À qui est la Radio 100,7 ? Qui est son patron, son actionnaire principal, celui auquel il faudrait que la rédaction fasse allégeance ? La question semble stupide : C’est pourtant grosso modo à cette interrogation fondamentale que se résume l’actuelle guerre des tranchées entre d’un côté le ministre de tutelle, le conseil d’administration et la direction, et de l’autre les équipes (cinquante personnes) de la radio. Une guerre des tranchées qui a déjà entraîné deux départs notoires – le directeur Jean-Paul Hoffmann en automne 2018 et le président Laurent Loschetter ce lundi. Il aurait, écrit Loschetter, « rempli la mission pour laquelle [il a] été nommé » – renégociation de la convention avec l’État, avec une dotation budgétaire substantiellement revue à la hausse (6,6 millions d’euros pour 2020, soit 734 250 euros de moins que la promotion de la presse écrite, tous journaux confondus), modernisation des systèmes informatiques et surtout recrutement d’un nouveau directeur, en la personne de Marc Gerges, qui a commencé son mandat début juillet. Mais Gerges, qui vient du journalisme (RTL, Land, Quotidien, PaperJam), fut soupçonné dès le début de collusion avec son ami de jeunesse Loschetter, qui lui, s’est toujours vanté de sa proximité d’avec le Premier ministre et ministre des Médias, Xavier Bettel (DP). Donc par transitivité, Gerges serait l’homme de paille de Bettel, passablement énervé de la liberté d’expression dont se vante la radio, au plus tard depuis une chronique média de la rédaction en chef l’année dernière, qui s’inquiéta d’une possible ingérence politique dans le contenu de la radio. Ces derniers mois, des mises en garde et remarques mal placées de la hiérarchie (du CA en passant par la présidence jusqu’à la direction) sur l’opportunité d’une question, le bienfondé d’une interview ou le ton d’un commentaire ont fait le reste : depuis un mois, les fronts se sont durcis, au point que deux tiers des équipes se sont inquiétés par écrit de leur indépendance dans deux lettres envoyées à la direction.
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut se tourner vers l’histoire de la radio : fondée par la loi de 1991 sur la libéralisation des médias électroniques, la radio socioculturelle 100,7, fut un projet socialiste, porté à bout de bras par Robert Krieps. Dans un pays où la politique médiatique se résumait à faire en sorte que RTL soit content, la lutte pour son autonomie fut longue et douloureuse, et prit, par à-coups, un quart de siècle. Le DP, le parti du marché privé et de la CLT-Ufa (longtemps dirigé par leur emblématique ancien Premier ministre Gaston Thorn), avait toujours eu la radio publique en horreur, au point qu’Anne Brasseur proposa même de simplement l’abolir en 1996. Son argument : trop cher pour trop peu d’auditeurs. Donc quand Laurent Loschetter fustigea le taux d’audience relativement modeste de la radio (quatre pour cent), cela fit forcément hérisser le poil de l’équipe. L’audimat est-il le seul critère pour mesurer l’importance du travail d’une radio de service public ? Au service des Médias de Xavier Bettel, les nerfs sont à vif en ce moment : Entre RTL Group qui annonce la délocalisation de certains de ses services à Cologne, malgré un contrat de concession très généreux, et l’embrouillamini entourant la gouvernance de la production audiovisuelle via le Film Fund, le dossier Radio 100,7 embête Bettel. Parce que le soupçon que le gouvernement Bettel/Schneider/Bausch veuille (faire) censurer la liberté d’expression d’une manière ou d’une autre est contraire à cette image de pays jeune, dynamique et hautement développé que les quadras/quinquas au pouvoir voudraient donner.
« Une réflexion sur le rôle et les missions de la Radio socioculturelle dans le paysage audiovisuel » sera menée, promet l’accord de coalition de 2018. Un débat parlementaire devrait avoir lieu en début d’année prochaine, pour adapter la loi en ce qui concerne « les missions, le cadre légal et la gouvernance » de l’établissement public. Une première adaptation, on le sait déjà, concernera la nomination du conseil d’administration, actuellement trop politisée. Des barrières entre le pouvoir politique et la radio seraient de mise, recommande aussi l’Ebu (European Broadcasting Union) dans une peer review de 2018 – des recommandations que Xavier Bettel a promis de prendre au sérieux et qui constitueront la base du débat parlementaire. Il aura l’occasion de le mettre en musique en nommant le nouveau président ou la nouvelle présidente, qui devrait, selon la loi, se faire d’ici un mois. Mais ce gouvernement n’a pas de plan pour la défense du service public en général, ni en ce qui concerne les médias, ni pour le système de santé et encore moins pour l’éducation nationale. Parce que, psst !, l’actionnaire principal de la Radio 100,7, c’est le peuple. Multiple et divers, et en droit d’attendre la radio la plus indépendante possible en contrepartie des impôts qu’il paye.