Cinémasteak

Animale symphonie

d'Lëtzebuerger Land du 08.04.2022

King Kong : voici deux mots qui frappent haut et fort jusqu’au sommet de l’Empire State Building. Un hiéroglyphe inédit qui a fait jadis trembler les spectateurs du monde entier lors de la sortie en salle, en 1933, du long-métrage de Merian Caldwell Cooper et d’Ernest Beaumont Schoedsack. Le frisson associé au nom de cette fameuse créature simiesque n’a rien perdu, tant il a fait l’objet de nombreuses adaptations. Lesquelles rivalisent toutes d’effets spéciaux pour rendre notre animal toujours plus terrifiant.

Depuis Le Chanteur de Jazz (1927), que l’on considère comme le premier film « sonore » de l’histoire, le cinéma poursuit sa quête de légitimité artistique. Afin que le spectacle soit le plus complet possible, les studios hollywoodiens vont recourir à de grandes messes orchestrales issues de la tradition classique. King Kong a de ce point de vue valeur de manifeste, débutant à la façon d’un opéra par une longue ouverture instrumentale avant même que l’on ne découvre son titre et le générique. Plutôt que les images, ce sont les mouvements de la symphonie qui introduisent le spectateur aux thèmes de la fiction.

Dénuée de paroles, la partition y revêt une dimension dramatique. En fonction de ce que montrent ou voilent les images, l’accompagnement musical ménage le suspens ou dynamise l’action, marque la ponctuation du récit et renouvelle l’atmosphère de chaque séquence. Ainsi les violons sont convoqués sur le bateau pour la romance entre Fay Wray et Bruce Cabot, tandis que des sonorités percussives renvoient au tribalisme des indigènes rencontrés sur l’île du Crâne. Quasi-omniprésente sur les images, la musique accompagne l’avancée des personnages au cours de leurs aventures et traduit leurs états émotionnels, participant pleinement de l’immersion fictionnelle du spectateur. Impressionné par le résultat obtenu sur King Kong, le procédé est aussitôt validé par David O. Selznick, alors producteur de la RKO. Une révolution hollywoodienne que l’on doit au compositeur autrichien Max Steiner (1888-1971), autrefois disciple de Gustav Mahler, qui assurera par la suite des centaines de bandes-sons originales.

À cette valorisation du récit participent tant la composition de Steiner que la mise en abyme sur laquelle débute King Kong – un cinéaste se rend avec son équipe sur une île pour capter les mœurs d’une peuplade et espérer ramener la créature vivante pour l’exposer à New York. On y découvre un univers insulaire digne d’Arthur Conan Doyle, anachroniquement peuplé de dinosaures. À travers ce « film dans le film », on lit une critique du voyeurisme et du sensationnalisme américains. Pour finalement nous ramener à un proverbe arabe contant la mort d’un animal épris de Beauté. L’animal sensible s’attendrit, tandis qu’au même moment un monstre bien moins humain que celui-ci prenait, lui, le pouvoir en Allemagne pour dévorer le monde…

King Kong (1933, USA), 98’, vostf, sera présenté vendredi 8 avril à 18h30 à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg

Loïc Millot
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