En début de cette semaine, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a proposé une nouvelle loi pour faciliter l’expulsion de migrants en situation irrégulière. Elle répondait ainsi aux pressions du Parlement européen où les partis d’extrême-droite ont renforcé leur présence au dernier scrutin. Sa proposition va aussi dans le sens d’un document présenté à l’issue du Conseil justice et affaires intérieures signé par 18 États membres, dont le Luxembourg, qui intime un « changement de paradigme ». Ces pays s’insurgent contre le faible pourcentage d’expulsions, autour de trente pour cent, et prônent des sanctions lourdes pour les personnes qui restent en Europe malgré un ordre de retour, une pression pour accélérer les procédures d’asile censée contraindre les pays d’origine à reprendre leurs ressortissants.
« La politique de retour doit être une priorité de la prochaine Commission européenne », affirme le ministre de l’Intérieur Léon Gloden (CSV) vendredi dans le Wort. La politique menée par son ministère et par celui de la Famille, qui a la charge du volet de l’accueil, va clairement dans ce sens. Les associations membre du Collectif Réfugiés Luxembourg (LFR) s’inquiètent de la droitisation de plus en plus décomplexée de la gestion de l’asile et de la migration. Avec disparition de Caritas comme voix forte qui critiquait les décisions trop dures, le contre-pouvoir de la société civile se trouve affaibli.
« Les deux ministères agissent avec une sévérité sans précédent contre les demandeurs d’asile déboutés. À croire qu’ils n’ont pas de cœur », lance Marianne Donven, très impliquée dans l’accueil et l’intégration des réfugiés à travers l’association Oppent Haus et les restaurants Chiche. Sur les deux volets, de l’asile et de l’accueil, elle constate un manque de tolérance et une application très rigoriste des règlements. Un contraste avec l’esprit d’ouverture et de conciliation du précédent gouvernement, en particulier de Jean Asselborn (LSAP) quand les questions d’immigration étaient du ressort du ministère des Affaires étrangères.
« Dans le passé, on a plusieurs fois plaidé des cas d’apprentis motivés, bons élèves, recommandés par leurs patrons, qui obtenaient un titre de séjour ‘vie privée’, leur permettant de finir leur formation, puis d’entrer sur le marché du travail », relate Marianne Donven. Elle précise que ces jeunes travaillent généralement dans des métiers en tension : chauffagistes, carreleurs, boulangers, électriciens, serveurs. Cette période de tolérance semble révolue, de nombreux dossiers restent sans réponse ou sont refusés, mettant une pression supplémentaire sur ces jeunes. « C’est absurde et contreproductif. On se plaint d’une pénurie de main-d’œuvre qualifiée, on fait venir des frontaliers qui font plusieurs heures de routes quotidiennement et on barre la route à des jeunes qui sont prêts à apprendre un métier et à travailler », poursuit Donven.
Pour les déboutés venus d’Irak ou d’Afghanistan, des pays avec lesquels il n’existe pas de coopération et qui n’acceptent pas les retours forcés, il était d’usage de leur envoyer un courrier les autorisant à chercher un travail pour obtenir un titre de séjour de travailleur salarié. La procédure complexe où l’employeur doit déclarer le poste vacant à l’Adem et peut embaucher la personne déboutée si aucun candidat n’est trouvé sur le marché du travail local. Mais une procédure qui ouvre la porte à des personnes qui n’ont aucune possibilité de rentrer dans leur pays d’origine. Elle leur permet de retrouver une dignité en travaillant et en n’étant pas une charge pour l’État. Désormais, ces lettres ne sont plus envoyées.
Pour ces personnes, une analyse au cas par cas, une dose de flexibilité, d’expérience, de perspicacité laissait une place à une certaine marge dans l’interprétation de la loi. « Aujourd’hui, on ne trouve pas d’écho à nos demandes. C’est frustrant. Les gens perdent le moral et leur motivation, ils sont brisés », constate Mariane Donven.
Le cas de Jalil (prénom modifié) est à ce titre exemplaire. Cet irakien de 29 ans se trouve dans un imbroglio administratif que même ses soutiens luxembourgeois n’arrivent pas à démêler. Très sportif, le jeune homme a été mis en contact avec un club depuis plusieurs années. « On a vite eu de bonnes relations, une confiance en lui, à tel point de lui donner des responsabilités pour entraîner les jeunes au sein du club », relate le président. Il veut rester discret pour ne pas causer de tort à son protégé. Fin février, l’entourage de celui-ci s’est démené pour lui écrire des recommandations et lui trouver un travail. Peine perdue, il était déjà débouté en janvier et la promesse d’un contrat n’a pas eu d’effet sur sa situation. « Ce n’est pas sa faute, le système ne lui a pas permis de résoudre sa situation. On tourne en rond, on ne nous écoute pas », soupire-t-il. Le président du club ironise sur la formule « intégration par le sport » et parle d’inhumanité et de honte. « C’est injuste de mettre tout le monde dans le même panier. Il y a peut-être des profiteurs, mais depuis trois ans que je le connais, Jalil n’a eu cesse de s’intégrer et a toujours eu une attitude exemplaire. » Dans l’attente d’un jugement du tribunal administratif, Jalil est hébergé dans une famille luxembourgeoise car il a été obligé de quitter le foyer de l’Office national de l’accueil (ONA) en mars.
