginée par le député CSV Fernand Rau. Voté en 1984, le texte voulait « favoriser les investissements productifs des entreprises et la création d’emplois au moyen de la promotion de l’épargne mobilière ». Mais ce régime, bien que populaire, n’a pas rempli ses objectifs. Il a mené à la création d’une poignée de fonds d’investissements dits « Rau » comme Luxavantage, distribué par la BCEE. Ces fonds ont attiré l’épargne locale en masse et permis d’alléger la charge fiscale des ménages… créant au passage une bulle à la Bourse de Luxembourg. Mais cet argent n’a que peu stimulé l’économie nationale, jugeait Alain Georges (patron de BGL) dans le Land au crépuscule de la loi : « Dans les faits, force est de constater que les Sicav Rau fonctionnent comme toutes les Sicav du monde, ne s'intéressant ni aux entreprises nouvelles ni à des sensibilités luxembourgeoises prononcées. »

La loi Rau a été éteinte par le gouvernement de Jean-Claude Juncker au tournant des années 2000. La Cour de justice des communautés avait identifié dans ce type de régime une atteinte à la libre circulation des capitaux. (Maintenant la loi Rau serait considérée comme une aide d’État déguisée.) La faveur fiscale a définitivement été abolie en 2005. Ce malgré un baroud d’honneur d’un certain Gilles Roth. En 2003, alors délégué du gouvernement devant les juridictions administratives, le haut fonctionnaire avait tenté de retarder le phasing out de l’avantage fiscal induit par la loi Rau. « Ce n’est pas pour jouer les prolongations mais pour faire appliquer les traités internationaux », avait prétendu Gilles Roth. En vain. Le dispositif a été cloturé à la date convenue.

Dans les rangs de l’opposition, en juillet 2022, le même Gilles Roth et son Kolleeg Laurent Mosar ont proposé un texte de loi « pour relancer l’investissement dans l’entrepreneuriat durable et numérique ». Présentant la proposition à la Chambre, Laurent Mosar a parlé d’une « loi Rau reloaded » « An duerfir proposéiere mir eigentlech, op eng Success-story zréckzekommen », introduisait le député chrétien social. Le binôme business du CSV souhaitait aiguiller l’épargne accumulée pendant la pandémie vers l’entrepreneuriat plutôt que l’immobilier, lequel bénéficie de la « préférence naturelle » des Luxembourgeois. La proposition de loi prévoyait un abattement de revenu imposable de 5 000 euros pour ceux qui avaient acquis des parts dans des PME liées « aux domaines durable et digital ». Les sociétés investies devaient en théorie se trouver dans l’espace économique européen. Condition sine qua non pour ne pas aller à l’encontre des préceptes du marché unique.

Au nombre de 40 000, les PME constituent l’essentiel du tissu économique luxembourgeois, avec 229 000 personnes employées. Dans son avis sur la loi Rau reloaded version Roth-Mosar, la Chambre de commerce se félicitait du mécanisme. Il pouvait concurrencer les régimes des pays alentours, le dispositif Madelin en France, le tax shelter en Belgique ou le programme Assets au Royaume-Uni. Mais pour les patrons, le plafond d’exonération était bien trop bas. Et de toute façon, la coalition Bettel-Lenert-Bausch a rejeté la proposition de Roth et Mosar car elle ne voulait notamment pas d’une mesure conçue « comme un pur outil d’optimisation fiscale pour les contribuables fortunés ».

Installé au gouvernement, qui plus est rue de la Congrégation, Gilles Roth a ressorti les recettes miracles (ou plutôt mirages) du passé. Pour l’investissement dans l’immobilier, l’amortissement accéléré (baissé par son prédécesseur Pierre Gramegna, DP) a été remis à son max de six pour cent. Pour l’investissement entrepreneurial, il a déposé le 4 avril un texte qui se rapproche de la loi Rau « pour rendre plus attractif l’écosystème luxembourgeois pour les jeunes entreprises innovantes en améliorant leur accès au financement ». Les business angels accèdent à un crédit d’impôt de vingt pour cent de la valeur de leur investissement pour un montant maximum de 100 000 euros par année d’imposition.

En principe, sont éligibles les investissements dans des sociétés basées dans l’espace économique européen. Mais le ministère des Finances a identifié une possible restriction à la libre circulation des capitaux. Celle-ci est « justifiée dès lors qu’elle poursuit un objectif reconnu d’intérêt général et si elle est proportionnée quant à l’objectif poursuivi. » Pour octroyer certains avantages fiscaux, les États-membres peuvent ainsi exiger un lien « suffisamment étroit » entre les entités bénéficiant desdits avantages et les activités qu’elles exercent. Et selon la jurisprudence de la CJUE, des contrôles fiscaux efficaces constitueraient aussi « un objectif légitime » à poursuivre. Pas question donc d’octroyer un avantage fiscal à une entité si l’ACD ne peut en vérifier la bonne utilisation. Il faudra donc a minima bénéficier d’un établissement stable au Luxembourg. Les mesures soutenant l’entrepreneuriat pourraient donc avoir une certaine indigénéité.

Que cela soit en 2022 ou en 2025, la Chambre des salariés goûte peu ces principes de défiscalisation. « La législation fiscale luxembourgeoise privilégie (déjà) largement la détention du capital et les revenus en résultant », avait écrit l’institution présidée par Nora Back au sujet de la première tentative de loi Rau reloaded, regrettant au passage que l’impôt sur la fortune n’existe plus depuis 2006 et que les revenus des capitaux jouissent déjà de gracieuses exonérations. La CSL confirme dans son avis rendu le 27 mai. Elle concède que le régime pour les business angels est moins agressif que l’ancienne bonification d’impôts pour le capital-risque qui a été effacée en 2021 (un mécanisme trop compliqué à implémenter). Mais aux yeux de la chambre consultative, « il ne revient ni aux ménages contribuables, ni à l’État qui les représente, de garantir ou assurer la prise ou prime de risque de l’investisseur (dit) providentiel ». Enfin, la CSL souligne que le projet de loi n’a qu’un seul objectif : soutenir la croissance sans considération des « effets pervers induits par les innovations » qui bénéficient de ces aides. « Il conviendrait de mieux engager la responsabilité des innovateurs et de leurs investisseurs sur les conséquences à long terme de leurs projets et en poussant davantage vers des innovations sobres visant à lutter contre l’obsolescence, en faveur des innovations sociales, de la réparation ou de la circularité », conclut la CSL.

Pour l’heure, Gilles Roth envisage officiellement sa future loi Rau reloaded à l’aune de l’espace économique européen. Il s'est rendu à Paris le 5 juin pour lancer le label Finance Europe aux côtés de la France, de l'Espagne, de l'Allemagne, des Pays-Bas, du Portugal et de l'Estonie. Ce label ambitionne d’inciter les épargnants européens à investir davantage dans les entreprises du Vieux Continent. Les fonds qui investissent pour au moins 70 pour cent dans des actifs européens pourront également porter ce label. « Il revient aux États membres de décider des éventuelles incitations fiscales associées aux produits financiers » l’arborant, écrit le ministère des Finances au Land. La rue de la Congrégation ne communique ni sur le calendrier, ni sur la méthode d’indigénisation de l’outil (le cas échéant). L’approche pourrait être la même que pour la loi pour les business angels.

Pierre Sorlut
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