Musée de la forteresse

Le coucou, le bouc et le dindon

d'Lëtzebuerger Land du 28.01.2010

Si l’art contemporain n’existait pas, il faudrait l’inventer : il est in-dis-pen-sa-ble, notamment au débat politique ! Tenez, pas plus tard que le 21 janvier dernier, à la Chambre des députés, où Madame Anne Brasseur devait interpeller le gouvernement au sujet du chantier du Musée de la forteresse. Ah ! le Mufo (Mufo, comme Musée de la forteresse, c’est le petit nom que lui donnent ses amis), ah ! le Mufo donc. Une gestation longue (treize ans, comme le temps passe…) et coûteuse (41 millions d’eu­ros, eh oui, quand même…), dont le terme continue de se perdre dans un futur nébuleux et dont le fruit pourrait bien s’avérer chétif malgré les cohortes d’éminents spécialistes qui se pressent au chevet de la parturiente. Oui, le Mufo donne bien matière à interpellation.

Eh bien, que croyez-vous qu’il arriva ? Vous avez deviné, ce fut le Mudam que l’on attaqua ! Alors qu’il eut fallu le citer en exemple ! Mais si, souvenez-vous : de 2001 à 2004, le bâtiment de Pei était à l’arrêt pour de lapideuses querelles. La directrice de l’époque, Marie-Claude Beaud, se contenta-t-elle d’encaisser ses émoluments en attendant de voir la Vierge ? Que nenni ! En vraie professionnelle (n’en déplaise à certains. Et à certaine…), elle créa du contenu malgré l’absence de contenant, et offrit un festival d’expositions et d’événements au contribuable. Non vraiment, ce n’était pas les acteurs de l’art contemporain qu’il fallait mettre en cause ce jour-là !

Remarquez, ils en ont l’habitude. Si d’aventure vos pas vous mènent du côté du Mudam, vous y croiserez d’accortes jeunes femmes et de charmants jeunes gens. Approchez-vous et pincez discrètement l’un d’eux : vous sentirez une résistance. La nature étant bien faite, c’est une carapace qu’ils ont développée pour se protéger de la vindicte populaire et politique. Une curiosité évolutionniste qu’ils partagent avec leurs collègues du Casino-Forum d’art contemporain et avec leur actuel directeur (votre servante, qui pratique ce dernier intimement depuis plus de 20 ans, peut en témoigner…). Mais baste ! laissons-là le bouc émissaire pour nous pencher sur ce qui aurait vraiment dû faire l’objet du débat de ce 21 janvier, le dindon de la farce, j’ai nommé le MNHA (Musée national d’histoire et d’art).

Le MNHA qui s’enorgueillissait naguère encore, d’une section d’Art et Traditions Populaires logée dans les dernières maisons anciennes préservées de la ville. Planchers, cheminées, poutres, huisseries, tout était là pour le plus grand bonheur de l’amateur de vieilles choses. Était ? Était en effet, puisque les maisons vont faire l’objet d’une « restauration de fond en comble » et de « travaux de modernisation »1, l’une et les autres assurés par le Fond de rénovation de la Vieille Ville. On peut donc raisonnablement craindre le pire…

Oui, oui, je sais, à la Chambre, d’au­cuns ont bramé leur amour du patrimoine national avec des trémolos dans la voix. Mais c’était à propos du fort Thüngen, pas des maisons bourgeoises de la ville voyons ! Idem pour la collection. Marc Angel, qu’on a connu mieux inspiré – toutefois, sa définition du Mufo comme un dégât collatéral des attaques qui ont visé le Mudam à l’époque de sa construction est la chose la plus pertinente de tout le débat – Marc Angel donc, chaussa ses plus fins sabots pour tendre une perche de la taille d’un baobab à Madame la Ministre de la Culture : pouvait-elle lui garantir que la collection était entreposée selon les règles de l’art dans les locaux du MNHA à Bertrange ? Il s’inquiétait pour la collection Jordan bien sûr, le fleuron du Mufo, pas pour la collection d’Art et Traditions Populaires (que les amoureux de cette dernière soient néanmoins rassurés : elle a été mise en caisses. Soigneusement. Pour une longue, très longue période…).

