Pendant longtemps, le sujet n’existait tout simplement pas. Puisque l’homme était là pour croître et se multiplier, et la planète présentée comme une ressource infinie, les impacts délétères des activités humaines sur l’environnement et le climat n’étaient pas un sujet. Pudiquement, les économistes parlaient d’« externalités ». Lorsque ces impacts ont fini par devenir évidents, les entreprises se sont pour la plupart cantonnées dans le déni. Ensuite, lorsque ce positionnement a commencé à constituer un risque réputationnel, elles ont eu recours au vernis : le greenwashing, qui combine habilement actions symboliques et publicité mensongère, devait leur permettre de se faire passer pour d’intrépides écologistes.
On peut dire du greenwashing qu’il a été, ces dernières décennies, la version dominante de l’hypocrisie environnementale. Dans une logique de rentabilité et de perpétuation du statu quo thermo-capitaliste, le ripolinage vert tentait d’offrir des gages d’innocence face à l’accumulation de preuves écrasantes sur la détérioration de nos milieux de vie et des grands équilibres géophysiques qui rendent possible la vie sur terre. Il fait désormais partie du paysage, promu par une industrie spécialisée jamais à court de slogans de durabilité et de rapports sur papier recyclé.
Avec l’accélération de l’histoire qui caractérise le moment présent, l’hypocrisie s’est trouvée d’autres déclinaisons. Une première, qu’on appelle généralement le « greenhushing », consiste pour les entreprises à « chuchoter » leurs efforts annoncés en faveur de l’environnement et du climat. Elles choisissent généralement cette stratégie pour éviter d’être accusées de greenwashing, par exemple lorsqu’elles s’aperçoivent qu’elles sont incapables d’atteindre des objectifs par trop ambitieux de décarbonation qu’elles s’étaient fixés et préfèrent couper court à toute controverse à ce sujet. Une autre, baptisée « greenshushing » (« faire silence »), est adoptée lorsqu’elles décident de faire table rase de leurs engagements passés, mais en raison d’une autre crainte : celle d’être boycottées par l’administration Trump, pour qui toute promesse d’agir en faveur du climat fait office de chiffon rouge.
Dans les deux cas, faute de communication claire, impossible de savoir ce qui se passe en coulisses, d’autant plus que ces déclinaisons s’articulent autour des pratiques déjà très peu transparentes du greenwashing. En théorie, les efforts climato-compatibles des entreprises, pour autant qu’ils aient été réels, peuvent continuer. En pratique, cela semble assez peu probable.
Un bel exemple de greenshushing est venu des banques à l’automne dernier, après l’élection de Donald Trump pour un second mandat. Quatre des plus grandes banques américaines, dont Goldman Sachs et Morgan Stanley, décidaient, comme un seul homme, de quitter la NZBA (pour « Net Zero Banking Alliance »), abjurant les promesses faites au cours des années précédentes de se dégager de leurs investissements dans les énergies fossiles. Ce départ, qui a coïncidé avec celui de HSBC et d’autres établissements, représentait, selon un expert cité par The Economist, les deux-cinquièmes des actifs représentés au sein de cette alliance. Dans un article publié fin juillet, l’hebdomadaire a beau mettre en avant un abandon progressif par les entreprises des offsets et une prise en compte croissante des émissions de gaz à effet de serre dites du « scope 3 » (qui interviennent en aval des activités de l’entreprise), il est obligé de reconnaître que celles qui comptent le plus pour le climat sont désormais très souvent ouvertement à rebours de toute logique scientifique. Ainsi, BP a annoncé récemment tourner le dos aux renouvelables dans ce que la compagnie a appelé un « fundamental reset ». En juillet, les compagnies pétrolières Shell, Enbridge et Aker BP ont quitté un groupe mis en place au sein de l’initiative SBTi (« Science Based Targets ») pour définir ce que « net zéro » signifie pour les pétroliers, après s’être fait expliquer que cela voudrait dire en pratique renoncer à développer de nouveaux champs pétroliers et gaziers.
Fidèle à sa ligne ultra-libérale, The Economist veut croire que l’avènement du greenhushing est au fond un bon signe, puisque « si le la pire accusation que les environnementalistes puissent faire envers une compagnie est qu’elle chuchote ses engagements, cela dénote sûrement un progrès ». Du wishful thinking s’il en est. Les lois de la physique n’ont que faire de ces triangulations opportunistes.