L’expulsion des déboutés des foyers est le corollaire de l’application stricte des textes. Le ministère de la Famille n’a pas répondu à nos questions quant au nombre de personnes qui ont été priées de quitter une des structures d’hébergement de l’ONA ces derniers mois. Plusieurs cas ont récemment été rapportés par nos confères du Wort. Comme cette famille libyenne, dont une dame de 72 ans qui souffre de graves problèmes de santé. Elle aurait dû quitter le centre d’hébergement lundi et vit actuellement une sorte de sursis avec une nouvelle date de sortie au 14 novembre.
Le cas de Vaneck Bowel Kodjo Siwe est aussi bouleversant. Ce jeune Camerounais de 27 ans vit avec sa femme et sa fille de quatre ans dans une structure d’accueil à Wasserbillig depuis début 2023. La petite est scolarisée dans la commune. Leur demande d’asile a été rejetée et, malgré de nombreuses tentatives (dans le nettoyage, la livraison ou le sanitaire), ils n’ont pas trouvé de travail. Lundi 2 octobre, ils ont reçu un courrier les intimant à quitter le foyer au plus tard le 15 octobre. « J’ai passé mon permis de conduire en septembre et je suis en attente d’un contrat comme chauffeur-livreur. Mais ils ne m’ont pas laissé le temps », détaille-t-il ce jeudi par téléphone. La famille venait de sortir des bureaux de l’ONA où l’expulsion leur a été confirmée, malgré l’absence d’alternative. « On m’a fait comprendre que si je résistais, ils feraient appel à la police », s’étrangle le père de famille, incrédule. Il en appelle à la déclaration des droits de l’enfant : « Des gens bien habillés dans des bureaux bafouent la loi qui dit que les enfants ont droit à une protection ! » « C’est incroyable. Avant, les familles avec enfants n’étaient jamais mises à la porte comme ça. Les autorités faisaient preuve de plus de tolérance. C’est vraiment cruel », commente Marianne Donven. « Afin d’éviter qu’ils ne se retrouvent dans la rue avec leur enfant, la famille a été convoquée par la Direction générale de l’immigration pour organiser leur retour volontaire, dans le cadre duquel ils auraient droit à un hébergement dans la Maison de retour », répond le ministère de la Famille, à notre demande de précision. Retour volontaire que la famille refuse catégoriquement.
Être apprentis tout en suivant une formation dans un lycée ne suffit plus comme sésame pour rester dans un foyer. Gnalbi Barry n’avait que 19 ans quand il est arrivé au Luxembourg depuis la Guinée Conakry. Il a commencé un apprentissage en boulangerie-pâtisserie début 2021. Après un an, il est contraint d’arrêter de travailler, sa demande de protection internationale étant rejetée. Mordu par le métier Gnalbi ne baisse pas les bras et trouve un patron ce qui lui permet d’obtenir une autorisation de travail. Aujourd’hui, il est en troisième et dernière année d’apprentissage, partageant son temps entre l’école et la boulangerie qui l’emploie. Pains et Traditions forme ainsi plusieurs apprentis. Une lettre de recommandation, soulignant le bon travail de Gnalbi, a été signée du patron pour l’aider dans ses démarches. Pourtant la semaine dernière, un courrier de l’ONA lui donne jusqu’à ce mardi pour quitter le foyer de Soleuvre où il est hébergé, sa demande de régularisation par le travail n’ayant pas reçu de réponse. « Sans logement, je ne peux pas garder le travail et sans travail, je ne peux pas me loger », pointait-il, lundi inquiet de son sort. Grâce aux bonnes volontés des réseaux associatifs d’entraide, une solution temporaire a été trouvée pour loger le jeune homme avec des employés de Chiche. Le réseau Oppent Haus est mis en branle pour la suite.
Des solutions temporaires, Kossivi en a connues plusieurs. Ce Togolais a fait de la prison dans son pays natal qu’il a fui pour le Ghana. Il est arrivé au Luxembourg début 2020 et a été baladé de foyer en foyer : SHUK, Centre de logopédie, Don Bosco, puis Wasserbillig où il est resté trois ans. À la fin de l’année scolaire, il terminera une formation en alternance comme peintre en bâtiment. Sa demande d’asile a été refusée en octobre 2023 et quelques mois plus tard, en mars dernier, on lui donne une semaine pour quitter le foyer. « J’ai réussi à ne pas dormir dehors, mais je n’avais pas de solution durable. J’ai passé quelques nuits à la Wanteraktioun, puis quelques nuits chez des amis », raconte-t-il ce mercredi alors qu’il travaillait sur un chantier à la Gare centrale de Luxembourg. Il a été ensuite hébergé chez des particuliers, mais la maison a été mise en vente. Aujourd’hui rassuré sur son sort car sa demande séjour comme travailleur a été acceptée, il loue une chambre à Bonnevoie. Il lui en coûte 700 euros sur les mille qu’il gagne comme apprenti. Une situation qu’il ne pourra pas tenir longtemps.
Pour libérer des places dans les foyers, les personnes qui trouvent du travail sont généralement priées de partir dans les trois mois. « On punit ceux qui se sont débrouillés », fulmine Marianne Donven. Elle ajoute que les logements sociaux, comme ceux de l’Agence immobilière sociale, ne sont attribués que pour trois ans. « Il faudrait quand même que ce gouvernement fasse preuve d’un peu de clémence et d’humanité. Ils sont en train de créer des sans-abris. »