Mais revenons à Bertrange. Pourquoi Bertrange ? Eh bien apprenez oh ! lecteurs qui l’ignoreraient, que la localité de Bertrange abrite le C.R.A., le Centre de Recherches Archéologiques du MNHA. Quel rapport avec le Mufo, me direz-vous. Un peu de patience que diable, j’y viens.

Or donc, les calamiteux concepteurs du Mufo, tout à leur élan créateur, omirent quelques détails triviaux quand ils conçurent leur bébé : pas de bureaux, ni de dépôts et autres broutilles. Pendant treize ans pourtant, tout alla bien : de collection point, d’exposition pas d’avantage, les locaux destinés à cette dernière purent donc faire office de bureau pour le personnel désœuvré. Mais aujourd’hui, c’est terminé ! Brutalement sommé de sortir de son coma prolongé, le Mufo doit reloger d’urgence sa bibliothèque et son reliquat de personnel. Où ? Cette question ! Au MNHA bien sûr, auquel un règlement grand-ducal du 26 août 2009 a confié « la gestion du Musée de la Forteresse ». Voilà pourquoi la collection Jordan et les transfuges du Mufo ont atterri à Bertrange. Voila pourquoi aussi, chaque matin, les archéologues du MNHA ouvrent la porte de leurs bureaux la main tremblante et le cœur battant : ils craignent d’y découvrir un Mufosien solidement installé ! (À ce propos amis lecteurs, si vous croisez le chemin d’une misérable créature brandissant une petite truelle, soyez bons, achevez-là. Il s’agit vraisemblablement d’un archéologue orphelin du MNHA : arraché à ses chers tessons, il risque de périr dans d’atroces souffrances).

Mais oublions les locaux du MNHA pour nous intéresser à son personnel. En haut lieu on s’est opportunément souvenu, pour justifier le règlement grand-ducal susmentionné, qu’il s’agissait d’« une équipe de conservateurs expérimentés et d’une équipe de praticiens habitués à l’organisation d’expositions »2. C’est flatteur certes, souvenons-nous néanmoins « que tout flatteur vit aux dépends de celui qui l’écoute » et posons nous quelques questions. Le MNHA souffrant d’un déficit de personnel chronique et notoire, qui est supposé effectuer toutes les missions supplémentaires que lui assigne l’article premier du règlement grand-ducal d’août 2009 ? Par exemple, le conservateur désormais délégué à la direction du Mufo est certes un garçon efficace dont les compétences en matière d’exposition ne sont plus à démontrer, mais enfin, à l’impossible nul n’est tenu et il est donc à craindre que son ancienne section ne soit quelque peu négligée dans les temps à venir.

De même, ce n’est pas sans un hoquet de surprise que l’on entendit promettre visites guidées et autres activités de même nature dans les locaux – toujours vides bien sûr – du Mufo. Le service éducatif du MNHA comptant royalement deux agents, il doit faire appel à du personnel free-lance auquel, depuis un certain temps déjà, on fait grief de coûter trop cher bien qu’il soit payé au lance-pierres. Il est donc légitime de se demander si les animations au Mufo auront lieu en plus ou à la place des activités éducatives au MNHA. Et qu’en sera-t-il des « expositions temporaires relatives à des thématiques identitaires développées en collaboration étroite avec l’Université du Luxembourg » (objet, comme on pouvait s’y attendre, de toutes les attentions de l’honorable député ADR Fernand Kartheiser). Si les compétences de cette dernière ne sauraient être mises en doute pour le fond, on peut s’interroger, en revanche, sur sa capacité à les mettre en forme. Dans son rapport du 25 novembre 2009, la commission de la culture, benoîte, s’en remet, aux « nombreuses synergies, tant au niveau des infrastructures, des compétences et des personnels spécialisés (…) qu’à celui des activités scientifiques, muséologiques et didactiques ». Certes, certes, certes…

Allons, brisons là ! Mais avouez qu’il serait tragique – ou comique évidemment, c’est selon – que le MNHA, pour avoir été contraint de porter secours au Mufo, n’en vienne à sombrer avec lui. C’est cette funeste perspective qui nous fait regretter que ce 21 janvier, à la Chambre, nos élus trop occupés à s’étriper à propos du coucou, s’en soient pris au bouc au lieu de se soucier du dindon.

1 Musée Info, janvier, février, mars 2010.
Catherine Gaeng
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